02 Fév Manresa célèbre les noces de l’eau et de la lumière
Tous les ans, Manresa convoque au cœur de l’hiver une fête colorée et somptueuse qui célèbre en deux temps le miracle de la lumière divine et celui de l’eau de son canal.
Tous les hivers, la bonne ville de Manresa, capitale de la comarca du Bages, organise en deux temps, une fête à la fois très ancienne et très courue qui célèbre le double miracle de la lumière et de l’eau, la « Festa de la Llum » (21 février) suivie de la « Fira de l’Aixada » (24 et 25 février). Une fête unique qui se décline en nombreuses animations étalées sur une semaine et remonte au XIVe siècle. En ce bon siècle gothique, un siècle glorieux et prospère s’il en fut pour la Catalogne, une sècheresse terrible s’était abattue sur Manresa.
Un projet pharaonique
En effet, la ville ne possédait aucune voie fluviale, aucune autre ressource en eau que ses fontaines taries et le cours sec du Cardener, insuffisants pour irriguer les cultures, et le peuple commençait à sentir les effets de la disette après deux années particulièrement chaudes et maigres. Les consuls de la ville conçurent alors un projet d’une folle audace pour l’époque : créer leur propre fleuve en allant chercher les eaux du Llobregat à Balsareny, à 27 km, une distance pharamineuse en ce temps-là, puisqu’elle correspondait à cinq ou six heures de marche et à une bonne demi-journée à cheval. Pour ce faire, les édiles inspirés décidèrent d’entamer les travaux de creusement, de soutènement et d’étanchéisation, d’un énorme canal.
Des travaux titanesques
Un projet extrêmement cher en nombre d’ouvriers et en matériel, largement comparable à la construction d’une cathédrale. Il fallait pour cela obtenir l’autorisation préalable du Roi Pierre III, lequel s’empressa d’accéder à la demande. Le creusement commença sous les ordres de l’architecte Guillem Cata. Il supposait l’excavation de centaines de tonnes de pierres à grand renfort de pelles, de pioches, de charretées de gravats, de tombereaux de pierres. Dérangé par ces travaux bruyants et peu soucieux du bien commun, l’évêque de Vic, Galcerà Sacosta, refusa tout net que le canal passât par ses propriétés. La population et ses édiles ne l’entendirent pas de cette oreille et lui proposèrent de l’indemniser pour la gêne occasionnée sans envisager un seul instant de stopper le projet. Se sentant offensé – un comble ! – l’indélicat prélat s’empressa d’excommunier, sans autre forme de procès, l’université de Manresa, les conseillers municipaux, les juges et les maîtres tailleurs de pierre ! Mais voilà, l’évêque de sinistre mémoire n’était qu’un homme, pour assoiffé de pouvoir qu’il fût. Or, selon la légende qui se raconte depuis six siècles à la veillée, l’arbitre suprême se chargea lui-même de donner un dénouement à cette triste affaire.
Indélicat prélat
Selon la légende en effet, au matin du 21 février 1345, une sphère resplendissante apparut dans le ciel en provenance de la montagne sacrée de Montserrat, se dirigea tout droit vers l’église du Carme de Manresa, y pénétra par une des fenêtres de la façade principale, et s’arrêta exactement à la croisée de l’abside. Là, l’astre mystérieux se coupa en deux, puis se reconstitua pour regagner Montserrat ce qui fut interprété par les habitants comme une manifestation de la clémence et de la bienveillance de Dieu à leur égard. Un mois et demi après cet événement inexpliqué s’éteignit le funeste évêque de Vic. Son successeur, soucieux de s’attirer d’entrée la sympathie des villageois, s’empressa de donner satisfaction à la population de Manresa. En novembre 1345, toujours sous l’égide du roi Pierre III et du pape Clément VI, une convention fut signée entre pouvoir temporel et spirituel et les travaux reprirent lentement, sous la direction du Maître Arnau Fuster. Cette fois, le projet semblait lancé ! Mais les bonnes gens de Manresa n’étaient pas au bout de leurs peines… En 1348, la cruelle épidémie de peste noire qui s’était abattue sur le sud de l’Europe frappa de plein fouet la Catalogne, décima littéralement la population et paralysa les travaux pendant dix ans, faute d’ouvriers pour les mener à bien.
