01 Juin Les Valls de Carol
Au fin fond de la Cerdagne, aux confins de l’Andorre, de la Catalogne et de l’Occitanie, un petit torrent courageux vertèbre un monde à part, une vallée unique
Tout commence par la rivière, un torrent tumultueux, au nom multiple. En français, « le Carol », en catalan de ce côté-ci des Pyrénées, « el Querol », jusque-là tout va bien… de l’autre côté de la montagne en revanche, le nom change radicalement pour devenir « l’Aravó »…
Tout un programme pour entamer une exploration de cette vallée ancrée dans l’histoire des comtés catalans, ouverte à l’Andorre et à l’Occitanie. Une vallée comme une oasis, cerdane mais éminemment singulière. Isolée, mais diablement accessible. Unique.
Montagnarde et inchangée
Cerclée de hautes montagnes, terre d’élevage et de transhumance, la vallée du Carol étale ses champs et ses prairies, ses vieilles maisons de pierre et de lauze qui semblent littéralement nées du granit des pics tout proches. Une architecture montagnarde rude et dépouillée, des paysages intemporels, une ruralité tranquille. On ne peut s’empêcher de penser à l’Andorre rurale, celle qui quitte la vallée centrale livrée aux marchands du temple pour parler pyrénéen. Tout aurait pu rester en l’état et l’est d’ailleurs resté pendant des siècles. Les muses de la mobilité en ont décidé autrement.
Un nœud de communication
Cette haute vallée, surplombée par le col du Puymorens (1920) est en effet depuis le début du XXe siècle, un nœud ferroviaire international ! En gare d’Enveitg – Latour de Carol – et à 1231 m d’altitude – se croisent trois réseaux : le célébrissime train jaune, le tortillard touristique le plus andin d’Europe, la ligne Paris –Toulouse-Latour de Carol, et son prolongement vers le sud jusqu’à Barcelone et au-delà. Et comme sur ces terres disputées entre France et Espagne, rien n’est jamais simple, ces trois tronçons utilisent trois écartements de rail différents, histoire de corser les changements de monture…
Une rivière ibérique
Un peu plus loin, le tunnel d’Envalira, précédé d’un énorme viaduc, digne héritier du Pont Séjourné, relie depuis quinze ans la paroisse andorrane d’Encamp au village de Porta, simplifiant à la fois la vie des habitants et celle des véritables cortèges de touristes en quête d’emplettes détaxées. Tout semble indiquer que le destin a voulu compenser l’enclavement de cette terre, aux confins de l’Andorre, de la Catalogne, et de l’Occitanie. Une terre pyrénéenne jusqu’au cœur de sa rivière qui se jette dans le Segre en aval de Puigcerdà et fait donc partie du bassin de l’Ebre, illustration objective d’un enracinement qui fait fi de la barrière des montagnes. Une rivière ibérique, donc.
Au cœur d’un parc
Ici, veillés par quelques belles vaches cerdanes, rythmés par les passages des trains et la course brève du soleil sur les ubacs, nichent aussi hameaux et villages. Tous portent haut les couleurs d’un patrimoine duel : historique et architectural d’une part, naturel et environnemental de l’autre. Un conservatoire à ciel ouvert de ce que fut autrefois la Cerdagne. Ne sommes-nous pas au cœur du Parc naturel des Pyrénées Catalanes, qui fait de cette vallée préservée un sanctuaire botanique, ornithologique et zoologique, et un véritable conservatoire de la vie d’antan ?
Enveitg, point zéro
Il faut dire que l’homme a élu domicile ici depuis la nuit des temps. Au-dessus d’Enveitg, à deux kilomètres à peine de la frontière, les vestiges néolithiques de la Cova del camp de la Marunya témoignent de cette présence, par un dolmen orné de cupules creusées dans la pierre. C’est d’Enveitg que commence l’ascension vers le Carlit, à travers un sublime chapelet de lacs turquoise qui culmine avec le Lanoux, immense miroir silencieux aimé des mouflons et des isards. Au cœur du village, l’église Saint Saturnin a conservé une fenêtre romane et un retable remarquable.
La mémoire des pierres
Latour de Carol, et surtout son hameau principal, Yraval, étaient autrefois un centre de foire où se vendaient bestiaux, tissus, peaux et laine. Un haut lieu de l’économie montagnarde qui rassemblait des paysans venus de toutes les vallées environnantes malgré les communications difficiles. L’habitat rural, quasiment intact, est directement issu du XVIIIème siècle. Cet effet flashback est renforcé par le dessin serré des haies vives et des murs de pierre sèche qui écrivent à flanc de montagne la mémoire vive d’une agriculture disparue. L’église Saint Etienne, avec son escalier monumental, domine Latour. Ne ratez pas les deux retables : dans leur naïve splendeur, ils méritent une petite visite. C’est dans l’église Saint Fructueux d’Yraval que s’est installé le petit musée d’art sacré qui rend hommage au tout premier art roman, économe et modeste, si prégnant dans ces hautes vallées où les clochers tutoient le ciel.
