VOTRE MAGAZINE N° 133 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 133 EST EN KIOSQUE

L’Empordanet

01 Juin L’Empordanet

Certains diminutifs peuvent être trompeurs… patrimoine, sites grandioses, côte féerique, l’Empordanet a tout d’un grand.
Entre les deux Empordà, la barre altière du Montgrí semble dessiner une frontière pincée entre deux fleuves aux embouchures parallèles, le Fluvià au nord, le Ter au sud. Et l’impression n’est pas fausse car cette apparente symétrie ne tarde pas à s’estomper. Le Baix Empordà, surnommé « Empordanet » est une terre au caractère bien tranché ! Une terre cerclée de montagnes modestes dans l’absolu, mais qui, à l’aplomb de la mer, paraissent gigantesques : les Gavarres et les montagnes de Begur. Ainsi protégée, la comarca affiche une unité farouche qui n’a cessé de s’affirmer au fil des siècles.

Empordanet3La clarté ibère

Dès la nuit des temps, des hommes peuplent les grottes des montagnes, et y érigent mégalithes et dolmens. Mais ce sont les Ibères qui laissent sur ces terres la première marque de civilisation urbanisée et organisée. La visite de la cité ibère d’Ullastret révèle un peuple raffiné, fin connaisseur de l’architecture civile et militaire, capable d’organiser la vie collective et d’échanger avec l’extérieur.

Un fief franc

La proximité de Roses (Rhode) et d’Empúries place la région aux avant-postes de la romanisation et les vestiges, quoiqu’épars et plutôt sous forme de villas, ne sont pas rares. Après le départ des Wisigoths, sa position septentrionale permet par la suite à l’Empordanet de se trouver au cœur du système féodal franc : l’occupation musulmane sera de très courte durée, juste soixante ans.

Bien différencié

L’Empordanet commence donc le Moyen-Age riche d’un substrat culturel multiple. D’emblée, les terres du sud du Montgrí se retrouvent pour partie sous l’autorité de l’évêque de Girona, pour le reste sous une baronnie issue de la puissante lignée des Cardona. Cette délimitation immatérielle mais patente se poursuit lorsque sont créées les vigueries : l’Empordanet appartient alors à celle de Girona, tandis que le nord relève de Besalú.

Empordanet1Un destin particulier

Si l’Empordanet subit comme toute la Catalogne, les vicissitudes de l’histoire liée aux grands conflits comme la guerre des faucheurs, la guerre de Succession d’Espagne ou les campagnes napoléoniennes, ces dernières s’avérant, à deux pas de la frontière d’état, particulièrement désastreuses pour la comarca, il se distingue par deux particularités historiques déterminantes.

Les razzias

D’abord, la menace des razzias : ses côtes, très exposées, font l’objet de fréquentes incursions barbaresques, accompagnées de razzias qui laissent le pays exsangue. Ainsi, en 1543, Palamós est dévastée par une « expédition » ottomane. Ce danger constant détermine la construction, partout, de chemins de ronde et de villages fortifiés qui façonnent la physionomie de la contrée.

Les americanos

Ensuite vient, dans un pays de vignes, le désastre du phylloxera qui contraint à l’exil deux générations poussées à embarquer pour les colonies et notamment pour Cuba. Ces « americanos », du moins ceux qui sont revenus au pays, ont laissé une empreinte « indienne » profonde, perceptible dans l’architecture, les jardins d’ornement, mais aussi dans les assiettes.

Des villages-joyau

Voilà qui explique presque tout : la catalanité rurale et hiératique du sublime village de Peretallada, une sorte de météorite médiévale tombée au cœur de la plaine fertile ; la beauté tranquille de Pals dont les maisons ceignent l’église en haut de la colline ; la diversité architecturale de Begur la farouche qui tend la main vers la mer et ses plages, sagement agrippée à la roche. Trois joyaux… un peu plus loin, les vestiges de seigneurs de Cruïlles et Monells, où la pendule semble marquer le pas, résolument ancrée dans le passé.

Empordanet2Une côte splendide

Et la géographie fait le reste. La plaine fertile, maraîchère et céréalière, butte sur la cordillère littorale hérissée de pins et de chênes verts avant de tomber dans la mer du haut d’une falaise, dans l’échancrure d’une crique ou la douceur d’une plage. Les villages côtiers ont souvent gardé leurs maisons chaulées, leurs ruelles pavées et cette architecture particulière en arcades qui permettait de stocker le matériel de pêche. Ne ratez sous aucun prétexte Calella, où la carte postale prend vie.

De port en port

Tout un monde se révèle de Torroella de Montgrí à Sant Feliu de Guixols : un monde de pêcheurs paysans, de chercheurs de corail, de ravaudeurs, de vignerons. S’il ne reste aujourd’hui que deux grands ports de pêche, Palamós et Sant Feliu de Guixols, les plages de galet accueillent encore la fatigue colorée des barques traditionnelles et, de port en port, se maintiennent des criées intimistes, réservées aux initiés et aux restaurateurs inspirés. Tribut de l’ère moderne, Palamós est en train de devenir une escale pour les croisiéristes !

