03 Oct MAURY PROD : UNE HISTOIRE DE FEMMES, DE TERRE ET DE VIN
Vous connaissez le festival « Voix de Femmes », le marché des potiers de Maury ou l’opération picturale « Toutes toiles dehors » ? Point commun : sublimer et animer la petite ville de Maury et attirer les amoureux du beau et du vrai dans la haute vallée de l’Agly. Derrière ces opérations ciblées, apparaît le bras armé culturel du Pays de la Vallée de l’Agly, l’association Maury Prod, portée par deux femmes de caractère, la présidente, Monique Pramayon et la directrice artistique Marie Chivilo. Un tandem équilibré et inventif. Rencontre avec deux passionnées.
CAP CAT : Monique, ces trois manifestations vont bien au-delà de la simple animation. Comment les concevez-vous ?
MP : J’y vois des outils de développement du territoire, à la fois totalement différents et complémentaires, qui nous permettent de tabler sur un tourisme qualitatif. Un tourisme à la fois vert et culturel qui sera, j’en suis convaincue, le tourisme de demain. Avec Voix de Femmes, nous créons en milieu rural une vraie scène, avec une affiche digne des plus grands festivals, mais Marie vous en parlera mieux que moi ! Je me contente de souligner l’importance des viticulteurs et de leurs produits dans la manifestation. C’est très important de faire en sorte que les gens d’ici se reconnaissent dans une manifestation, qu’ils se l’approprient. Pour Toutes Toiles Dehors, c’est un pari un peu fou : donner la parole à des artistes, tout en suscitant un itinéraire au cœur de notre patrimoine architectural et naturel, lier encore et toujours les ouvrages d’hier à la création d’aujourd’hui. J’aime à penser que des gens se promènent dans nos rues et captent un peu de notre douceur de vivre… Elle est réelle.
CAP CAT : Beau compliment de la part d’une Provençale…
MP : J’aime cette terre, elle est rude et belle, elle demande beaucoup de travail mais elle le rend au centuple ! Elle est assez catalane pour me surprendre et assez occitane pour que je la lise sans effort, juste parce que je la comprends… Les gens d’ici sont rugueux comme leur parler, mais ils sont accueillants. C’est comme ça dans toutes les Corbières : de l’aridité et soudain, la grâce d’une source.
CAP CAT : Le marché des potiers est vraiment convivial …
MP : C’est presque une affaire de famille ! Charles Chivilo, notre maire, lui-même artisan, a tissé des liens avec énormément de potiers du sud de la France qui sont très heureux de venir ici, à Maury, présenter le fruit de leur travail : des terres cuites, émaillées, vernissées, des objets utilitaires, des objets de décoration, des céramiques. Ce sont souvent des néoruraux et pourtant leur savoir-faire plonge ses racines dans l’histoire de nos Sud. Ouverture et enracinement, c’est exactement notre philosophie à Maury Prod… D’ailleurs, nous notons la présence de beaucoup d’étrangers qui nous suivent fidèlement. C’est gratifiant et encourageant. La plupart des gens ont envie de rester ou de revenir.
CAP CAT : Marie Chivilo, vous êtes l’âme artistique de Maury Prod et la fondatrice de Voix de Femmes. C’est une belle aventure… Comment a-t-elle commencé ?
MC : En fait, à l’époque, mon mari (Charles Chivilo, maire de Maury et conseiller général, ndlr) était conseiller municipal et nous étions à la recherche d’un concept culturel qui soit à la fois décalé, placé sous le signe de l’accessibilité du plus grand nombre et de nature à mettre en avant les qualités du terroir à la fois en termes humains et en termes de produits locaux. Les femmes étaient moins à l’honneur qu’aujourd’hui sur les scènes, à talent égal elles peinaient parfois davantage à percer. Il nous a paru important de centrer la programmation sur elles, et tout naturellement la voix s’est imposée, tout comme l’envie de voyage. Nous voulions donner à entendre toute la diversité possible, en termes de répertoire, de timbre, de technique. Et nous étions budgétairement contraints à de tout petits formats. Parfois, l’imagination naît de la contrainte…. Nous voulions pouvoir passer de la chanson à texte au jazz, du rock au classique, de l’acoustique à l’électronique. En fait, « Voix de Femmes » est né d’une soif de liberté, d’une envie de plein air et de belle étoile. Et surtout nous avons décidé de ne céder à aucune facilité et de viser d’emblée un niveau d’excellence.
