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L’Empordà : terre d’éternité

01 Sep L’Empordà : terre d’éternité

Toutes les fées, ou plutôt tous les peuples, se sont penchés sur le berceau de l’Empordà, laissant des traces qui sont autant de trésors à découvrir et de sources d’inspiration inépuisables pour les artistes. Petite visite guidée…

 
emporda6Sous le signe de la pierre…

L’Empordà est la région la plus importante de Catalogne, en termes de traces mégalithiques. On ne compte pas moins d’une centaine de menhirs et de dolmens entre les Albères et la Serra de Rodes. A ne manquer sous aucun prétexte, la Creu d’en Corbetella à Roses, une chambre funéraire de 12 m² avec couloir, formée de dalles de granit, nantie d’une sorte de porte matérialisée par deux montants de pierre, et d’un auvent. Sur le sol, des traces subsistent de ce qui fut probablement un corridor circulaire. A proximité, les archéologues ont trouvé des ossements mais aussi des céramiques élaborées. Le site a été peuplé entre 2 500 et 2 100 avant Jésus-Christ.

Sur la route des Ibères…

A côté, les sites ibères d’Ullastret et de Palamòs, (Castell de la Fosca), font figure de jeunots, ils ne datent que du VIIe siècle avant Jésus Christ ! Mais ce sont de vrais villages, dont l’urbanisme s’adapte parfaitement aux contraintes du relief. Les pentes sont domptées par des terrasses, les citernes et silos creusés dans la roche. Les murs d’enceinte alternent des tours carrées et rondes, de manière à bien contrôler les angles morts. Des restes de colonnes semblent attester la présence de temples. Vous ne manquerez pas d’être surpris par cette culture déjà sophistiquée. A Ullastret, un petit musée, aussi ludique que didactique, vous rendra imbattable sur le sujet.

Venus de la mer…

Un siècle plus tard, les Grecs arrivaient à Empúries où ils construisirent le temple d’Esculape et le brise-lames hellénistique, suivis en -218 des Romains. La ville que vous visiterez aujourd’hui est donc gréco-romaine avec son forum, la porte principale de ses remparts et surtout, les sublimes mosaïques des maisons patriciennes. Une vraie splendeur ouverte sur les vagues et l’horizon. Plus étrange et intemporelle, la Ciutadella de Roses qui s’impose comme une sorte de condensé d’histoire locale. Entourés de remparts, cohabitent en effet des vestiges d’époques très différentes : deux sites grecs, une villa romaine, une église romane et une petite cité médiévale ! C’est un ensemble si unique et atypique qu’il fut reconnu ensemble historique national sous Franco en 1961, à une date où les cadeaux du pouvoir à la Catalogne brillaient par leur rareté.

emporda7Un acte de naissance médiéval…

La féodalité est l’acte de naissance de la Catalogne et de son organisation territoriale en comtés, souvent structurés autour de monastères et de couvents. L’Empordà possède donc des fleurons nés à l’époque des grands comtes-rois, qui souvent, ont été construits sur des sites plus anciens. C’est le cas de Sant Martí d’Empúries, une ancienne île peuplée neuf siècles avant J-C qui entretint des liens commerciaux avec les Phéniciens, les Phocéens et la civilisation punique. La muraille médiévale est bâtie sur les remparts grecs et l’église (1538) sur un ancien temple dédié à Artémis. Ce fut la première capitale comtale, dont on trouve mention dès 1064. Un peu plus loin, Castelló d’Empúries, qui devint capitale comtale, un peu plus tard. C’est un ensemble remarquable avec son call (quartier juif), ses couvents augustin, dominicain et des clarisses, ses remparts et sa prison du Xe siècle. L’église gothique, baptisée « la cathédrale », malgré le fait qu’elle ne le fut jamais, est l’une des plus intéressantes de Catalogne. Elle abrite des fonts baptismaux romans, des vitraux gothiques, deux sarcophages comtaux, et deux retables de toute beauté, l’un en albâtre sculpté au XVe siècle, un second, le « Retaule dels Dolors » de pur style baroque. Evidemment, tout le monde connaît le château de Perelada pour son casino et son festival d’été. C’est oublier un peu vite les remparts, le château gothique, remanié plusieurs fois mais toujours aussi altier, la beauté de ses jardins et surtout, sa fantastique bibliothèque conçue autour de la figure de Don Quichotte.

