04 Avr MATERNITE SUISSE D’ELNE
De décembre 1939 à avril 1944, malgré la fureur de deux guerres, près de 600 enfants naissent dans l’oasis créée à Elne par une infirmière suisse, Elisabeth Eidenbenz.
Les maisons sont comme les gens. Il leur faut croiser l’histoire pour révéler leur nature héroïque. Rien ne prédestinait la maison commandée par la famille Bardou à la coqueluche architecturale des bourgeois perpignanais du début du siècle, Viggo Dorff Petersen, à être autre chose qu’une jolie demeure de campagne. C’est d’ailleurs ce qu’elle fut un temps, quand elle s’appelait encore château d’En Bardou, dans un savoureux mélange de catalan et de français. Vendue à des paysans plus intéressés par les terres que par le bâtiment, décidément énorme et bourgeois, elle tombait lentement en ruine au milieu des vignes et des vergers.
L’ange de la retirada
Le passage en France, en janvier 1939, de centaines de milliers de républicains, femmes, enfants, vieux et combattants, va rebattre les cartes. Parmi la foule en haillons qui grelotte sous un hiver particulièrement froid, cantonnée sur les plages roussillonnaises, dans des entrepôts ou des camps de fortune, il y a des femmes enceintes et des mères portant de jeunes enfants, qui risquent leur vie et celle de leur bébé à rester exposées à la tramontane. D’ailleurs les premiers mois, la mortalité infantile frise les 95 %. L’hôpital Saint Jean de Perpignan est submergé et les parturientes orientées vers les Haras, aujourd’hui disparus, où elles accouchent à même la paille et le fumier avec tous les risques sanitaires qu’un tel environnement suppose. Une jeune infirmière suisse, Elisabeth Eidenbenz, déjà engagée dans le secours porté aux blessés de la guerre d’Espagne, se démène auprès des autorités pour tenter de créer une sorte de pouponnière susceptible de garantir la survie des nouveau-nés. Après un premier échec, elle s’installe dans la maison Bardou. Elle a obtenu la somme colossale à l’époque de 30 000 francs suisses pour procéder aux réparations les plus urgentes. Une aventure humaine commence, parmi les plus belles qui soient. Non seulement les femmes qui accouchent sont accueillies, souvent avec leurs enfants plus grands, remises sur pied et soignées, mais encore Elisabeth Eidenbenz négocie avec les gendarmes et les directeurs des camps pour installer en leur sein des petits baraquements, dévolus aux femmes dans leurs dernières semaines de grossesse, alimentées par la Croix Rouge Suisse.
Aventure Humaine
Au milieu de deux guerres, une île de sérénité résiste, dans tous les sens du terme. Sous l’égide du Secours Suisse aux enfants victimes de la guerre, avec l’aide de fonds privés venant d’organisations humanitaires suisses, Elisabeth dirige d’une main de fer cette « Maternité Suisse d’Elne » de septembre 1939 à avril 1944, date à laquelle les Nazis, sur le point de partir, décident de fermer la structure qu’ils soupçonnent, à juste titre, de ne pas aider que les mères républicaines catalanes et espagnoles. En effet, au fil des années, Elisabeth Eidenbenz fait venir un nombre de plus en plus important de femmes sur le point d’accoucher ou tout juste relevées de leurs couches, mais aussi des enfants, parfois grands, dénutris ou malades. Loin de se cantonner aux seules réfugiées espagnoles, elle aide des mères juives et tsiganes menacées de mort dans le camp de Rivesaltes d’où partaient des convois de déportés pour Auschwitz. Dans la maison propre, ensoleillée, encadrée par des infirmières et des sages-femmes, mères et enfants trouvaient une véritable clairière. En cas de besoin, le médecin pouvait être appelé pour les accouchements les plus difficiles. En 40 et 41, il y en aura en moyenne une vingtaine par mois ! En 5 ans, 597 enfants de 22 nationalités sont nés, et de nombreux adultes sont mis en contact avec des réseaux de résistance locaux. La jeune infirmière ne s’arrête pas là et achemine des vivres vers les camps d’Argelès et de Saint Cyprien tout proches. Les mères encore vivantes décrivent « une belle maison avec un très grand hall et un bon feu de cheminée », « un endroit propre et ensoleillé ».
Loin des camps
Toutes insistent sur la façon respectueuse dont elles étaient traitées, bien loin des insultes et exactions des camps. Serge Barba, aujourd’hui acteur éminent de l’Association Freee déclare : « à la Maternité Suisse d’Elne, ma mère m’a mis au monde, mais Elisabeth Eidenbenz m’a donné confiance dans le genre humain ». Grâce au couloir humanitaire mis en place par la Croix Rouge Internationale, des camions arrivent de Suisse chaque semaine pour apporter des vivres et des produits de première nécessité mais aussi de la layette pour les bébés démunis de tout. Après la guerre, la maison est entrée en longue décrépitude. Les souvenirs volontiers occultés, de temps difficiles où les Roussillonnais n’apparaissaient pas sous leur meilleur visage, peinaient à affleurer et il fallut attendre 2002 pour qu’Elisabeth Eidenbenz reçoive la médaille de Juste Parmi les Nations.
Une vigie bienveillante
Grâce à cette visibilité redonnée, et au lobbying patient des fils et filles de la Retirada, soucieux de retrouver un pan de leur douloureuse mémoire, la ville d’Elne décida d’acheter la maison, classée monument historique en 2013, et de l’ouvrir au public pour faire connaître un épisode somme toute glorieux de l’histoire locale. Elle constitue un lien précieux entre le mémorial du camp de Rivesaltes et celui de La Jonquera, borne de vie et d’espoir, vigie obstinée et bienveillante. À la fermeture de la Maternité, Elisabeth Eidenbenz travailla dans des colonies au nord de la France, avant d’émigrer à Vienne où elle s’est notamment occupée de cantines scolaires. En 1975 elle se retira en Autriche, et meurt à Zurich en 2011, non sans avoir été hautement récompensée pour son courage et sa compassion, sans doute inculqués par son père pasteur.
Pas de commentaire