01 Juin Les Havaneres : Le groove avant la lettre
Les havaneres : de Carmen aux calanques de la Costa Brava, des fêtes de village aux scènes de concert, elles enflamment l’maginaire.
Elles sont si indissociables des fêtes catalanes avec leurs rythmes chaloupés, qu’elles paraissent avoir été là de toute éternité, sorte de pendant de la sardane, si résolument nationale. Porteuses des vents de l’ailleurs les havaneres sont nées de la créolité cubaine et des premiers allers et retours entre l’Europe et la Caraïbe, marqués par une société métissée, vivante, en pleine mutation.
Une origine anglaise
Elles remontent en fait à la rencontre de la Country dance anglaise, devenue contredanse en France et des rythmes afro-cubains, dès le XVIIe siècle. Au début, il s’agit de danse et seulement de danse, mais très vite, la richesse rythmique et la palette chromatique qui sous-tend ces mélodies un rien nostalgiques, ne manquent pas d’attiser l’imagination des compositeurs classiques, qui les adaptent au piano, et parfois, en mélodies accompagnées au clavier.
Cette efflorescence accompagne dans les Espagnes celle de la zarzuela, également inspirée par les échanges avec la colonie cubaine, et leur expansion, à la fois classique et populaire, est quasiment parallèle. Mais la havanera est promise à un destin plus international et plus folklorique à la fois.
Aimée des classiques
N’oublions pas que l’air le plus célèbre de Carmen « l’amour est un oiseau rebelle » reste une havanera, alors même que l’œuvre est considérée comme l’une des plus emblématiques de l’hexagone ! Ravel en bon basque familier des marins de Ciboure, y va de son couplet dans sa rapsodie espagnole, tandis que Debussy et Saint Saens s’en inspirent, l’un dans la Soirée à Grenade, l’autre dans une œuvre pour violon et piano. Il est vrai qu’à l’époque, l’Espagne est à la mode. Dans la péninsule, De Falla et Albeniz ne se privent pas d‘utiliser ce rythme, mais la palme de la finesse et de la beauté mélodique revient à un Catalan, Xavier Montsalvatge avec ses berceuses. En 1948, ce dernier sort même un album consacré à ces chants.
Fleur de taverne
Il est assez logique que sur les côtes de la péninsule ibérique, le genre se soit décliné en chorales et orphéons. Partout, mais pas en Catalogne, où ces chansons de marins se sont d’abord imposées là où il y en avait : dans les tavernes. Pourtant, jusqu’aux années 60 qui voient émerger une conscience identitaire dopée par la résistance au franquisme, on chante ces chants traditionnels en castillan !
Coup de génie
Jusque-là, bien que pillées par la mode des chansons latines et les compositeurs classiques, les havaneres restent assez confidentielles. C’est compter sans l’action inlassable de quelques bénévoles passionnés qui vont créer en 1966 la première Cantada d’havaneres de Palagrugell à la Taverna de Can Batlle. Le succès est tel que l’année suivante, la manifestation se déplace à Calella sur la place d’en Calau. Peine perdue, c’est encore trop petit. Depuis 1968, la manifestation a lieu sur la place del Port Bo, à Calella dans le cadre merveilleux des maisons de pêcheurs chaulées, construites sur un porche à bateaux en arcades.
La consécration
Les quelques centaines de spectateurs du début sont désormais 40 000 ! Pour être certains de ne rien rater de ce spectacle qui a lieu tous les premiers samedis de juillet, certains n’hésitent pas à se créer des premières loges… marines. Ils arrivent en barque pour encercler la scène ! L’événement est si important que la télévision nationale catalane, TV3 le retransmet en direct avec des taux d’audience considérables.
Un must
Car aujourd’hui, que ce soit sur la côte ou à l’intérieur des terres, pas une fête ne fait l’impasse sur les havaneres ! Partout, les groupes amateurs pullulent et font reprendre en chœur à des foules joyeuses et mélangées, les refrains entraînants et rythmés. Et bien sûr, le rituel est là. Dans de grandes marmites chauffe un mélange odorant de rhum, de café, de sucre, de citron et de cannelle. Lorsque s’élèvent dans la nuit les longues flammes bleues des vapeurs de rhum flambé, il est temps de servir le précieux breuvage qui réchauffait autrefois les marins : le cremat.
Et voilà comment la rencontre inattendue d’une danse populaire anglaise de la mémoire amérindienne et des racines africaines rassemble aujourd’hui mélomanes recueillis et foules festives, autour du rythme entêtant et voluptueux de la havanera.
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