Vers l’Andorre
Porté Puymorens, c’est le lieu de passage par excellence entre la France, la Catalogne et l’Andorre. Une tour de défense domine ce point névralgique (1288). Les temps de belligérance et d’exil semblent révolus, et désormais, ce sont les 40 km de domaine skiable qui attirent les foules d’hiver. Les sublimes chemins de randonnée au fil des étangs séduisent de leur côté un nombre croissant d’estivants amoureux de la montagne. Et c’est aussi par ici que la transhumance des consommateurs vers le Pas de la Casa, Mecque du détaxé, prend son élan tous les week-ends. Impossible de ne pas penser en contemplant la verticalité sans merci des lacets qui s’enroulent autour de la montagne à la sortie de Porté, aux coureurs du Tour de France…
Le travail des hommes
La petite église du village, remaniée au XIXème, abrite de beaux retables et des panneaux sculptés intéressants. Il n’y a pas si longtemps, on extrayait ici de l’ardoise comme l’indique le nom des montagnes : serre des lloses et crête des lloses, et bien sûr, du fer des Pyrénées, maigres compléments à une économie essentiellement basée sur l‘élevage et l’agriculture. A bien y regarder, les flancs de la montagne portent encore les stries de terrasses patiemment construites à main et à dos d’homme, témoignages émouvants de vies de labeur et de peine.
La raison d’état
Sur la route s’élève une tour étrange, la Tour Cerdane, achetée par Jaume 1er en 1308. Il s’agit du seul vestige d’un système défensif beaucoup plus vaste qui a barré pendant des siècles l’accès au col du Puymorens. Fait assez incroyable, Louis XIV a fait démanteler l’ouvrage après la signature du Traité des Pyrénées, histoire de montrer l’unité du territoire français, et de ne laisser aucune capacité d’expression armée aux velléités de résistance de la Cerdagne dépecée !
Un tunnel vital
Avant de parvenir au col, il faut donc traverser le joli village de Porta qui n’a accédé au statut de commune qu’en 1837. Il est le point de départ du Tunnel du Puymorens, axe vital entre la ville-monde qu’est Barcelone et la mégapole qu’est en train de devenir Toulouse, celui de la montée routière vers le Pas de la Case et le tunnel d’Envalira. Notez aussi le viaduc de voie ferrée construit en 1925 par la Compagnie des Chemins de fer du midi pour relier Porté à Puigcerdà : de la belle ouvrage et une véritable prouesse technique!
Comme avant
Le bourg de Carol, tout près de Porta, possède un château dont les défenses ont été renforcées par les rois de Majorque. Jaume Ier avait dès 1243 édicté les règles de vie et défini les droits de pâturage sur cette terre pourtant excentrée, mais perçue comme stratégiquement importante. Sur la place du village trônent encore deux abreuvoirs et une fontaine. Ici il a fallu attendre les années 60 pour avoir enfin l’eau courante, et les cartes postales sont nombreuses qui représentent des femmes faisant la queue devant les fontaines, cruches et seaux en main ! Le relais de poste, cabaret à ses heures, était alors le cœur de la vie sociale. La deuxième placette, qui abrite deux lavoirs, est en fait un ancien cimetière arasé, un fait quasiment unique. Ensuite, c’est la montée en grands virages en épingle à cheveu jusqu’au col.
Douceur de vivre
Des paysages de naissance du monde, minéraux, impassibles. Un paradis pour tous ceux qui aiment la nature à l’état brut, la confrontation avec ses propres limites et la liberté. Ici tous les sports d’hiver ont droit de cité, bien sûr, mais ils sont déclinés en version familiale, avec un accueil chaleureux qui respire encore l’hospitalité montagnarde d’antan. Tout au long de l’année, les randonneurs, solidement chaussés ou munis de raquettes pendant les mois d’enneigement trouvent leur bonheur au fil des crêtes d’où ils peuvent admirer mouflons, marmottes, ours, lynx et même loups ou suivre le vol des aigles royaux. Quand le temps est à la clémence et aux redoux, ils peuvent respirer jusqu’à l’ivresse les fragrances infinies de la flore pyrénéenne.
Vallée heureuse
Le long des étangs et des lacs, lapis-lazulis jetés sur le flanc ocre des pierres, le long des ruisseaux et rivières, les pêcheurs sont à la fête. Leurs lancers dessinent des arabesques vives sur le ciel d’un bleu profond. Quant aux sports d’eau vive, ils n’ont de limite que l’imagination ! Cette vallée heureuse et cachée sait donner une myriade de petits bonheurs qui font de la vie une mosaïque d’émotions à partager. Cachée, mais diablement accessible par route ou par train : une sorte de deuxième centre du monde au milieu des Pyrénées, en fait une principauté à laquelle ne manque que le nom, installée dans une modernité maîtrisée et un respect instinctif de l’héritage. La Vall de Carol vous attend. Enchantement garanti.
Pas de commentaire