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Le Torró d’Agramunt, croquez l’or sucré de la Catalogne !

02 Déc Le Torró d’Agramunt, croquez l’or sucré de la Catalogne !

Au cœur de la Catalogne, à Agramunt, le « torró » est bien plus qu’une douceur : c’est un art. Entre miel chaud et noisettes torréfiées, il raconte plus de deux cent cinquante ans de tradition artisanale. De l’atelier familial aux créateurs contemporains, chaque bouchée révèle un savoir-faire unique. Pas de fêtes de Noël sans touron. On ne déroge pas à la tradition. À Agramunt, le touron est une véritable religion gourmande qui vaut le pèlerinage. Entrer dans l’univers Vicens ou le petit atelier Fèlix, c’est retrouver la madeleine de Proust de Noël de tout bon Catalan.

Je suis le touron d’Agramunt et je t’emmène chez moi, dans l’Urgell, province de Lleida. Allez, viens. Pousse la porte de mes ateliers. Respire. Tu sens l’air chaud, gorgé de miel en fusion, de sucre qui caramélise, de wwwnoisettes fraîchement torréfiées. C’est ici que je prends vie, dans le grésillement des cuivres, le parfum des fruits secs et la cadence hypnotique des cuillères qui brassent ma pâte dorée. Je t’emmène d’abord dans les caves de Torrons Vicens, mes gardiens de mémoire. Les murs sentent encore la pierre et le bois ancien. Les machines de 1933 reposent comme des reliques, témoins d’une époque où chaque geste était poésie manuelle. Je suis donc né à Agramunt, quand les hommes savaient encore écouter le chant du miel chauffé. Mon histoire commence en 1741, dans des lettres jaunies où l’on parle déjà de mes premiers artisans, « les torronaires », gardiens d’un savoir qui unit le sucre, la noisette et la lumière. À cette époque, Agramunt n’était qu’un petit village champêtre, mais déjà le parfum du miel flottait dans ses ruelles.

Aux origines du torró d’Agramunt

Lentement, ce parfum est devenu sa gloire. La petite ville s’est imposée comme la capitale du touron et du chocolat, un royaume d’odeurs et de flammes où les chaudrons bouillonnaient comme des alambics d’or. C’est une famille qui a tout fait basculer : les Vicens. En 1775, dans un atelier étroit aux murs noircis par la suie, naissait leur premier « torró ». Chaque Noël, chaque marché d’hiver, les Vicens pétrissaient la douceur comme d’autres forgent le fer, jusqu’à devenir les maîtres du touron d’Agramunt. À la fin du XXe siècle, la flamme vacille. En 2000, un homme la ravive : Ángel Velasco, artisan visionnaire, reprend la maison Vicens. Sous ses mains, la tradition retrouve sa vigueur. Il parvient à bâtir un véritable empire sucré, composé de soixante-quatre boutiques, sept cents artisans et plus de six millions de kilos de tourons qui sortent chaque année des fours d’Agramunt. Décédé en 2022, son fils, Ángel Velasco Herrero, a pris la relève et poursuit aujourd’hui l’expansion de cette maison emblématique. Suis-moi maintenant dans l’atelier moderne, entre cuves d’acier, tables en inox et artisans coiffés de charlottes bleues. Les mains y sont rapides, elles glissent ma pâte encore tiède entre deux « obleas », fines comme des voiles de soie. Les coups de couteau sont nets, précis, presque chorégraphiques. Je suis découpé en tablettes parfaites, encore tièdes, luisantes comme des pierres précieuses. Chez les Vicens, la tradition est respectée. Tout commence par le choix de mes amandes et de mes noisettes : fières, dodues, parfumées comme la terre d’où elles viennent. Et le patron Velasco d’expliquer : « Les amandes et le miel viennent d’ici, c’est-à-dire de l’Urgell et des comarques voisines, mais aussi du nord du pays valencien, vers Castelló de la Plana, et de l’île de Majorque. Quant aux noisettes, ce sont des negretes de Reus, une variété idéale pour le touron, car elle fond dans la bouche ». On les fait dorer lentement, jusqu’à ce que la torréfaction libère cette odeur chaude, beurrée, presque charnelle. Alors l’atelier s’embrase d’un parfum de fête. Le miel, mon sang doré, se mêle au sucre dans un bouillonnement de lumière. Sous la chaleur, ils se transforment en une rivière ambrée qui coule, épaisse, collante, vivante. Puis vient le blanc d’œuf, battu comme un vent léger. Il m’offre mon souffle, ma légèreté, ma promesse de croquant. Quand on verse les fruits secs dans cette mer brûlante, je craque, je ris, je m’assemble. Chaque noisette s’enrobe, chaque amande se pare d’or, et le parfum du miel s’élève, intensément sucré. On me couche ensuite dans mes moules, entre deux fines feuilles de pain d’ange. Je repose, je durcis, je deviens « torró ». Ma peau brille d’un brun clair, mon cœur est plein de chaleur et de croustillant. Quand on me coupe, écoute… Un clac net, un crac du sucre qui se brise. Ma pâte présente une couleur brun doré, légèrement fragile et croquante. Le pourcentage minimal d’amandes ou de noisettes varie de 46 % à 60 %, selon que le nougat est de catégorie « extra » ou « suprême ».