CAP CAT : Une excellence qui étrangement, même si elle rime avec célébrité, nourrit une proximité unique entre le public et les artistes…
MC : Oui, c’est une sorte de marque de fabrique. Comme nous n’avons pas de gros moyens, nous tablons sur l’humain, la qualité de l’accueil, les liens avec nos vignerons. Ça marche parce que les gens ont besoin de partager le beau, tout simplement. Plus encore dans nos vallées excentrées. Alors le fait de voir l’artiste tout près induit une relation différente. Nos artistes se livrent parfois au public avec davantage d’abandon, portés par l’atmosphère presque familiale, intimiste. Ils se sentent un peu à la veillée avec des amis. Et l’écoute du public est vraiment différente, il est en quête d’échange et de dialogue. Il ne vient pas chercher du pré-formaté. Pour ça, il a d’autres scènes ailleurs.
CAP CAT : Quel est votre parcours ? Produire des concerts c’est votre métier ?
MC : Ça a fini par le devenir (rires) mais au départ, je suis plasticienne. J’ai fait les Beaux-Arts, d’où « Toutes toiles dehors » et j’ai une expérience de céramiste. Je crois dur comme fer au rôle de la culture. Tout le monde doit pouvoir accéder à des concerts, à du théâtre, à des expositions. C’est tout le sens de notre action qui s’adosse, je le rappelle, à la mairie de Maury. Avant la création de l’association, tout se passait en interne.
CAP CAT : Pas de soucis de financement ?
MC : Si bien sûr, comme pour toutes les structures culturelles. Le mille-feuille territorial a des effets pervers. Par exemple, la communauté de communes n’a pas la compétence culturelle… C’est compliqué de maintenir des manifestations au plus haut. Avec le parc naturel en cours de création, ce sera encore une autre histoire !
CAP CAT : On parle beaucoup de « Voix de Femmes », mais il ne faudrait pas occulter « Toutes toiles dehors ! » Donner la parole à une quarantaine d’artistes, ce n’est pas si fréquent, et encore moins de leur offrir comme terrain de jeu tout un village !
MC : Là aussi, tout est parti de la médiation culturelle. De même que tout le monde n’est pas prêt à pousser la porte d’une salle de concert, perçue comme un monde codifié et opaque, beaucoup de gens n’ont jamais franchi celle d’une galerie d’art, parfois synonyme de snobisme ou supposée strictement réservée aux initiés. C’est l’occasion de se décomplexer, de tutoyer les œuvres et les artistes. Pour certains artistes c’est pareil : c’est un bol d’air par rapport au cycle des expositions institutionnelles. J’aime bien ce vent de liberté.
CAP CAT : C’est cette liberté que vous aimez en tant que céramiste ?
MC : Oui. On est seul face à la matière, elle dicte sa loi. Rien n’est plus proche de la terre que ce métier-là. Il permet de comprendre l’amour qu’ont les paysans pour leurs vignes, autant que le geste du peintre. C’est noble l’artisanat. C’est une école de travail et de vérité. Un haut lieu de convivialité aussi. Quand on organise le marché des potiers, j’adore partager une grande paella dans l’ancienne coopérative avec les exposants. C’est ce qui est fabuleux ici. L’échelle même du village contraint à la variété des approches !
CAP CAT : Monique, vous partagez cette analyse ?
MP : Je vais le dire autrement. Je suis très fière de l’action que nous menons avec nos modestes moyens et notre volonté farouche. Quand je vois les parkings pleins, quand les viticulteurs m’annoncent qu’ils ont bien vendu, alors je sais que nous avons fait notre travail : faire connaître Maury et ses vins, et apporter la culture au plus près de ceux, qui, peut-être, n’y auraient pas accédé sous cette forme vivante et tangible. Et c’est une grande joie.
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