04 Oct Le Perpignan insolite d’Hélène Legrais
De Perpignan, on pensait tout connaître ou presque, à force de vivre la ville au quotidien. Mais en suivant l’écrivain et chroniqueuse Hélène Legrais dans le dédale de ses ruelles médiévales, en prêtant attention aux détails de façades, en levant le nez vers les corniches, nous avons découvert une ville que nous ignorions. Ce sont les détails intrigants, savoureux ou sordides de cette cité ballottée de tout temps par l’histoire, qu’Hélène nous a racontés. Balade insolite dans les rues de Perpignan la Fidelíssima.
C’est un détail auquel la plupart des Perpignanais n’ont sans doute jamais prêté attention. Une simple petite plaque, incrustée dans le mur du Castillet, près du porche, rendant hommage au «consul en cap» Joan Blanca. Encore un obscur général dont les faits d’armes laisseront froid tout civil du XXIe siècle ? Que nenni. Joan Blanca était l’équivalent du maire actuel de Perpignan et fit preuve d’un courage impressionnant. L’histoire se déroule au XVe Siècle, du temps de Louis XI. « A l’époque, Perpignan refuse de se rendre aux Français. La ville subit un siège particulièrement dur » raconte Hélène Legrais, plantée devant la porte de la ville, son livre sous le bras et toute l’histoire en tête.
Des cadavres pour nourriture
Siège si dur que les Perpignanais se voient affublés du charmant sobriquet de « manjarates » (« mange-rats »), et que certains morts fraîchement trépassés sont déterrés du cimetière pour finir dans les estomacs. Mais voilà, famine ou non, Perpignan refuse de se rendre. Hélène revit l’histoire en direct. « Le premier consul fait passer un commando mené par son fils unique, charger de ramener du ravitaillement. Il est pris par les Français. Toute la population est là, aux remparts », dit-elle en levant la tête. Les Français somment Joan Blanca de donner les clefs de la ville, sans quoi les prisonniers seront exécutés. Le premier consul ne fléchit pas, et son fils est sacrifié. In fine, Jean II d’Aragon ne pourra apporter les renforts souhaités et Perpignan n’aura d’autre choix que de se rendre. Jean II consacrera très officiellement la ville « Perpignan la Fidelíssima ». Une fidélité qui vaudra à Joan Blanca d’être occis par les nouveaux occupants.
Le squelette d’enfant emmuré
Toute aussi charmante, cette histoire « d’enfant du Castillet », véritable légende urbaine qui défraya la chronique en son temps. « En 1946, on fait des travaux dans le Castillet, qui est une ancienne prison. Il y a une fenêtre et un mur devant, comme cela arrive. Mais quand on casse le mur, on découvre un espace de trois mètres sur 80 cm de large ». Stupeur : à l’intérieur se trouvent les ossements d’un enfant d’une dizaine d’années. A côté, des restes de repas. Tout dans ses vêtements indique l’appartenance à un milieu social noble. Les plus folles rumeurs y voient Louis XVII, le Dauphin, qui aurait été enfermé là pendant la Révolution. « En fait, d’après les tests ADN, Louis XVII est bien mort au Temple, ce n’est donc pas lui. Mais il n’est pas exclu que ceux de la Convention aient envoyé un faux Dauphin aux Espagnols. Tout ce qu’on sait aujourd’hui, c’est qu’un gamin assez richement habillé, à qui l’on donnait à manger, est mort là ». Si la légende urbaine a du plomb dans l’aile, le mystère demeure.
La saga Ducommun
Hélène poursuit son guidage insolite. A deux pas de là, en bas de la rue des Marchands, l’horloger Ducommun sonne les heures, inlassablement, depuis 170 ans. Cette institution est née de façon amusante : le maréchal Boniface, comte de Castellane (« Esprit » de son prénom !), qui dirige les troupes perpignanaises, casse la montre offerte par sa fiancée en montant à cheval. Plutôt que de l’envoyer par diligence à Toulouse pour réparation, il fait venir le meilleur ouvrier de l’horloger. Le jeune homme, Ducommun, un Suisse expatrié suite à une sombre affaire de bagarre, répare l’objet. Jugeant qu’avoir un horloger à domicile est bien pratique, le commandant demande alors aux officiers et sous-officiers de la garnison de faire réparer leurs montres et horloges. Ils fournissent ainsi suffisamment de travail à l’artisan, et celui-ci s’installe à Perpignan. Il emploie une nièce de Hyacinthe Rigaud, qui tient la boutique et parle catalan… Et deviendra par la suite sa femme.
