28 Juil Modernistes avant tout
Être en étroite proximité avec Barcelone a valu aux deux Vallès de recevoir les vagues économiques, historiques, esthétiques, progressistes que la capitale comtale a connues au fil des décennies comme un écho à peine assourdi et l’impulsion d’un élan vital permanent, parfois comprise comme une injonction de changement. Ils sont ainsi devenus une mosaïque bigarrée qui conjugue la création sur tous les modes.
Impossible de comprendre les Vallès sans un peu d’histoire récente. Au milieu du XIXe siècle, la Catalogne va connaître la plus extraordinaire révolution industrielle d’occident et en tout cas la seule à concerner l’Europe méridionale. Il faut dire que celle-ci se produit dans un pays sans aucune ressource naturelle particulière, si ce n’est son solide génie du commerce. Ces matières premières absentes, les catalans savent les importer. Leur sens inné du travail et le talent des ouvriers spécialisés leur permet de les transformer brillamment. Enfin, la Catalogne jouit d’une attractivité assez forte pour que la main d’œuvre accoure des quatre coins des Espagnes et aussi des campagnes avoisinantes dévastées par le phylloxéra et l’arrachage des vignes. Très vite, les cours des rivières se peuplent de fabriques, pour la plupart textiles, qui hérissent le paysage de cheminées vertigineuses. On les appelle ici « vapors » : transformées en centres d’interprétation ou en équipement culturel, elles sont devenues un élément patrimonial de premier plan. Certaines sont de véritables joyaux architecturaux comme le Musée National de la Science et de la Technique de Catalogne (mNACTEC) à Terrassa. Parfois, comme à Granollers, ce sont les tanneries qui ont laissé la trace du savoir-faire local et se laissent visiter, ou encore le Musée du Gaz, installé dans une ancienne usine de Sabadell qui raconte tout sur la mise en lumière progressive de la capitale et de ses environs avec des milliers de becs de gaz à la fin du XIXe siècle. Bien sûr, si ces structures industrielles sont l’expression d’une solide culture ouvrière et cosmopolite, elles ont leur pendant, à savoir l’émergence parallèle d’une classe d’industriels argentés et lettrés qui ont eu à cœur d’imposer leur marque en confiant l’érection de leurs maisons et parfois de leurs usines à de jeunes architectes d’avant-garde, décidés à rompre avec les codes et à célébrer cette nouvelle ère industrielle synonyme de progrès. à l’époque, cette avant-garde a un nom : le Modernisme.
A l’est tout est nouveau
Ce mouvement architectural réellement national est basé sur une inclusion de matériaux considérés non nobles comme le ciment, la corde ou le fer, dans la structure et la décoration, l’utilisation de techniques nouvelles comme les arcs paraboliques et la profusion des ornements notamment en céramique. Très vite, de riches Barcelonais viennent construire leurs maisons de vacances dans les deux Vallès et notamment dans les deux villes balnéaires du Vallès Oriental, à savoir la magnifique ville de Caldes de Montbui dont la place s’orne d’un temple romain intact et qui accueille un très joli musée d’art moderne et aussi la très résidentielle ville de La Garriga où vous pourrez vérifier que l’architecture de haut vol a encore de belle heures devant elle ! Avec où sans eaux bienfaisantes, la campagne n’a cessé d’attirer les citadins au point d’avoir donné naissance à un proverbe « una llotja al Liceu i una torre a Cardedeu »… (une loge au Liceu et une villa à Cardedeu). Granollers, ou l’Ametlla del Vallès doivent beaucoup de leur empreinte graphique à un architecte local, Manel Joaquim Raspall. Son style solaire, très ornemental, son utilisation de gammes chromatiques peu habituelles comme le bleu donnent aux rues une physionomie unique.
Un noble patrimoine
A Granollers, le petit marché couvert en forme de temple, connu comme La Porxada avec ses colonnes ioniennes est un authentique bijou, qui annonce un florilège de maisons bourgeoises plus belles les unes que les autres : Casa Clapers, Casa Sebastià Costa, Casa Josep Tarda… Si vous en avez le temps, offrez-vous donc un vrai esmorzar de forquilla (petit déjeuner à la fourchette) à l’Hotel Europa. L’occasion d’admirer les sgraffites bleus de la façade ocre et de tester la sublime gastronomie locale ! La Casa Blanxart, avec ses balcons en fer forgé et ses motifs à pois roses et bleus est due au crayon de Jeroni Martorell, alors que l’Hospital Asil, plus sobre, a été imaginé par Josep Maria Miró. De l’autre côté de ce pays pluriel, à l’ouest, le modernisme explose aussi de toutes ses formes et de toutes ses couleurs. à Rubí, ne ratez pas la pharmacie Parilla décorée de céramiques émaillées jaunes avec sa porte de marbre blanc et ses lambris. Poussez donc, toujours à Rubí vers les écoles Ribas, inspirées des high schools anglaises, dues au mécénat de deux fabricants de velours. à Terrassa, qui est un peu le vaisseau amiral de la planète moderniste hors Barcelone, la Masia Freixa dessinée par Lluís Muncunill, disciple inspiré de Gaudí et de Domènech i Montaner avec son toit ondulé, ses arcs paraboliques et ses faux airs de temple grec est un chef d’œuvre absolu. Même combat pour la Casa Alegre de Sagrera dessinée cette fois par Melcior Vinyals Muñoz dont la verrière du jardin intérieur avec son triptyque aux jeunes femmes vêtues façon Belle époque est une merveille. A ne pas rater non plus, le marché de l’Indépendance et son incroyable structure métallique qui n’est pas sans rappeler, en France, les travaux d’un Gustave Eiffel. A Sabadell, la deuxième capitale de la comarca du Vallés occidental, connue en son temps comme le « Manchester catalan » un aréopage d’architectes remarquables a œuvré à imposer le modernisme. Il s’agit de Juli Batllevell, Eduard Maria Bacellsou Josep Renom… à voir absolument, l’école Enric Cassasas et ses céramiques et surtout, la Tour de l’Eau, un réservoir de 50 m de haut de forme octogonale en béton armé qui était destiné à alimenter toute la ville en eau et qui reste l’élément identitaire de la skyline. Visitable, la tour offre, en son sommet, des vues incroyables sur la ville et le cercle des montagnes, au loin. à Castellar, faites un petit détour vers la boutique Miralles avec ses deux ouvertures circulaires superposées qui tire jusqu’au plus extrême la syntaxe moderniste et ses influences orientales. Enfin, même si on est loin des terres viticoles méridionales et des fabuleuses cathédrales du vin de Cèsar Martorell, deux joyaux vous attendent, la cave coopérative de Rubí et celle de Sant Cugat. La première utilise les briques en quinconce en guise de vitrail et de décoration murale, le second déploie ses voûtes arachnéennes. Le Vallès, occidental ou oriental, s’est tout entier abandonné au Modernisme qui conjuguait toutes ses passions et sublimait son caractère industriel, offrant aux ouvriers de véritables palais à contempler et même à vivre. Il donne à voir toute la vitalité d’un mouvement que le grand public se contente souvent d’assimiler aux chefs d’œuvre de Gaudí et Domènech i Montaner, classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Dans ses déclinaisons locales et régionales, cet art unique trouve une force et un sens qui ont traversé les décennies pour mieux imposer cette liberté qui l’apparente si fort au baroque.
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