06 Déc Montserrat cité céleste
La montagne de Montserrat dresse ses cheminées déchiquetées et opalescentes comme une immense cathédrale minérale jaillissant de la plaine en longs tuyaux d’orgue irréguliers. Cette véritable forteresse de pierre protège l’abbaye où veille la Moreneta, la vierge noire des Catalans.
Cette montagne fabuleuse était déjà peuplée pendant la Préhistoire comme en atteste la présence de céramiques remontant au Néolithique, mais la légende veut que la Vierge, du moins sa statue, ait été trouvée en 880 dans une grotte. En tout cas la toute première occurrence d’un lieu de culte remonte à 888 et on sait que la première église, Sainte Cécile a été fondée autour de 945, autrement dit au moment même où émergeait la nation catalane sous l’impulsion des Comtes-Rois et de la Reconquête. Au XIe siècle, quatre chapelles bâties sur le site sont habitées par des ermites, avant que l’abat Oliba, abbé de Ripoll et évêque de Vic, une des plus grandes figures médiévales catalanes, ne décide de fonder le monastère de Montserrat. Le mythe est en marche ! Le XIIe et le XIIIe siècles voient la construction de la nouvelle église romane et l’apparition de la statue de la vierge que nous connaissons actuellement. En 1221, avec la diffusion des « Cantigues d’Alphonse le Sage » et la fondation d’une maîtrise, l’Escolania, l’abbaye attire énormément de pèlerins et cette évolution va aboutir au XIVe siècle, à l’édition d’un chef d’œuvre à la fois profane et sacré, le Livre Vermell de Montserrat qui signe le début de l’expansion du monastère en Europe. La construction du cloître gothique s’accompagne de la fondation de l’imprimerie des moines. Le rayonnement de Montserrat est tel, que Christophe Colomb donne son nom à une des première îles découvertes en Amérique et qu’Ignace de Loyola y fait escale. L’église actuelle est ainsi consacrée en 1592, avant que l’abbaye n’amorce un certain déclin. En 1811, elle est brûlée par les armées napoléoniennes avant d’être abandonnée en 1835 à l’occasion des lois de désamortisation qui confisquent les biens des congrégations.
Le XIXe siècle, dopé par la Renaixença catalane, sera celui de la reconstruction avec la célébration du millénaire de l’abbaye en 1880, et la proclamation de la Vierge de Montserrat comme patronne de la Catalogne. Pendant la Guerre d’Espagne, les moines ont résisté au franquisme. 23 d’entre eux l’on même payé de leur vie. Par la suite, ils n’ont pas cessé le combat bien au contraire, en fondant les éditions de la Serra d’or au contenu nettement catalaniste. à partir de 1976, un nouveau complexe est créé autour des bâtiments anciens, le musée d’art moderne voit le jour, et la montagne toute entière est déclarée Parc Naturel. Comme sa vierge trois fois sauvée des flammes, Montserrat a réussi à renaître de ses cendres. Aujourd’hui, l’édifice se présente comme une véritable cité céleste, organisée autour de deux grands blocs de bâtiments, d’une part la basilique proprement dite avec l’ensemble des dépendances monastiques, notamment la salle capitulaire, le cloître néo-roman et le réfectoire, en tous points remarquables, et d’autre part les bâtiments de l’hostellerie, plus modernes. Le tout est structuré autour de places et parvis. La place de l’Abat Oliba est un jardin traversé par un torrent fougueux et orné d’une statue du célèbre abbé fondateur de l’abbaye. Juste devant celle-ci, la Place de Santa Maria se décline en trois niveaux qui épousent le relief et ouvre sur la façade du monastère surmontée de grandes arcades ornées de bas-reliefs. Les ruines désossées du cloître gothique se dressent comme d’étranges ailes froissées. Il faut traverser les arcades pour accéder au parvis en marbre blanc et noir orné de sgraffites et de sculptures. Tout au bout apparaît enfin la basilique, très largement modifiée depuis son inauguration en 1592. Elle se compose d’une nef unique bordée d’une série de chapelles et de tribunes. Une pléiade de sculpteurs a participé à la décoration de l’église dont Miquel Utrillo, Joaquim Vancells, Josep Llimona, Joan Llimona, Dionís Baixeras, Lluís Graner, Manuel Capdevila, Joaquim Capdevila, Josep Cusachs et Josep Pericas i Morros. Au-dessus du chœur des moines se trouve le camaril : une niche accueille, sur un trône en argent, la Vierge de Montserrat. Cette petite pièce, également appelée chambre de la Vierge, est accessible par un escalier latéral escarpé : le défilé des pèlerins y est continu. L’autel monumental, posé sur une partie de l’ancien autel, est surmonté d’un baldaquin orné d’une croix en or portant un Christ en ivoire, due au ciseau de Lorenzo Ghiberti. La Moreneta (littéralement « la brunette ») est de facture romane, sculptée dans le bouleau, et totalement dorée à l’exception des visages et des mains. Elle tient une sphère dans sa main droite tandis que l’enfant assis sur son giron lève la main en signe de bénédiction. Le virolai qui lui est dédié est presque devenu le second hymne de Catalogne tant l’attachement du peuple à cette petite statue est fort et filial. La bibliothèque de Montserrat contient 8 500 volumes dont 158 incunables et 322 manuscrits et l’activité éditoriale de l’abbaye, qui se décline en revues et livres, est en tous points remarquable. Le musée de l’abbaye, dont le bâtiment a été conçu par Puig i Cadafalch en 1929, possède de magnifiques collections déclinées en six départements principaux, l’archéologie du monde antique, la peinture ancienne, la peinture moderne, l’art d’avant-garde, les sculptures et les dessins.
1300 pièces sont exposées dont des icônes byzantines, des éléments d’orfèvrerie, des Greco, des Caravage, des Tiepolo, des Fortuny, des Rusiñol, des Casas, des Nonell, des Mir, des Gimeno, des Picasso, des Dalí, des Monet, des Sisley, des Degas, des Chagall, des Braque, des Clavé et des Tàpies. De son côté, la maîtrise de l’Escolania qui peut s’enorgueillir, parmi une grande lignée de musiciens, d’avoir formé le gambiste et chef d’orchestre Jordi Savall, est connue dans le monde entier pour l’excellence de ses disques et de ses concerts. L’abbaye est aujourd’hui habitée par 60 moines qui, tous dépendent directement du Vatican comme l’avait voulu l’abbé Oliba en l’an de grâce 1025, il y a mille ans. Montserrat continue de donner au monde une leçon d’excellence et de liberté.
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