03 Oct Le Ripollès, l’autre berceau
Guifred le Velu, fondateur de la Catalogne et de la dynastie de Barcelone, bien que né dans le Conflent, à Ria, au IXe siècle, a établi les bases de ce qui deviendra la plus ancienne nation européenne principalement dans le Ripollès, de l’autre côté des Pyrénées. Ce territoire, riche en histoire de comtes et d’abbés, représente le véritable cœur historique et culturel de la région.
Témoins de cette épopée de bâtisseurs inspirés, parmi lesquels figure le légendaire Abbé Oliba, prince royal et premier artisan de l’efflorescence architecturale médiévale dans nos montagnes, une centaine de monuments romans parsèment les villages. De ponts à dos d’âne en ermitages isolés, d’églises somptueuses en grandes abbayes, leur architecture sobre semble jaillir des paysages comme une floraison minérale, en hommage au silence des montagnes. Elles racontent la gloire de la Catalogne médiévale, la foi des moines et des moniales, et le rayonnement du pays dans le monde alors connu, grâce à l’excellence de ses copistes et enlumineurs. Première halte nécessaire, le col d’Ares à peine franchi, devant Sainte Cécile, la magnifique église de Mollo avec son très caractéristique portail latéral. Il est essentiel de bifurquer vers le merveilleux village de Beget, avec ses deux ponts à arche unique, ses maisons montagnardes impeccablement alignées le long des rues pavées et surtout, son église romane où trône une des plus belles majestés de Catalogne, une statue hiératique et mystérieuse de près de deux mètres de hauteur, créée au XIIe siècle. Une merveille ! À Camprodon, la petite capitale de cette première vallée articulée par le Riutort, très animée et commerçante, vous attendent l’église romane Saint Pierre et surtout l’emblématique pont asymétrique à arche unique en plein cintre, également roman. Jeté sur le Ter, il est fermé par une tour de défense qui ouvrait autrefois, moyennant péage, la route de la Cerdagne. La carte postale est magique et semble hypnotiser peintres et photographes. À Ripoll, capitale de la région, ne manquez sous aucun prétexte la visite de l’abbaye de Santa Maria, dont le scriptorium fut l’un des plus actifs du sud de l’Europe en matière d’écriture, de traductions et d’enluminures : 231 de ses précieux manuscrits nous sont parvenus malgré les vicissitudes de l’histoire et le tremblement de terre de 1428, que vous découvrirez en visitant le passionnant centre d’interprétation. Son portail du XIIe siècle, colossal, à contempler derrière un mur de verre par mesure de protection, est si monumental et sa facture si remarquable qu’il aspire à figurer au Patrimoine Mondial de l’Unesco : c’est un véritable arc de triomphe à la gloire de Dieu, une sorte de pont symbolique entre la terre et le ciel. Vous adorerez aussi le cloître aux chapiteaux historiés et la majesté de l’église basilicale, consacrée en 1032.
À fleur de légende
À Sant Joan de les Abadesses, découvrez un autre joyau qui marie habilement le présent et le passé, le réel et la légende. L’abbaye, érigée en plein cœur de la ville, tourne son chevet vers les passants, marquant ainsi son désir de retrait. À l’origine un couvent, d’où son nom de Saint Jean des Abbesses, l’église romane, remaniée à l’époque gothique, possède de somptueux retables baroques et s’adosse à un cloître trapézoïdal aux proportions harmonieuses. Elle abrite une incroyable descente de croix, baptisée « le Saint Mystère » et une Pietà contemporaine signée Josep Viladomat. Le Palais de l’Abbaye, une ancienne dépendance dotée d’un cloître miniature, abrite l’office de tourisme et un centre d’interprétation dédié, en partie, à la figure légendaire du Comte Arnau, éternellement damné pour ses péchés de chair avec les nonnes et ses exactions envers ses vassaux et ses infortunés sujets. Ce personnage funeste a inspiré de nombreuses œuvres musicales, littéraires et picturales, que vous pourrez découvrir au centre d’interprétation. Juste à côté, l’Espace Artistique de l’Abbaye accueille des peintres contemporains. Vous pourrez terminer votre visite en admirant des maquettes de tous les monuments du Ripollès, ce qui vous aidera à mieux vous repérer lors de vos pérégrinations. À quelques kilomètres, le devant d’autel de Sant Esteve de Llanars dévoile un pantocrator dans une mandorle qui mérite votre détour. Plus à l’ouest, découvrez le charmant village de Dòrria, une