Les mains de la démocratie
Place de la Loge, nous levons la tête vers la façade de l’Hôtel de Ville. A notre grande stupeur, trois mains en bronze alignées en sortent. La première ne laisse voir que le poignet, la seconde dévoile l’avant-bras et la troisième laisse apparaître presque tout le bras. Surprenant symbolisme qui n’était rien de moins que celui de l’exercice de la démocratie locale… Déjà au Moyen-Âge, bien avant que Perpignan ne devienne française et ne vive la Révolution. Ces mains « majeure », « moyenne » et « mineure » représentent les trois catégories sociales de votants (grands négociants, professions intermédiaires et plus modestes). « Le nombre a varié, mais généralement il y avait sept consuls et parmi eux un premier consul » précise Hélène.
Quand la Loge de mer faisait office de théâtre
A deux pas de là, notre guide nous raconte comment l’art théâtral et le Général de Mailly ont fortuitement sauvé une œuvre d’art de la barbarie. Ce bas-relief représentant Saint-Jean Baptiste est toujours visible, sur la face de la Loge de Mer donnant sur la rue des Marchands. Fut un temps où cette rue, aujourd’hui si passante, était murée par une cloison en bois. A l’époque, Perpignan n’avait pas de théâtre, et le Général de Mailly décida de faire de la Loge de Mer, ancien tribunal des affaires maritimes, un théâtre provisoire. L’appentis en bois servait donc de loges pour les comédiens. A la Révolution, le bas-relief, caché par cette cloison, a donc miraculeusement échappé au massacre général de l’art sacré. De Mailly n’aura pas cette chance, puisqu’il finira sur l’échafaud.
L’hôtel de Georges Sand et Chopin
En s’enfonçant dans le quartier Saint-Jean, on passe devant le 7 bis rue des Abreuvoirs. Derrière la façade, aujourd’hui très discrète, se cache une belle bâtisse qui fut l’Hôtel d’Europe. Ici, George Sand s’arrêta deux nuits en compagnie de ses enfants et de sa bonne, en 1838, sur la route des Baléares. La seconde nuit, son amant l’y rejoignit… C’était Frédéric Chopin. Dans un tout autre style, sur le parvis de Saint-Jean le Vieux, l’église mitoyenne de la cathédrale, Hélène nous apprend qu’au début du XIIIe siècle, les deux phares de la spiritualité de l’époque et fondateurs des grands ordres mendiants, Saint-François d’Assise et Saint-Dominique, se sont retrouvés ici, aux environs de 1211. Deux pièces historiques en attestent. Autre temps, autres mœurs, au XIXe siècle, Bartissol fit de l’église une usine électrique ! « Il éclairait la promenade des platanes et la place Arago, grâce à ça ».
La Reine-mère et l’ours
Rue de la Main de Fer, la Casa Xanxo, maison de Bernat et Elisabeth, un riche couple de marchands, de la fin du XIVe – début du XVe siècle, est connue pour sa grande frise extérieure aux motifs érotiques, morbides et scatologiques… On sait moins que, du temps de Louis XIV, la Reine-mère et les femmes de son entourage furent logées ici. Pour les divertir, on leur montra un combat entre un ours et un chien. « Imaginez : la Cour débarque avec ses dentelles… Ces dames en avaient gardé une sinistre impression. Quand tout ce petit monde repartit, le chroniqueur dit « et le Roi retourna en France » ! ». Hélène nous apprend d’autres anecdotes savoureuses en nous offrant encore quelques détours (nos encadrés), avant de boucler la boucle et de nous ramener au Castillet.
La prison « trous de gruyère »
Nous passons rue de l’Argenterie. Ici, sur la petite place des Orfèvres, se trouvait la première prison de Perpignan. « Je l’appelle la « prison trous de gruyère » annonce notre guide, sourire en coin. Les murs étaient constitués d’une sorte de pisé. « Il est arrivé que la famille d’un prisonnier s’installe dans une maison voisine et creuse pour le faire évader ». Certains mettaient d’autant plus de cœur à l’ouvrage qu’à l’époque, les familles devaient payer pour la nourriture des détenus. Une aubaine pour les voleurs… Et moins de turbin pour le bourreau. Pour l’ultime anecdote, ce dernier était considéré comme impur, au point que le boulanger cuisait son pain à part et que les Perpignanais le fuyaient comme la peste. Les candidats au sale boulot étaient d’ailleurs si peu nombreux qu’il fallait parfois aller loin pour débusquer la « perle rare ».
Fanny Linares
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