Sous le regard de Dieu…

Le patrimoine sacré n’est pas en reste, avec la canoniale augustine de Vilabertràn, son église à trois nefs, son clocher lombard et son superbe cloître. Vous pourrez y admirer une pièce d’orfèvrerie catalane du XVe siècle, une croix magnifique et jouir de la paix qui habite littéralement les pierres. Mais le bijou absolu est ailleurs. Fièrement planté au-dessus du Cap de Creus s’élève le monastère bénédictin de Sant Pere de Rodes, un joyau de l’art roman documenté dès 878, près du village de Santa Helena et du Château de Vidrera. C’est un lieu pour lequel les adjectifs les plus extrêmes tombent à plat. Un lieu à vivre, entre la mer et le ciel. Un lieu que la foi des hommes accompagne malgré le départ des moines en 1798. Un monastère suspendu dans le temps et l’espace, qui appelle à la ferveur dans un cadre grandiose. Vous pouvez également visiter Sant Quirze de Colera ou Sant Miquel de Fluvià. L’Empordà saura vous surprendre.

Le Moyen-âge, un âge de lumière…

Le Baix Empordà, possède entre autres merveilles, le très joli village médiéval de Pals avec son enceinte gothique et ses demeures nobiliaires de pierre blonde. Le donjon, également connu sous l’appellation « Torre de les Hores » (tour des heures) puisqu’il fit office de clocher, est miraculeusement resté debout. La Bisbal, capitale de la comarca, siège, comme son nom l’indique, de l’évêché, prend des airs d’Avignon avec son palais épiscopal, un des exemples les plus brillants de l’architecture civile catalane. Construit au XIe siècle sur un plan carré, il présente en rez-de-chaussée des écuries, un pressoir à vin et une geôle. Le premier étage accueille la salle capitulaire, les appartements de l’évêque et sur la terrasse crénelée une chapelle romane consacrée à Sainte Anne. Elle est surmontée d’une petite tour de guet également crénelée. Ce magnifique édifice agrandi au fil des siècles et notamment, pendant la Renaissance, abrite les archives historiques de la comarca.

emporda8Une terre de départ

Au XIXe siècle, la vigne est frappée par le terrible fléau du phylloxera, amenant des centaines de paysans à la ruine dans un pays où le vin est le sang de la terre. Des centaines de jeunes gens décident donc de partir pour les lointaines colonies espagnoles d’Amérique du sud et de la Caraïbe pour y faire fortune. Comme ils empruntent la fameuse route des Indes suivie par Christophe Colomb, on les appelle les « indians ». C’est la plupart du temps cousus d’or qu’ils reviennent au pays où ils construisent des maisons à colonnades et à bardeaux blancs, et ramènent des habitudes culinaires parfumées d’épices exotiques. La côte de l’Empordà a gardé la mémoire de ces « Americans » à Begur, qui a carrément créé un festival autour de cette culture particulière, à Palafrugell ou encore à Calonge-Sant Antòni. Ce sont aussi les ports où l’on chante encore ces chansons de marins nostalgiques et rythmées, les « havaneres », ramenées, comme leur nom l’indique de Cuba. Décidément, l’Empordà offre tous les voyages.

La patrie de Dalí

Ne comptez pas comprendre l’immense peintre que fut Dalí sans l’imaginer vigatanes aux pieds, sur sa terrasse de Port-Lligat. Ça tombe bien, sa maison, formée à l’origine de plusieurs cabanes de pêcheurs, se visite. Derrière le mondain excentrique, on entrevoit un paysan enraciné qui contemple la mer. Même sentiment d’appartenance farouche à cette terre au château de Púbol. Pour offrir à sa belle Gala, arrachée de haute lutte à Paul Eluard, une demeure digne d’elle, le divin Dalí choisit un vrai château médiéval dans lequel il donne cours à tous ses fantasmes pour honorer la femme de sa vie et donner à lire une histoire d’amour en tous points atypique. Là encore, le château-musée est ouvert à la visite. Mais le testament de l’artiste est ailleurs : à Figueres, dans son théâtre musée dont il a entièrement assuré la scénographie. Port-Lligat où il vécut une amitié incandescente avec Garcia-Lorca, Púbol, le mausolée de Gala et le musée ultime de Figueres sont trois facettes complémentaires de l’un des génies du XXe siècle, qui éclairent à la fois l‘homme et l‘œuvre.

Donner à vivre

Loin des excentricités de Dalí, Josep Pla, retiré à la fin de sa vie dans sa maison de Llofriu et demi-pensionnaire au Motel Empordà, amoureux des paysages, de la cuisine, des petites gens de l’Empordà, imposait la puissance tellurique de sa plume. Voici comment il voyait, les jours de tramontane, quand l’air devient tranchant et clair, le Canigou se dessiner à l’horizon : « Le Canigou semblait s’être prodigieusement rapproché. Couvert de neige légèrement rosée, il ressemblait à un énorme diamant. Sur ses épaules de pachyderme, la géométrie de ses arêtes étincelait d’éclats roses et bleus. La montagne exprimait une indifférence fascinante. Une force d’une beauté éblouissante qui aimantait le regard. »

Tous les arts se confondent depuis le premier matin du monde pour donner à l’Empordà sa magie particulière, inspirés sans doute par l’inépuisable beauté de ses paysages.

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