Autant de perles

Près des aiguamolls, ces zones lagunaires au joli nom de basses d’en Call, délimitées par l’embouchure du Ter, s’est installée depuis des siècles la culture d’un riz rond et bombé, idéal pour la cuisine, le riz de Pals. Encore un bijou sur cette côte aux noms d’escale poétiques : Tamariu, Calonge, Llafranc, Palafrugell, qui jette dans la mer quelques îlots minéraux aujourd’hui inhabités, comme les îles Formigues ou les îles Mèdes.

Temple du goût

L’Empordà est le berceau de la cuisine catalane. Evidemment, l’incroyable variété des produits disponibles n’est pas étrangère à cette science de l’élaboration transmise dans le secret des cuisines familiales au fil des siècles. Conscients de cet héritage, des passionnés ont remis au goût du jour de très vieux légumes autochtones comme la scarole à cheveux d’ange, le pois à œil blond, ou le navet noir.

Campagnes gastronomiques

Le riz de Pals, les gambes de Palamós, les bunyols, la botifarra dolça (boudin doux), le recuit (fromage blanc) peuplent les cartes de tous les restaurants et pas moins de quatorze campagnes gastronomiques scandent l’année, consacrées à l’oursin, aux marmites de poisson, à la cuisine du riz, aux clovisses, aux gambes, aux pommes, aux langoustines, aux champignons, aux plats mijotés, au poisson de roche, au poisson bleu… il y a toujours une campagne en cours dans l’Empordanet et vous tombez bien car de mai à juillet, gambas et poissons, bleus et de roche, sont à l’honneur !

Divin Bacchus

Pour ceux qui croiraient que le phylloxera a eu raison de la vigne, pas d’affolement ! Le Catalan est têtu de nature, il a donc patiemment replanté, et plutôt mieux. Ne boudez pas les vins de dénomination Empordà, ils vous surprendront par leur qualité et leur variété. Les blancs ont quelque chose d’italien dans leur hésitation entre tranquillité et bulles, et les rouges, capiteux, veloutés, emportent toutes les adhésions.

Capitale épiscopale

Ce pays méritait une capitale digne de ses richesses. La Bisbal relève le défi avec élégance. Son horizon strié de minces cheminées, allie esprit industriel et splendeur du patrimoine médiéval. Le château-palais des évêques de Girona, un chef-d’œuvre civil de l’art roman construit au XIe et XIIe siècle, s’adosse aux remparts dont subsiste une porte quasi intacte. En vous promenant dans les ruelles, vous ne manquerez pas de croiser des églises, ville épiscopale oblige, et vous traverserez le Call, l’ancien quartier juif. Le vieux pont, dans la simplicité de ses arches jumelles vous séduira.

Capitale de la céramique

Mais bien sûr, à la Bisbal, on vient aussi pour la céramique ! Des dizaines de boutiques proposent toutes sortes d’objets en « céramique de la Bisbal » une marque déposée et contrôlée. Une cuisine ou une salle de bains à carreler ? De la vaisselle à acheter ? Ici, vous trouverez forcément votre bonheur. Sans compter que vous pouvez aussi dessiner et faire fabriquer dans toutes les couleurs imaginables. Numéros de rue, dessous de plats, bancs ou tables, rien n’échappe à la créativité de céramistes qui descendent souvent de véritables lignées d’artisans.

Loge de mer

Un conseil, ne manquez pas de faire un tour à Sant Feliu de Guixols. De son passé de ville royale, la ville garde un patrimoine civil et religieux de toute beauté, sans rien céder de ses charmes de cité balnéaire. Mais son trésor le plus précieux reste son cimetière moderniste, à la fois civil et catholique, une cité des morts unique, qui est aussi un musée lapidaire et statuaire hors pair : il mérite vraiment le détour !

Pays de tradition

Dans un pays qui conserve autant de savoir-faire et de secrets artisanaux ou culinaires transmis dans le secret des familles, la tradition est omniprésente. Le village de Verges célèbre la passion du Christ dans une procession macabre éblouissante qui attire des milliers de curieux, Begur célèbre sa fête indienne à grands renforts de musique cubaine et de plats épicés. Sur les plages de Calella résonne le rythme chaloupé et langoureux des havaneres. Les jardins de Cap Roig (Calella de Palafrugell) et le festival de la Porta Ferrada (St Feliu) reçoivent des stars venues du monde entier. Et partout, on entend pourtant ces « s » un peu sifflants du català salat, le catalan d’ici, comme si la tramontane, omniprésente, s’invitait au cœur de la langue.

L’Empordanet est un pays de racines et d’amarres où il fait bon flâner et découvrir, bordé d’un littoral magnifique aux eaux pures. Un pays fait pour rendre les hommes heureux. Nous allons le voir, la nature, somptueuse et encore sauvage, y est pour beaucoup….

Pas de commentaire

Poster un commentaire