Sur les rails
C’est donc en 1375 que l’eau miraculeuse arriva enfin sur le territoire de la commune et que purent être construits les canaux adjacents jusqu’à ce qu’elle atteigne enfin la ville en 1383, presque cinquante ans après la courageuse décision des consuls. L’événement détermina pour la ville la possibilité de développer une autre agriculture, notamment maraîchère et fruitière, l’assurance d’une prospérité relativement stable et l’entrée dans une ère nouvelle. C’est cette stabilité chèrement conquise à force de volonté et d’audace malgré l’énormité des obstacles rencontrés que les habitants célèbrent tous les ans avec une fête vraiment atypique, scandée en deux temps, La Festa de la Llum, qui commémore l’astre venu de Montserrat, suivie de la Fira de l’Aixada qui salue l’arrivée de l’eau du canal. On connait la Festa de la Llum doublée d’un grand marché depuis l’an 1686, mais elle connut avec les tragiques événements du XXe siècle une longue éclipse avant de revoir le jour en 1998 sous le nom de Festa de la Misteriosa Llum (fête de la mystérieuse lumière).
Une prospérité acquise
D’abord recréée à l’initiative du tissu associatif, la fête est désormais organisée par la municipalité qui apporte tous ses moyens à la réalisation, et couplée avec la Fira de l’Aixada. Pour l’occasion, les maisons du centre ancien se parent de guirlandes, d’écus et de blasons qui les propulsent en plein Moyen Âge. Elles s’apprêtent en effet à accueillir les nombreuses processions et festivités qui codifient l’événement. Toutes les manifestations de rue font référence à la légende de l’eau et de la lumière, et aux personnages qui ont été les protagonistes à la fois de la réception de la lumière et de la construction du canal (évêque, consuls, roi Pierre III, ingénieurs civils). Toutes se déroulent au son d’un chant populaire local très répandu, les Goigs de la llum, dont on trouve la première occurrence des 1739. Partout saynètes et happenings surprennent le chaland qui rencontre des personnages historiques, assiste à la relève de la garde, à des ballets en costume traditionnel, à des démonstrations de métiers anciens… Il y a mille ans, Manresa avait déjà droit de marché. Impossible pour cette ville centrale où se croisent les chemins de la mer à Saint Jacques de Compostelle, de l’Ebre aux Pyrénées, de concevoir une fête sans dimension commerciale.
Comme il y a mille ans
Les 24 et 25 février, plus de 170 stands de produits de territoire et d’artisans locaux rappellent qu’à l’origine, réjouissances populaires et marché étaient quasiment indissociables. Le tout en musique, dans le chatoiement des costumes d’époque, et le joyeux tumulte de la foule. La pièce de théâtre intitulée « el Misteri de la Llum », donnée deux fois le 25 février est sans doute le moment le plus intéressant de cette fête. Il s’agit d’une œuvre en trois actes, mettant en scène dans sa première partie, intitulée « Le Mystère de la Trinité », des habitants jouant la confrontation du mystère de la foi et de la trivialité des sentiments humains, puis au second acte, « les mésaventures de la très belle et très loyale ville de Manresa » lors de la construction du canal, la danse de l’Aigle du bestiaire local symbolisant le soutien du roi.
Une belle référence !
Enfin, le troisième acte tourne autour du thème « être, vouloir et pouvoir », et de la protection divine qui a changé le destin de la ville. Malgré la complexité apparente de l’intrigue et sa très forte charge religieuse, il s’agit d’un spectacle vraiment populaire et divertissant, donné par des amateurs locaux. En parallèle sont organisées dans la ville des processions aux flambeaux en hommage à la lumière, jusqu’au monument qui lui est dédié, puis à l’eau jusqu’au monument érigé à la mémoire des constructeurs du canal. Une course pédestre le long du canal, la « Transsèquia », cette année le 4 mars, rend hommage depuis 1985 à tous les anonymes qui ont participé à l’érection de cet ouvrage d’ingénierie qui compte parmi les plus impressionnants de Catalogne, et qui est en grande partie resté intact. La course met un point final aux festivités. Autre expérience à vivre sans modération, les Jardins de Llum, un itinéraire artistique qui propose 5 heures d’immersion autour des thèmes inépuisables de la lumière et de l’eau, conçu en étroite collaboration avec la Plate-forme des Arts Visuels de la Catalogne Centrale. Un véritable florilège d’œuvres de rue éphémères basées sur la seule exploration du spectre lumineux qui prend des airs de noël et de fête foraine.
Création contemporaine
Pour les yeux l’étonnement est perpétuel et le spectateur succombe à un étrange enchantement. De l’aveu même des organisateurs, la manifestation louche, toutes proportions gardées, vers la Fête des Lumières de Lyon. Dosage millimétré de tradition, de création artistique, de convivialité commerciale, les deux fêtes d’hiver de Manresa sont une expérience à vivre en famille, qui ensoleille littéralement le froid, comme jadis la fameuse lumière illumina l’avenir de la jolie capitale du Bages.
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