02 Déc LE THEATRE-MUSEE DALI DE FIGUERES
En presque cinquante ans, le Théâtre-Musée Dalí a révolutionné la physionomie de Figueres dont il est devenu la principale attraction touristique. Le Divin a tiré sa révérence avec toute son élégance et tout son génie de la communication. Mieux encore, il a organisé pour l’avenir la part terrestre de son éternité. Au cœur de son Empordà natal, bien sûr.
« Où donc, sinon dans ma propre ville, ce qui est le plus extravagant et le plus solide de mon œuvre doit-il être conservé ? » se demandait Dalí. Il posait ainsi d’emblée la question de la mémoire et la plaçait au centre de ses préoccupations artistiques : ne pas avoir été juste un météore-trublion, laisser une trace tangible… Mais aussi, et surtout, occuper la scène. Dans ce dernier domaine, il faut le dire, Dalí excellait ! En 1948, malgré le succès connu pendant son exil new-yorkais et l’oppression de la dictature franquiste qu’il avait fuie, Dalí regagne sa Catalogne. Orphelin depuis trop longtemps de la lumière méditerranéenne, il s’établit à Port-Lligat dans une modeste maison de pêcheurs d’où il s’offre quelques escapades à Paris tout en peaufinant son personnage de foldingue et de grand-prêtre du surréalisme. à la télé, il apparait toutes moustaches dehors pour proférer des incantations mystérieuses qui sont en réalité des comptines catalanes. Ne pas comprendre cet enracinement catalan, c’est passer à côté de Dalí. Avec son épouse, Gala, érigée au rang de muse absolue, il devient une icône excentrique de la publicité, et même, pour tout dire, une marque à part entière avec toute l’approche marketing qui s’y rattache. Dalí a grandi à Figueres où son père était notaire et a toujours cultivé un lien très spécifique avec sa ville pourtant cadre d’une enfance sombre et solitaire. L’idée du musée fut donnée par Ramon Guardiola, avocat qui aimait aussi l’art. Devenu maire de Figueres en 1960, il demande à Dalí de faire don d’une œuvre au Musée de l’Empordà. La réponse du Maître ne se fait pas attendre, pour Figueres, il offrira non pas une œuvre, mais un musée tout entier. Il décide de reconstruire entièrement et sous ses ordres l’ancien théâtre de Figueres, incendié à la fin de la guerre d’Espagne et jamais restauré, afin d’en faire un écrin pour ses œuvres. à ce choix péremptoire, Dalí donne trois raisons : « je suis un peintre théâtral, c’est juste à côté de l’église où j’ai été baptisé, et c’est dans le vestibule de l’ancien théâtre que j’ai fait ma première exposition ».
Techniques éblouissantes
La réalisation du projet a nécessité beaucoup de temps et d’argent. L’inauguration officielle a lieu en septembre 1974. Dès l’inauguration, le Théâtre-Musée Dalí fut très apprécié du public et devint le deuxième musée le plus visité en Espagne après le Musée du Prado de Madrid. Bien que Dalí avait manifesté sa volonté de reposer à Pubol, tout évoque un mausolée, comme s’il avait eu l’intuition de construire sa dernière demeure. Et en effet, au dernier moment avec l’accord du maire de l’époque, Marià Locade, il a décidé de reposer au cœur de son musée. La coupole qui surmonte la silhouette de forteresse du musée ressemble à une sorte d’allusion au Taj Mahal mais est aussi à lire comme celle d’un observatoire. Ne dit-il pas : « Il est évident qu’il existe d’autres mondes, c’est certain, mais je l’ai dit à maintes reprises, ces autres mondes se trouvent dans le nôtre, ils résident sur la terre et plus précisément au centre de la coupole du Musée Dalí, où se trouve tout le nouveau monde insoupçonné et hallucinant du surréalisme ». à partir des années 70, Dalí se consacre donc corps et âme à l’élaboration du projet, marqué par la démesure et de nombreuses difficultés malgré l’énormité du legs qu’il suppose. Les collections de la Fondation Gala – Salvador Dalí regroupent en effet toutes sortes de supports : peintures, dessins, sculptures, gravures, meubles, hologrammes, stéréoscopies, photographies… Le Théâtre-Musée en expose 1500 sur trois espaces muséaux distincts qui offrent au visiteur un parcours libre et personnalisé. Le Théâtre-Musée proprement dit est un véritable objet d’art en soi, totalement pensé par Dalí comme une œuvre plastique. Ensuite viennent les salles créées par les agrandissements successifs. Elles abritent de nombreuses œuvres léguées par Dalí, des installations stéréoscopiques, des anamorphoses et aussi, les nouvelles acquisitions de la Fondation. Enfin vient l’espace Dalí-Bijoux qui présentent les 39 bijoux d’or et de pierres précieuses de l’ancienne collection Owen Cheatham, deux bijoux forgés ultérieurement ainsi que tous les dessins et peintures préparatoires. Le Théâtre-Musée est pensé comme un itinéraire au cœur du cheminement artistique du peintre, depuis ses toutes premières expériences artistiques dans les champs de l’impressionnisme, du futurisme et du cubisme à ses créations surréalistes et jusqu’aux œuvres de fin de vie. La juxtaposition des styles et des époques permet de prendre la mesure de la maîtrise technique, éblouissante et de voir se dessiner les grands thèmes de l’inconscient, de la psychanalyse, de l’érotisme et de la transcendance. Parmi les tableaux les plus célèbres de la collection : Autoportrait avec l’Humanité (1923), Port Alguer (1924), le Spectre du sex-appeal (1932), Portrait de Gala avec deux côtelettes d’agneau en équilibre sur son épaule (1933), Autoportrait mou au bacon frit (1941), Poésie d’Amérique – Les athlètes cosmiques (1943), Leda anatomique (1949)… Pourtant la spécificité qui distingue ce musée de tous les autres, c’est qu’une certaine partie des œuvres exposées a été peinte ou sculptée pour le musée y compris les très complexes installations monumentales, ce qui renforce son caractère de testament. Ne manquez pas la salle Mae West, la salle Palau del Vent (Palais du Vent), le monument à Francesc Pujols et la Cadillac Pluvieuse.
Pourtant, malgré son narcissisme, Dalí a exprimé toute sa générosité en invitant des collègues et amis à partager son lieu comme son compagnon de route Antoni Pitxot ou Evarist Vallès. Ils rejoignent le cercle intime des peintres dont les œuvres ont accompagné toute sa vie et nourri sa collection particulière comme Le Greco, Marià Fortuny, Modest Urgell, Ernest Meissonier, Marcel Duchamp, Gerard Dou i Bouguereau. Ou encore des créations de John de Andrea, Wolf Vostell, Meifrén et Ernst Fuchs. Ce jeu de clés qui ouvre sur son processus de création une série de cercles magiques est couronné par la visite de la crypte où se trouve sa propre tombe, au centre du musée, comme si finalement, l’objectif était là, renouer avec les limbes du maître, boucler la boucle à quelques encablures de l’origine. Bien sûr, l’écrin architectural est à la hauteur délirante du tout, avec ses tours, ses pignons en forme d’œufs rutilants et ses miches de pain qui jettent comme une aura de mystère sur la ville et éclairent les murs d’ocre profond.
Pas de commentaire