immersion fascinante dans le passé de ces hautes vallées. Son église possède de magnifiques peintures murales représentant les archanges Michel et Gabriel ainsi que deux signes du zodiaque : Gémeaux et Sagittaire. Enfin, visitez Vallfogona de Ripollès avec ses couverts et son conjurador, ou encore les charmantes rues de Setcases qui, bien qu’elles comptent désormais bien plus de sept maisons, ont su conserver une physionomie montagnarde attrayante. Elle décline son bréviaire de pierre et de bois sans perdre son authentique identité catalane. Il vous reste à découvrir l’église Sant Jaume de Queralbs dont l’élément le plus intéressant est le porche, soutenu par des colonnes en marbre bleu. Ses chapiteaux historiés révèlent une forte influence roussillonnaise, évoquant le cloître d’Elne. Toutes ces merveilles sont enchâssées dans l’architecture des villages comme pour tresser au plus intime la terre et le ciel, mais aussi, célébrer la noblesse du travail des hommes. Dans toutes les Pyrénées Catalanes perdure la légende des « vierges trouvées », découvertes le plus souvent par hasard suite à un coup de pied de bovin. C’est le cas de la « Vierge du Lait » du sanctuaire de Santa Maria de Mongrony, un hameau du village de Gombrèn, littéralement creusé dans la falaise et desservi par un escalier vertigineux. Son histoire remonterait à l’an 804 ! Les femmes allaitantes y viennent encore y prier pour la santé de leur enfant. Au sommet de la falaise s’élève l’église Sant Pere. Le site est particulièrement beau et offre des vues extraordinaires sur la montagne et la comarca. Impossible de poursuivre votre visite sans une halte au Château de Mataplana, dont subsistent quelques vestiges, notamment la chapelle dont le chœur est en forme de fer à cheval.
La montagne au plus profond
Étonnamment, il n’est pas situé en hauteur et était donc, sans doute pensé comme une résidence, dotée à l’origine d’une tour circulaire. Ici vécut la lignée des barons de Mataplana, dont la figure de proue fut le troubadour Hug de Mataplana, protecteur de ses pairs Guillem de Berguedà et Ramon Vidal de Besalú. On dit même que le terrible Comte Arnau y aurait vécu ! Le petit musée attenant possède quelques reliques, telles que des plats en étain, un échiquier en ivoire, ou encore un sceau pontifical. Vous ne manquerez pas de noter, un peu partout, sur les collines qui dominent les villages, la présence des ruines de châteaux forts disparus, souvent surmontées d’un fier drapeau catalan. Enfin, parmi les incontournables, il est impossible de ne pas mentionner le sanctuaire de Núria, auquel vous accéderez par un train à crémaillère qui franchit gorges et lacs. Nous y reviendrons. À côté de ces élans spirituels aux traces sublimes, le Ripollès a su préserver ses racines. C’est une terre de traditions, pastorale, agricole, artisanale, et aussi, grâce aux gisements de fer et de charbon des Pyrénées, ainsi qu’aux cours bouillonnants du Freser et du Ter, un haut lieu industriel visité dès la fin du XIXe siècle par la Fée Électricité. Rendez-vous au Musée Ethnographique de Ripoll pour découvrir ce monde de prairies et de champs éclairé par la flamme ardente des forges catalanes, cet ancêtre des hauts fourneaux à très forte technologie répandu dans toute l’Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle. La vie quotidienne de ces générations laborieuses se dévoile au fil de visites guidées, comme celle de la Farga Palau de Ripoll ou du Molí Gros de Capdevànol. Vous saurez tout sur l’extraction du fer du Canigou à l’espace Pyrfer, mais aussi sur la fabrication des armes et de la clouterie. Des visites en 3D, didactiques et spectaculaires, vous permettront de mieux connaître les 22 églises de la comarca. Par ailleurs, le Musée minier d’Ogassa vous renseignera sur les exploitations de charbon. Le Ripollès n’est pas avare de ses ressources et a su en tirer le meilleur parti, qu’il s’agisse de la taille de pierres qui a fait naître maisons et églises, ou encore d’extraire des entrailles de la terre les forces motrices indispensables à son développement. Le second berceau de la Catalogne, marqué par la puissance de ses comtes et de ses abbés, regorge de hauts lieux historiques. Ses mémoires paysannes et ouvrières se croisent pour dessiner une épopée humaine frappée au sceau d’une catalanité immémoriale.
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