09 Juil LES FÊTES DE LA SAINT VINCENT A COLLIOURE
« Ce soir c’est la fête à Collioure, on a pavoisé le vieux port ». Pas de doute, le grand Charles Trénet avait connu, en voisin, la grande liesse populaire qui s’empare de Collioure pendant les quatre jours de la Sant Vicenç, la fête de son saint patron.
Comme presque toujours en Catalogne, une ferveur chrétienne naïve et presque piétiste rencontre l’esprit transgressif des réjouissances bacchiques, une alliance magique d’intériorité et de réjouissances débridées qui appelle sur la ville des milliers de fêtards bien décidés à vivre chaque seconde de cette fête estivale unique. L’affluence est telle que la ville est interdite aux voitures et seulement accessible en train ! Tout a commencé pendant la guerre des faucheurs en 1642, un des derniers épisodes de l’âpre tiraillement du Roussillon entre les Royaumes de France et d’Espagne. Les reliques du saint patron local sont alors mises à l’abri dans la petite église du château mais on n’en retrouve jamais la trace. Perdues ? Vendues ? à l’époque, cette malencontreuse disparition est perçue par la population comme un véritable séisme et surtout un signe funeste en ces années difficiles qui vont voir l’annexion à la France, la destruction du village pour créer le glacis, bref, une série de catastrophes ! La Vierge apparait bien sûr comme la figure de consolation et de protection ultimes, aussi l’Assomption prend-elle un relief tout particulier. D’autant que Sant Vicenç est local. Il aurait été pourchassé au début du IVe siècle sous le règne de Dioclétien. Pour avoir refusé de faire des sacrifices aux dieux païens, il fut flagellé, suspendu à des crochets puis jeté vif sur des pierres tranchantes. Les plaies ayant miraculeusement guéri en une nuit seulement, il fut, selon la légende, conduit au bûcher et brulé sur le rocher qui porte aujourd’hui la chapelle qui lui est dédiée et qui était alors un îlot. Inutile de dire que les Colliourencs n’ont eu de cesse de récupérer un morceau de relique pour renouer avec la protection divine ! Ce fut l’abbé Prats, qui, en 1700, finit par se rendre à Rome pour récupérer le précieux objet qui arriva bien entendu par mer. Depuis lors, chaque année, la scène est rejouée en toute solennité devant la foule massée sur la plage du Boramar. Un bateau pavoisé de blanc s’avance sur les flots, porteur des effigies de Sant Vicenç, Santa Maxima et Santa Liberata. Il s’arrête au niveau de la jetée où l’attendent les pêcheurs vêtus de blanc, les reins ceints d’une large ceinture rouge, ainsi que le curé du village. Alors commence, en catalan bien sûr, le rituel de passage qui se termine par : « bonne entrée au port à vous, au nom de Dieu que la barque s’avance ».
Vin et divin
« Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais ce rituel m’étreint le cœur, c’est si ancien cette obligation qu’a l’étranger de décliner sa provenance pour montrer patte blanche et pourtant c’est tellement actuel » commente Valérie, administratrice culturelle. La barque est alors hissée sur la plage, toujours escortée des pêcheurs. Un tonneau rempli de feux de Bengale figure le martyre du saint et sa mort dans les flammes tandis que les statues intègrent l’église marine en procession. Tout est rentré dans l’ordre. La cérémonie s’est déroulée sans encombre pendant deux siècles, dans la foulée des célébrations de la Sainte Marie, avant que ne soit proclamée la séparation de l’église et de l’état, en 1905, laquelle rendait ce genre de manifestation de piété difficile dans l’espace public. elle sera ensuite remplacée par des joutes sur mer, puis par des concours de décorations et d’illumination de bateaux et tout genre de jeux aquatiques (water-polo, courses de natation, courses de bateaux, plongeons…). La Fête évolua jusqu’au titre de « Feria », en effet des Corrida furent organisées dans les arènes de Collioure jusqu’en 2012 durant les fêtes de Saint-Vincent. Sans perdre leur vitalité depuis plusieurs siècles, les fêtes ont su évoluer dans le temps sans perdre de leur identité, sans jamais oublier leurs origines pour constituer une véritable tradition Colliourencque. Tous les ans, il y a d’abord l’affiche, en général confiée à un plasticien local, qui peuple tous les offices du tourisme et toutes les vitrines locales de ses couleurs résolument méditerranéennes.
