03 Oct Le Safran, de pourpre et d’or
Quand safran rime avec talent et catalan… Du nord au sud de la Catalogne, de plus en plus de producteurs-cueilleurs se sont entichés des tapis pourpres de « crocus sativus ». Ces superbes fleurs de l’aube, récoltées manuellement selon un savoir-faire ancestral, se transforment en « or rouge » dès l’automne venu. Trois filaments rouges délicatement séparés des pétales font alors office d’épice la plus précieuse et la plus chère du monde. Quand le climat méditerranéen fait encore des miracles !
J’aime tellement l’aube. Je la gobe comme une aubaine. Elle représente ce moment magique où la nuit cède lentement sa place au jour. Elle est cette enveloppe où les ombres s’estompent peu à peu. Le wwwwsilence de la nuit est remplacé par les premiers murmures de la vie. Quand les étoiles pâlissent et que l’horizon s’embrase de teintes rosées et orangées, j’entre en scène. C’est mon moment à moi, mon heure de gloire et d’espoir. Je suis un cueilleur-producteur pas comme les autres ! Je suis ce safranier chanceux qui, chaque automne, lorsque l’air se gorge de fraîcheur et que les jours raccourcissent, se prépare avec impatience pour la récolte du safran. Imaginez-moi, debout dans les lueurs du petit matin au milieu des champs de « crocus sativus ».
La cueillette : une course contre la montre qui se joue à l’aube…
Ces fleurs de safran s’étendent comme un tapis enchanté de pétales violets. Le spectacle est féerique. Le vent frais caresse les champs, les fleurs ondulent comme une mer de pourpre et de lavande. Dans l’air, un parfum subtil et envoûtant, mélange délicat de terre et de fleurs, annonce la récolte imminente. Dans ces instants précieux, le champ devient un tableau vivant dans lequel je me fonds avec délectation pour offrir au monde une poignée d’or rouge. Je n’ai que trois petites semaines pour profiter de ces aubes précieuses que la fleur choisit pour dévoiler son pistil. Alors, j’avance en silence et avec précaution entre les rangées pour cueillir la fleur du jour. Le calme est à peine interrompu par le bruissement des fleurs cueillies et le murmure des compagnons cueilleurs. Armé de mon petit panier en osier, je m’agenouille délicatement pour cueillir chaque fleur à la main. Minutieusement ! Il faut extraire les précieux stigmates rouges sans les abîmer. Chaque fleur contient trois filaments rouges, et c’est là que réside toute la valeur de cette épice précieuse. Depuis 2011, Laurent Diéval fait partie de cette rare communauté de safraniers. Installé à Oms entre les Aspres et le Vallespir, il a choisi de planter les bulbes de « crocus sativus » à 500 mètres d’altitude face à sa Majesté le Canigó. Le savoir-faire de Laurent est un exemple parfait de patience et de précision. Il le dit lui-même : « Travail des safranières vaut patience des dentelières ! » Car tout va très vite et tout doit être réglé comme du papier à musique. « La fleur est cueillie juste avant ou pendant son ouverture quand elle est gonflée par les premiers rayons du soleil. C’est hallucinant de voir à quelle vitesse les fleurs s’ouvrent. Parfois on cueille puis on se retourne une heure plus tard et les fleurs repoussent.
Après l’émondage, le séchage à température contrôlée
C’est une course contre la montre qui se joue dès l’aube ! On ramasse donc toujours les fleurs du jour, le plus rapidement possible, on les épluche puis on procède au séchage. Tout se fait dans la journée, sinon la fleur se dégrade. » Après 13 ans de dur labeur, Laurent Diéval produit et propose aujourd’hui un safran pur, en filaments entiers, sans « blanc », certifié « récolte manuelle de l’année » et millésimé, à l’instar d’une bonne bouteille de vin ! Vous l’aurez compris, la cueillette du safran est un art à part entière. Les mains expertes, délicates et rapides, pincent les fleurs du bout des ongles pour éviter de les amocher. Chaque crocus ne produit que trois stigmates rouges, les précieux filaments de safran. Une fois les fleurs cueillies, une nouvelle étape cruciale commence : l’émondage. Dans une atmosphère conviviale, les cueilleurs se retrouvent autour de la table familiale pour séparer les stigmates de façon quasi chirurgicale. L’opération nécessite une dextérité incroyable et une patience de métronome. Chaque filament doit être manipulé avec soin pour préserver sa pureté et son arôme incomparable. Le séchage, dernière étape du processus, est tout aussi délicat. Les stigmates sont placés dans des tamis et séchés à une température contrôlée, révélant progressivement leur couleur rouge profond et leur parfum envoûtant. Le résultat final est un trésor gastronomique qui trouve sa place dans les cuisines les plus raffinées, de la paella espagnole aux plats des plus grands chefs étoilés.