Torrons Vicens, la flamme du savoir-faire

Pour ma fabrication, les noisettes sont torréfiées, puis pelées après refroidissement. Pour les amandes, l’ordre de ces opérations est inversé. Le miel et les sucres sont ensuite cuits avec du blanc d’œuf frais, ou son équivalent en poudre, avant d’y incorporer les amandes et les noisettes. Tu me trouveras et tu m’emporteras sous forme de tablettes rondes ou rectangulaires, de 30 grammes à plus d’un kilo. Au fait, le savais-tu ? Depuis 2002, moi, le « torró d’Agramunt », je bénéficie de l’Indication Géographique Protégée (IGP), reconnue par le Département de l’Agriculture. Torrons Vicens présente chaque année de nombreuses nouveautés mêlant innovation et tradition, comme la ligne Sinergia, élaborée avec des chefs renommés tels que Quique Dacosta et le célèbre Jordi Roca. « Nous essayons toujours de proposer des créations plus audacieuses et originales, sans jamais renier nos racines », s’enorgueillit Velasco. Aujourd’hui, imaginez : j’ai plus de deux cent cinquante ans et je n’ai rien perdu de mon éclat. Je suis le « torró d’Agramunt », le souffle sucré de la Catalogne. J’ai vu les siècles passer, les modes s’effacer, mais jamais le goût du miel ne s’est tu. Car tant qu’il y aura des mains pour me tourner, des flammes pour me nourrir et des cœurs pour s’en émouvoir, je renaîtrai dans la lumière dorée d’un chaudron Vicens. Mais pas seulement… Une poignée d’autres ateliers veille aussi sur moi. Ils perpétuent mon âme, alliant gestes d’autrefois et audace contemporaine. On trouve ainsi les Jolonch, les Roig, les Lluch, qui proposent des tourons 100 % écologiques. Sans oublier « Torrons Fèlix », à Agramunt. Un petit atelier caché dans une maison de quartier, une maison de famille dirigée par Zoé Fèlix, jeune avocate au dynamisme époustouflant.

Une tradition catalane au goût éternel

Elle incarne la deuxième génération, parle avec passion et plaide sans concession pour un touron d’excellence. Son projet a commencé avec son père qui, à 13 ans, découvre sa vocation dans un petit atelier de pâtisserie de la Val d’Aran. Zoé a repris le flambeau en conservant l’âme de l’atelier : qualité, travail soigné, passion pour l’artisanat, tout en insufflant sa touche moderne avec des tourons d’auteur, véritables œuvres d’art gourmandes pouvant nécessiter jusqu’à trois jours de préparation, et devenus les stars de la maison. Et pour que chacun savoure pleinement le « torró », Zoé organise des dégustations sensorielles, transformant chaque bouchée en une véritable expérience. La force de Torrons Fèlix ? Une qualité irréprochable. Chaque étape de fabrication est artisanale, des matières premières locales jusqu’au produit fini, comme le faisaient les anciens torronniers. « Il n’y a absolument rien d’industriel chez nous ! Nous n’utilisons aucun conservateur ni additif colorant. Pour le miel, par exemple, nous utilisons uniquement un miel à l’orange, afin de donner un goût citrique sans ajouter de sucre. Nous travaillons également selon la méthode du bain-marie. » Vous l’aurez compris : je suis entre de bonnes mains ! À tel point que, depuis 36 ans, Agramunt célèbre la « Fira del Torró i la Xocolata a la Pedra ». Un événement de référence dans le calendrier des foires catalanes, qui se tient le deuxième week-end d’octobre. Née en 1988 à l’initiative d’un marché du touron, la Fira a évolué pour devenir un véritable point de rencontre du monde du sucré et des produits agroalimentaires de qualité. Cette année, sur deux jours, la foire a attiré près de 80000 visiteurs, pour 50 exposants et 130 stands ! C’est dans l’Aula del Gust, située dans le pavillon du sucré, que les torronniers et chocolatiers d’Agramunt ont exposé leurs dernières créations, visant à rendre le « torró » présent sur les tables tout au long de l’année. Au-delà des pavillons, la foire s’étend dans les rues, jusqu’au pied de l’église. En Pays Catalan, il est inimaginable de fêter Noël sans moi ! Dans tous les territoires, y compris la Catalogne Nord, qui, malgré la francisation, a conservé cette tradition de Noël, on me mange et on me fabrique sur l’ensemble du territoire de langue catalane : à Perpignan et Amer, à Barcelone, Reus et Agramunt, à Catí (Castellón) et Xixona (Alicante), à Ciutadella, Maó (Minorque) et à Majorque. On me produit également de manière artisanale dans d’autres villes : de Santa Coloma de Farners à Mataró, de Tremp à Maó. Comme le dit le proverbe : « Noël sans tourons, Noël de personne » (Nadal sense turrús, Nadal de degús, en prononciation roussillonnaise). Une inscription que l’on retrouve, d’ailleurs, sur les jolies boîtes en fer lithographié, suivant l’ancienne tradition d’emballer les tourons (Xixona, Ciutadella…), encore pratiquée en Catalogne Nord. La Confiserie du Tech, excellente maison de Cabestany, près de Perpignan, continue à m’honorer. Alors, sache-le : je ne suis pas qu’une confiserie de Noël. Je suis la mémoire d’un pays, le parfum d’un marché d’hiver, le frisson doré d’un artisanat qui ne ploie pas sous le poids des siècles. Je suis le craquement de la noisette, le murmure du miel, la chaleur d’un foyer catalan. Et chaque fois que tu me goûtes, c’est un peu de cette histoire qui fond sur ta langue.

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