03 Oct Les mille ans de Perpignan
En cette année 2024, Perpignan célèbre plus de mille ans d’histoire ainsi que le sept-centième anniversaire de la consécration de sa cathédrale Saint Jean-Baptiste. C’est une occasion unique de se replonger dans les grandeurs et misères de la deuxième capitale catalane.
Les célébrations liées à son millénaire constituent une excellente occasion de découvrir ou de redécouvrir le fabuleux patrimoine de Perpignan, de visiter son arc gothique hérité notamment des souverains de Majorque et les vestiges de ses nombreux couvents : les Minimes, les Franciscains, les Dominicains et les Carmes. D’admirer ses curiosités architecturales comme le Temple décadaire connu sous le nom de Chapelle du Tiers Ordre ou encore les merveilles de son architecture civile, du Palais de la Députation purement gothique, aux très français hôtels de Mailly et de Lazerme, des villas paquebot de la rue des Lices au très bel Hôtel Pams, joyau de l’art nouveau. Ajoutons un florilège d’ouvrages défensifs comme le Castillet, les restes de remparts, l’Arsenal ou encore le glacis du Palais des Rois de Majorque, à lire comme autant de repères dans le cheminement intime de Perpignan. Cette route fait écho à un autre itinéraire, celui des patios intérieurs et des grandes portes cochères, qui dévoilent un Perpignan plus intime. Si la Ville a misé sur le charme de ses rues typées et l’accompagnement des visiteurs le long de ses principaux axes, que ce soit sous forme de visites guidées, de petit train touristique ou de déambulation libre, elle a également eu le souci d’accompagner sa célébration d’une série de conférences confiées à de grands historiens et d’expositions thématiques dédiées. Ainsi le Musée Rigaud accueille-t-il jusqu’au 31 décembre « La représentation du Christ au XIVe siècle dans les œuvres roussillonnaises » tandis que le Musée Puig s’intéresse aux « Monnaies au temps des Rois de Majorque ». De son côté la Médiathèque inaugure le 5 octobre « L’histoire de la cathédrale Saint Jean-Baptiste à travers les joyaux de notre patrimoine écrit ». Un colloque viendra couronner cette année de commémorations les 15, 16 et 17 novembre sous l’égide de l’Université Via Domitia et de la Ville de Perpignan. Il sera consacré aux 700 ans de la cathédrale, symbole s’il en est de l’importance historique de la ville. Il faut le dire, son pedigree en impose !
De Majorque à Paris
La toute première occurrence d’un alleu nommé Perpignan apparaît dans le testament de Raimond II de Rouergue qui le lègue à la fois à l’abbaye de Sant Pere de Rodes et aux cathédrales d’Elne et de Girona. Nous sommes en 927 et quelques années plus tard, Guilabert devient le premier comte du Roussillon et fait de la toute petite ville de Perpignan sa capitale. C’est en 1024 qu’est simultanément commencée la construction de Saint Jean le Vieux, celle du château comtal et celle d’un hospice. L’église nous est parvenue dans un état très préservé qui nous permet encore aujourd’hui d’admirer son beau portail de marbre blanc veiné de bleu, sculpté d’un Christ en majesté, et la calade douce du parvis. Hélas, les restes du château son quasiment introuvables et l’hospice ne nous a guère laissé que sa fontaine, remaniée et installée, justement, place Gambetta, à quelques mètres de la cathédrale actuelle. Qu’importe. Les dés sont jetés, Perpignan s’est dotée des attributs d’une grande ville en devenir, et elle ne va cesser de se développer jusqu’à devenir la deuxième ville de Catalogne, dopée par son industrie drapière et ses célèbres marchés. Son ouverture maritime matérialisée par le port de Collioure et sa situation géographique idéale sur l’ancienne Via Domitia vont être de formidables leviers. En 1276, Perpignan a rendez-vous avec l’Histoire lorsqu’elle devient, à la faveur d’une querelle d’héritage au sein de la famille de Barcelone, la capitale continentale du Royaume de Majorque. Alors commence une véritable fièvre bâtisseuse qui va la doter de fleurons du gothique catalan. Le Palais des Rois de Majorque, à la fois citadelle et élégante résidence, réplique