Les Arabes apportent la technique de culture du safran en Espagne
« Safran des Aspres » à Oms, « Safran Della Roma » à Sahorre et « Safran de Marie » à Espira de Conflent. Dans les Pyrénées-Orientales, ils sont actuellement trois à s’être entichés de cette culture ancestrale du safran dont les premières mentions remontent à la civilisation sumérienne, environ 2300 ans avant notre ère. Des tablettes d’argile découvertes dans l’actuel Irak mentionnent l’utilisation du safran pour ses propriétés médicinales et tinctoriales. Le safran s’est ensuite répandu en Perse (l’Iran actuel), où il a pris une importance majeure. Les Perses ont en effet perfectionné les techniques de culture et d’utilisation du safran, l’utilisant non seulement en cuisine, mais aussi en médecine et en cosmétique.
Au Moyen-Âge, le safran catalan considéré comme le meilleur du monde !
C’est la conquête de la péninsule ibérique par les Maures au VIIIe siècle qui introduit le safran en Europe. Les Arabes, grands connaisseurs de cette épice, apportent avec eux les techniques de culture du safran, qui se sont rapidement répandues en Italie et en Espagne. Au Moyen-Âge, le safran était extrêmement prisé en Europe, utilisé comme épice, médicament et colorant. Sa valeur était telle qu’il était souvent considéré comme une monnaie d’échange. Saviez-vous que le safran a historiquement été l’un des produits commerciaux les plus chers au monde par unité de poids ? Malgré son prix élevé, sa culture a progressivement diminué, principalement en raison de l’excès de main-d’œuvre nécessaire. Imaginez qu’il faut 250 000 fleurs pour un seul kilo de safran, vendu jusqu’à 45 000 euros ! Si la France, avec ses régions telles que le Quercy, le Gâtinais et à petite échelle les Pyrénées-Orientales ont repris cette tradition ancestrale, la Catalogne Sud a quant à elle mis un énorme coup d’accélérateur sur la récupération de la culture du safran. Déjà au bas Moyen-Âge, le safran était un produit d’échange et de production important dans les régions de la Conca de Barberà, l’Alt Gaià, l’Urgell, la Segarra, et le Bages. Parmi les grands marchés, au cours de la première moitié du XVe siècle, on trouvait Sant Cugat, Rubí, Sabadell, Manresa, Vilafranca del Penedès, Igualada, Santa Coloma de Queralt, Cervera, Tàrrega et Balaguer. Au début du XVIIIe siècle, les premières mentions de la culture du safran se situent à Rocafort de Queralt. De nombreux paysans vendaient le produit obtenu à Santa Coloma de Queralt. À Rocafort de Queralt, plusieurs commerçants faisaient affaire à l’étranger, y compris en Amérique via des émigrés de Rocafort partis à Cuba pour faire fortune.
Considéré à juste titre comme le meilleur du monde
Le safran de Catalogne était alors considéré comme le meilleur du monde selon certains textes anciens et références plus modernes ! Encore aujourd’hui, la culture du safran s’épanouit principalement dans les régions montagneuses et vallonnées, bénéficiant d’un climat méditerranéen propice à cette culture délicate. Plusieurs zones sont renommées telles que La Conca de Barberà et l’Alt Camp situées dans la province de Tarragone, mais aussi La Terra Alta, région montagneuse de la province des Terres de l’Ebre, caractérisée par des altitudes élevées et des sols bien drainés. En 2008, le projet Aromis décidait d’accompagner les producteurs de safran et de promouvoir les exploitations familiales. Aujourd’hui, ils sont 25 safraniers de la Conca de Barberà et de la Segarra à perpétuer ce savoir-faire et à commercialiser le safran cultivé et certifié écologique. Nous pouvons être fiers, nous les safraniers catalans ! Grâce à nous, le safran continue d’être célébré non seulement pour ses utilisations culinaires et médicinales, mais aussi pour son rôle culturel et historique. Cette épice, véritable trésor, demeure un symbole de raffinement et de tradition, perpétuant une histoire millénaire à travers chaque filament délicatement récolté. Plus qu’une simple épice, c’est un héritage vivant, un pont entre les civilisations anciennes et modernes, un témoignage d’ingéniosité.
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