09 Juil LES FESTES DEL TURA
Les festes del Tura d’Olot font partie des fêtes les plus anciennes de Catalogne et sont les plus importantes des comarques gironines. Elles proposent quatre jours de liesse intergénérationnelle, populaire, musicale, sportive, qui transcendent la capitale de la Garrotxa.
Référencées dés 1638, mais connues bien avant à travers la tradition orale, ces fêtes s’inscrivent dans la célébration, si importante dans toute la péninsule ibérique, des vierges trouvées, les « mares de Déu trobades » fêtées le 8 septembre. La mémoire populaire regorge de ces statues découvertes par hasard dans des grottes, sous des rochers, au bord des chemins, dans les lacs, prétextes à ériger un temple et à déclencher ferveur et pèlerinages. à Olot, c’est un taureau (un tura) qui a dégagé du sabot une effigie miraculeuse enterrée sous la lave du volcan Croscat et donné corps au mythe. Dans toute la Garrotxa, le prénom « Maria del Tura », est resté très répandu pendant des siècles et est encore donné de nos jours, exactement comme Montserrat ou Núria dans d’autres points du territoire. « C’est le point fort de l’année, pendant quatre jours tout s’arrête, on prend des congés, on vit à 100% dans la fête toutes générations confondues. Tout le monde participe, ma mère et ma femme font des costumes, mon fils fait des fleurs pour les chars, moi je construis la structure et en plus j’anime un des capgrossos du défilé » explique Pere, comptable de son état. Les premières Festes del Tura ont eu lieu en 1638, et à l’époque, déjà, elles portaient doublement bien leur nom car Olot est depuis toujours une ville à forte tradition taurine. Ses arènes sont même les deuxièmes de la péninsule en termes de volume. Une prouesse pour une petite ville ! « à l’époque on annonçait un correbous et des séguedilles, la danse à la mode venue de la Mancha, tout cela entrecoupé de force manifestations de piété, offrandes, messes…» explique Jaume, lointain descendant de l’instigateur de la construction des arènes, Esteve Paluzie. Il s’agit donc au départ d’une fête religieuse doublée d’une course de vachettes et accompagnée bien sûr de défilés et de processions en l’honneur de la vierge olotina. Cet ADN primitif, quoiqu’un peu adouci, est encore largement présent dans les fêtes actuelles. Comme le dit le maire d’Olot, Pep Berga, « le succès de nos fêtes, c’est un triptyque gagnant : elles sont entièrement gratuites, elles sont populaires, et elles se font dans la rue ». Il pourrait rajouter qu’elles sont intergénérationnelles et que leur préparation, vu le nombre d’évènements prévus sur quatre jours à peine, occupe pendant des mois plusieurs centaines d’Olotins passionnés. Tout commence par un concours d’affiches très couru.
La Farandula
Rien d’étonnant quand on pense à l’école d’Olot, et à tous les artistes, miniaturistes sculpteurs, pessebristes qui ont fait et font de la ville un centre plastique reconnu. Tous les ans, le sermon d’ouverture des fêtes, moment de haute solennité, est prononcé par un olotí à la carrière remarquable, et donne le départ à l’offrande florale à la vierge qui a lieu dans le petit temple baroque del Tura à quelques mètres des flots du Fluvià, juste avant la messe solennelle. Enfin s’élancent dans les rues décorées de véritables plafonds de rubans colorés, le long des places, le long du foirail, la rambla névralgique de la ville, sous les façades modernistes et dans les cloîtres des couvents, les vrais acteurs traditionnels de la fête, au premier rang desquels les gegants officiels de la ville, mais aussi d’autres gegants représentant les différents quartiers, les nains, ici des grosses têtes portées par des silhouettes juvéniles chaussées d’espadrilles, et bien sûr le Cap de Lligamosques, édenté, laid, le visage orné d’une verrue protubérante, un étrange personnage déjà documenté en 1710. Suivent les graciles cavallets, des chevaux de carton-pâte qui sont ici très mobiles avec des mouvements de bascule et des rotations spectaculaires. Le bestiaire olotí est un des plus riches de Catalogne, l’un des plus picaresques aussi. Il témoigne d’un savoir-faire ancestral dans la fabrication de motifs en volume liés à la statuaire. On y rencontre le « vieil aigle » qui porte dans son bec un panier rempli d’aiglons, « l’aigle nouveau », le gentil « dragon du Carmel », le poulet, le lapin et ses lapereaux, « la chèvre qui joue de la cornemuse », la vache, un chat noir et blanc comme Félix qui tient un poisson d’argent, le hibou et la chouette, un cochon déguisé en berger portant un agneau sur ses épaules…