presque identique du Château de Bellver à Majorque, s’orne de sublimes jardins et accueille même une ménagerie exotique. La Chapelle Royale dite La Réal, l’Hôtel de Ville, le Palais de la Députation, puis l’église Saint Jean-Baptiste ou le Couvent de Saint François voient le jour. Fenêtres bilobées, ogives, travail du marbre blanc de Céret ou du marbre rose de Villefranche subliment les bâtiments et donnent à la ville ce caractère méditerranéen un peu hiératique que l’on retrouve dans les retables gothiques exposés au Musée Rigaud. Perpignan se révèle à elle-même, et cette efflorescence va se poursuivre jusqu’en 1344, date de la chute de l’éphémère Royaume et du retour dans le giron de Barcelone. La cathédrale Saint Jean-Baptiste a alors tout juste 20 ans. Comble de malheur, la peste noire s’abat sur le Roussillon et décime la population en 1346 mettant fin à cette période ascendante. Pourtant, en 1409, en plein schisme d’occident, a lieu le Concile de Perpignan, dit Concile de la Réal, un moment crucial pour la chrétienté. Des centaines de prélats venus de toute l’Europe planchent sur l’élection de Pedro de Luna, passé à la postérité sous le nom de l’antipape Benoit XIII et propulsent la ville sur la scène internationale.
Historiquement vôtre
Malgré le prodige logistique qui a permis de loger et nourrir des centaines de délégués, le XVe siècle s’annonce funeste pour Perpignan et toute la Catalogne. Il sera notamment marqué par la guerre entre Jean Ier et Louis XI qui aboutira à l’occupation du Roussillon par les Français et à l’horrible et interminable siège de Perpignan en 1473. Dès lors, la frontière ne cessera d’être disputée et Perpignan endossera ses habits de ville militaire, qu’elle ne quittera plus pendant plusieurs siècles, et moins que jamais après 1659 quand elle se trouvera, par le traité des Pyrénées, séparée de Barcelone par une frontière d’état hérissée de forteresses et de fortifications. Pendant la Révolution Française, puis lors des deux guerres mondiales, elle sera une plaque-tournante pour les soldats, espions, passeurs et fugitifs de tout poil et trouvera là son plus beau rôle en sublimant la frontière toute proche pour devenir une ville de passage, dans tous les sens du terme.
Les chemins du ciel
Entre temps, l’église neuve, bâtie par les Rois de Majorque sur un statut initial de collégiale, a atteint l’âge vénérable de 700 ans. Elle a eu l’honneur de devenir cathédrale en lieu et place de celle d’Elne dès 1602. Et tandis qu’Elne restait un gros bourg, Perpignan devenait, par la force de son commerce et de ses institutions, la deuxième capitale de la Catalogne. L’ensemble cathédral de Perpignan est remarquable : non seulement la juxtaposition du magnifique édifice roman et de l’église gothique est rarissime et permet de fait une mise en abyme précieuse, mais encore, il faut y rajouter la splendeur du Campo Santo, le cloître cimetière avec ses enfeus en ogives de marbre blanc qui ourlent les galeries et embrassent un terre-plein central qui fut la fosse commune des plus pauvres. La Funerària, la chapelle destinée aux cérémonies funéraires couronne cet ensemble. à l’époque, l’Hôpital Saint-Jean et le presbytère, maintenant démolis, complétaient cette petite cité céleste. Une autre merveille jouxte la cathédrale, la chapelle du Dévot-Christ qui abrite un Christ rhénan du XIIIe siècle de toute beauté. Les sept cents ans de la cathédrale racontent une histoire mouvementée que les hardiesses urbanistiques des XVIIIe, XIXe et XXe siècle, ont accélérée. Fait marquant – et significatif – l’ensemble cathédral est un haut lieu de spectacle vivant qui s’offre à toutes les musiques et devient tous les ans, pendant Visa pour l’Image, l’écrin de la tragédie du monde. Du haut de ses 1000 ans, Perpignan vibre toujours, infiniment vivante sous ses marbres. Le temps a coulé sur la ville comme l’or liquide dans les brisures des céramiques japonaises, faisant de ses cicatrices un inépuisable puits d’harmonie et de sens et autant de chemins d’émerveillement.
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