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Michel Lethiec

12 Juin Michel Lethiec

Soliste, chambriste, enseignant, le clarinettiste Michel Lethiec préside aux destinées de l’un des plus grands festivals de musique de chambre du monde et concocte une programmation remarquable qui fait connaître Prades dans le monde entier. C’est dans le Conflent et nulle part ailleurs.

 
lethiec3Rencontre avec Michel Lethiec, directeur artistique du festival de Pablo Casals

Michel Lethiec, clarinettiste, est aussi le directeur du festival de Prades, l’un des plus grands festivals de musique de chambre du monde, fondé par l’illustre violoncelliste catalan, Pau Casals, lequel avait choisi le Conflent, et plus particulièrement Prades pour échapper aux noirceurs du franquisme et respirer l’air de son pays.

CC : Bonjour Michel Lethiec, merci de nous accueillir ici, dans l’abbaye Saint Michel de Cuixà, qui accueillera cette année la soixante-et-unième édition du Festival Pablo Casals. Comment se porte le festival ?

Il se porte très bien, j’aurais mauvaise grâce à dire le contraire. D’ailleurs, il s’exporte très bien aussi ! Nous avons maintenant, outre la saison de toujours au théâtre des Champs-Elysées, une saison du festival en Corée, une autre en Israël, des projets en Amérique avec déjà des dates fermes… Le public d’ici est au rendez-vous tous les étés, donc, oui, tout va bien !

CC : Il faut dire que le Festival a beaucoup évolué…

Oui et non. Non, parce que la recette est toujours la même : la qualité et le concept. La qualité parce que je ne choisis que des interprètes de premier plan, de vrais chambristes, des passionnés. Le concept, parce que j’essaie de penser des programmes qui sont aussi des fresques historiques ou philosophiques, des dialogues entre compositeurs, des variations autour d’un thème ou d’une forme musicale en particulier. C’est la différence entre un festival, avec une ligne éditoriale, des partis pris, des risques, et une simple programmation de concerts. Ensuite, oui, on a changé. Avec les concerts dans toutes les églises du Conflent, on a enfin réussi à mettre le patrimoine au cœur du propos et c’était une des idées de base, amener la musique partout !

CC : La communication aussi, a changé…

Oui, nous sommes maintenant passés au XXIe siècle, nous communiquons beaucoup sur internet, sur les réseaux sociaux. Nous allons éditer des DVD et des CD d’enregistrements live, parfois appelés à devenir historiques avec Naxos et nous venons de numériser la totalité de nos archives pour les offrir aux Archives Départementales des Pyrénées-Orientales. Notre force, c’est aussi notre histoire. Je crois qu’elle est prestigieuse…

CC : La programmation fait toujours une large place à la musique contemporaine ?

Ça, c’est un enjeu essentiel. Jouer les compositeurs d’aujourd’hui, faire vivre la musique avec son temps, avec l’évolution de l’oreille humaine. C’est à mon avis le rôle d’un festival comme le nôtre. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

lethiec2CC : Pourtant, il y a également des œuvres classiques et baroques ?

Oui, je souhaite vraiment donner de la musique au public. Et la musique c’est la rencontre en direct des instruments ou des voix. C’est vivant, en mouvement. D’ailleurs, je ne fais pas toujours des programmes qui vont du compositeur le plus ancien au plus moderne ou le contraire. Il m’arrive de panacher, quitte à déconcerter l’auditeur. Je ne crois pas au confort de l’oreille, je crois à l’intelligence de l’écoute. D’ailleurs, il y a autour du festival, pour mieux contextualiser les œuvres des lectures, des conférences, des projections plastiques, des installations, parallèlement aux concerts proprement dits.

CC : Et il y a surtout l’Académie, une sorte de Marlboro (NDA célèbre festival et académie de musique de chambre aux Etats-Unis).

C’est Marlboro qui nous a imités, nous sommes nés un an avant eux ! (RIRES) Mais oui, l’Académie s’est incroyablement développée, d’abord dans le temps, il y a des stages presque toute l’année, des masters classes qui sont extrêmement courues par des étudiants qui viennent du monde entier. Ensuite en intensité, pendant la période estivale. Je tiens beaucoup à ce que les musiciens qui viennent jouer soient aussi des enseignants. C’est la transmission qui fait sens… D’ailleurs les musiciens nous sont fidèles. Pour certains, ils viennent depuis plus de trente ans. Ça veut dire qu’ici ils sont bien.