Entrez dans la danse
« C’est une des premières manifestations locales à avoir parié sur la création plastique. Il était indispensable que quelque chose de l’histoire picturale de Collioure participe à la fête » précise Marianne, maquettiste. Un must plastique qui place les réjouissances sous le signe de l’art. Et du vin… Car Saint Vincent est aussi le patron des vignerons et question vin, Collioure en connait un rayon avec ses belles vignes pentues qui penchent leurs ceps en surplomb sur la belle bleue. Inextricables, fête païenne et fête chrétienne se nourrissent l’une de l’autre pour faire de la ville une île de lumière, de musique et de joie, comme une immense action de grâces à Bacchus, la vierge et Saint Vincent réunis ! Les Colliourencs sont à leur affaire avec ce culte à la fois voué à leur condition paysanne de vignerons, et aux reliques venues de mer qui soulignent leur condition de marins et de pêcheurs. Autant le dire tout de suite, pendant la Saint Vincent, à Collioure, on ne boit pas que de l’eau et il est rare de voir les passants, après une certaine heure, déambuler en ligne droite ! Tout commence le 14 au soir, avec une jolie parade déambulatoire de jongleurs, de musiciens et d’échassiers que le Moyen-âge n’aurait pas reniée, et qui nimbe d’une poésie décalée la beauté des ruelles et des façades colorées. Des bandas aux accents solaires surlignés de mélodies hispanisantes accompagnent le nomadisme tranquille de ces troubadours des temps modernes et leur confluence vers la petite place arborée, juste derrière la porte de pierre qui regarde la mer, là où se trouve la mairie. C’est là qu’a lieu la cérémonie d’ouverture des réjouissances, juste avant l’apéritif en musique et l’ouverture de l’excellent espace de restauration des festivaliers : la trobada. Ça y est ! Les groupes se forment, les gens chantent et dansent, les goûts se mélangent, on se laisse glisser en pente douce, de plage en plage, vers le cœur de la fête. « Je viens tous les ans avec le même groupe d’amis. On réserve à l’hôtel et on passe trois nuits sur place. Ça vaut dix jours de vacances ! » explique Maxime, bijoutier. Le 15 août commence par une messe dans la belle église de mer que les vagues douces viennent frapper. La journée est toute entière consacrée à la belle bleue avec des régates d’Optimist et des jeux nautiques qui font de l’arrondi de la rade le cadre d’une naumachie parfaitement chorégraphiée. Sur la surface obstinément bleue, le ballet des embarcations dessine des arabesques que les couleurs pimpantes des barques catalanes ponctuent de flammes dansantes.
Comptez les étoiles
Après une bonne vieille « ballada » de sardanes, plus cultuelle que simplement traditionnelle devant le clocher jeté dans la mer, c’est le moment de la très attendue démonstration de llaguts, ces barques effilées, mues par la force des rames et des bras qui ont de tous temps accompagné le cabotage sur cette côte accidentée. « Les embarcations de nos aïeux disent tout un art de vivre, il faut absolument les préserver » précise René, retraité et passionné de barques catalanes. Ce spectacle se double d’animations dans toute la ville, de dégustations et de libations jusque tard dans la nuit. C’est le 16 août au matin qu’a lieu, après la messe dans la chapelle, la procession de la Saint Vincent qui contourne l’église pour ramener sur la plage du Boramar, les effigies des trois saints de Collioure. La foule est alors bénie pour déclarer ouvert ce temps nouveau de protection. à ce stade, Collioure fourmille littéralement de visiteurs. Et encore, depuis quelques années, il n’y a plus de corrida ! Mais des bandas, des sardanes, des intermèdes musicaux et partout, des buvettes et des restaurants pour tromper l’attente en beauté. Car tout le monde a les yeux rivés sur la montre ou le portable tandis que le noir total se fait et que le ciel semble prendre son souffle. Enfin il explose ! Partout, sur les murets, sur le toit des voitures, depuis la route, les terrasses de café, les balcons où la plage, des centaines de paire d’yeux reflètent la magie des feux d’artifice les plus beaux de Catalogne nord, une véritable féérie. Les bals, tous les styles de bal peuvent alors commencer et embraser la nuit. Demain, ils seront nombreux à avoir dormi sur un banc ou sur la pelouse, devant la gare ! « On a trouvé cette solution pour éviter des problèmes de stationnement mais aussi de retour » explique Henri. Pourtant il reste encore deux étapes ! La jolie fête du Port d’Avall avec des jeux traditionnels (traversée du port à la nage, concours de plongeons, matches de Waterpolo), des sardanes et des concerts le 17 août. Enfin, le 18, après l’arrivée des barques vient la procession à Notre-Dame-de-Consolation suivie de sardanes et d’un bal catalan et accompagnée de grillades. Quatre jours suspendus, pendant lesquels Collioure devient une île, une Ithaque infiniment désirable où viennent accoster des milliers de fêtards en escale.
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