Des ballets uniques
Tout se mélange, animaux de la ferme, animaux sauvages et animaux fabuleux. Et le genre humain n’est pas en reste, avec l’Apothicaire et la Dame, l’Héritier et l‘Héritière, Jepet et Sisqueta, Margarida de la Bisaroca (une colline d’Olot où s’élevait autrefois une tour) et le Gallarut, le basilic de Les Fonts, le plus ancien du pays. Tout un microcosme en marche ou plutôt en danse, au son de la cobla, un peu comme un pessebre en mouvement. Au Musée des Saints, on rend hommage aux artisans de la fête « Olot a toujours été un centre pour la statuaire de toutes sortes. Ici on a fait des statues religieuses, des santons, des capgrossos, c’est une sorte de génie de notre territoire, il faut absolument en garder la mémoire vivante » explique Eduard, historien. Car chacun tournoie à loisir, et les enfants jouent depuis des siècles au même jeu, à savoir soulever les robes des gegants et autres personnages ! Il existe même des ballets spécifiques aux Festes del Tura comme le Ball del Gat, dédié au chat, ou celui du Porc et el Xai (le porc et l’agneau) impeccablement exécuté devant la belle église baroque de Sant Esteve. Le bestiaire se déplace de quartier en quartier pendant quatre jours avant le sublime final du bal des bougies sur la Plaça Major, dansé à la seule lumière des chandelles que tiennent les spectateurs pour un adieu plein de panache et de nostalgie aux gegants et aux nans, compagnons de toutes les réjouissances de la ville depuis des générations. Entre temps, les festivités traditionnelles se multiplient. Sardanes, correfocs, rencontres de castells et feux d’artifice tissent un immense drapeau catalan sous lequel peuvent venir s’abriter toutes les autres facettes du vivre-ensemble. Et d’abord la musique ! Tous les ans, l’affiche est époustouflante et conjugue tous les styles pour séduire tous les publics, de la chanson folk à l’électro, du traditionnel au ska. Cette année, la programmation a pris un certain retard dû à la pandémie, mais il est certain que la batucada géante sera maintenue et que les arènes et le foirail vibreront au rythme des ensembles invités ! Le théâtre proposera comme toujours un spectacle pour adultes et un autre pour enfants.
Sports du corps et de l’esprit
D’ailleurs les petits sont de véritables moteurs de la fête avec le cercavila des enfants et surtout la très attendue fête de l’eau et de l’écume ! En maillot, pieds nus, fillettes et garçonnets se battent sur les ramblas à coup de mousse, plongent dans des piscines installées pour eux, se jettent à la tête des seaux remplis d’eau savonneuse, et glissent à qui mieux mieux sur le sol au son de la musique ! Côté adultes, le bal country et le traditionnel concours de paella tiennent le haut du pavé : tout est permis dès l’instant où l’on s’amuse ! C’est le sport qui met tout le monde d’accord, en alliant dimension ludique et envie de gagner : course d’orientation dans les collines avoisinantes, concours de pêche, tournoi de rugby à XV (incroyable, mais vrai sur ces terres somme toute assez proches de la Catalogne-nord), championnat d’échecs, matches de football, concours de patinage artistique, et même concours de lancer de noyaux d’olive permettent une saine émulation et de franches parties de rigolade. « On se donne rendez-vous d’une année à l’autre pour la revanche », précise Carmina, joueuse émérite de Truc (jeu de cartes catalanes). Pourtant, le plus caractéristique sans doute des festes del Tura, c’est le corso, le Cos Iris, autrement dit la Cavalcade des chars (douze l’an dernier, mystère pour cette année). Des chars qui reprennent des thèmes d’actualité ou évoquent des pays lointains, et dont l’avancée majestueuse le long des allées du Parc Nou s’accompagne d’une bataille de fleurs en règle, même si comme ailleurs, les confetti ont depuis longtemps remplacé les précieux végétaux ! « Préparer les chars (en catalan les carrosses, les bien nommés) ça prend une bonne partie de l’été ! Depuis quelques années les gens ont le droit de venir assister aux derniers montages. J’espère que ça leur donne une idée de l’énergie et de la créativité nécessaires » explique Lourdes, étudiante à La Llotja, l’école des Beaux Arts de Barcelone. Après une telle débauche d’émotions, de couleurs, de traditions et de bonheur d’être ensemble, on comprend la douce nostalgie que distillent les bougies sur la Plaça Major juste avant le baisser de rideau de ce qui reste une des plus belles fêtes populaires de Catalogne.
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