CC : La composition occupe une grande place ?

Oui, bien sûr. Nous avons chaque année un concours de composition qui est devenu au fil des ans très prestigieux. Cette année nous fêtons le 80e anniversaire du grand compositeur polonais Krzysztof Penderecki. Nous le mettrons en résonance avec d’autres écritures, antérieures ou postérieures.

CC : Cette année vous commémorez aussi le quarantième anniversaire de deux immenses artistes liés à la Catalogne et portant le même prénom.

Oui, c’est étrange mais Picasso et Casals ont disparu la même année. A eux deux, ils ont croisé tout ce que le XXe siècle a compté de créateurs dans tous les domaines. J’y rajoute Neruda qui a tant combattu Pinochet et qui est mort également en 1973. Tous les trois étaient des défenseurs acharnés de la liberté. Tous les trois ont marqué le siècle. Il me semblait judicieux de les réunir pour un hommage musical et théâtral.

CC : Je vois que le festival s’aventure sur le terrain des visites de monuments, des randonnées et même de l’œnologie ?

Après plus de 60 ans, le festival Pablo Casals est une institution mondiale, mais s’il va en Corée, à New York ou à Paris, il n’en a pas moins de l’amour pour sa terre, et sa terre c’est le Conflent avec ses paysages grandioses et ses églises romanes. Le patrimoine fait partie de ce que le public, les stagiaires et les musiciens viennent chercher. Il participe de la magie du festival au même titre que les voûtes de cette abbaye. Quant aux vins, inutile de préciser qu’ici, nous avons des merveilles qui ne demandent qu’à être connues : nous nous employons à les faire déguster.

CC : Vous ne m’avez pas parlé d’argent…

Que dire ? Le public suit, les partenaires aussi malgré la conjoncture difficile. Mais personne n’augmente son aide. Nous ne sommes pas un festival budgétivore, il n’y a pas de structure à proprement parler, alors la moindre diminution, – et bien sûr quand on n’augmente pas, on diminue -, se porte directement sur l’artistique. Je compte beaucoup sur la défiscalisation et la multiplication des soutiens individuels pour maintenir et développer le festival.

CC : Un concert emblématique de cette édition 2013 ?

Oui, peut-être le concert du 30 juillet « Histoires de soldats ». Des œuvres au rythme martial, qui vont de Haydn à Hindemith et qui seront données à Fort Libéria. Ou peut-être la journée du 31, avec des improvisations devant les œuvres du Musée de Céret. Il y a longtemps que je rêvais de ce type de rencontre, entre art plastique et musique. Et puis, j’aime beaucoup rendre hommage à de grands interprètes disparus comme Joseph Joachim, auquel Brahms et Schumann ont dédié des œuvres ou plus près de nous, le pianiste Arthur Rubinstein ou le violoncelliste Mstislav Rostropovitch…

CC : Il faut dire qu’il y a des stars ! Gary Hoffmann au violoncelle, le Fine Arts Quartet… il y a même l’acteur Didier Sandre, la star des critiques musicaux, Harry Halbreich et l’écrivain Daniel Rondeau !

Oui, il y a des stars et aussi des jeunes talents et il y a toutes les écritures, c’est important cette notion de trace, de sillon creusé… Il y a dans la programmation des compositeurs incontournables, mais aussi des personnalités moins éclatantes et moins connues du public. La découverte doit rester le maître mot. On n’en finit pas de découvrir une partition, d’en explorer les lectures. Ce doit être la même chose pour le public, il suffit de l’accompagner.

CC : Là c’est le clarinettiste qui parle…

Disons que je suis un musicien qui parle avec sa clarinette. C’est merveilleux le miracle de la musique. Elle abolit l’âge, le sexe, la condition, l’origine et même la connaissance que l’on croit en avoir. C’est ce que j’essaye de faire passer au public à chaque édition.

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