03 Fév Musée épiscopal : bien plus qu’un musée !
Le musée épiscopal de Vic, situé dans un bâtiment géométrique et moderne à proximité de la cathédrale, est un véritable must. Il possède la troisième collection mondiale en termes d’art roman, et même la toute première du monde pour les peintures romanes sur bois, une véritable prouesse pour une ville moyenne. Mais surtout, il la met en valeur d’une façon assez incroyable, digne des plus grandes structures muséales.
Rien d’étonnant à ce que la Catalogne rayonne tout particulièrement en la matière : les grands bâtisseurs des églises et chapelles ont aussi été les pères d’une nation catalane levée par Guifred le Velu, que chaque pierre érigée, chaque croix dressée, a contribué à forger du IXe siècle jusqu’à l’épopée de la Reconquête. Le Moyen-âge catalan a été une époque glorieuse et l’évêché de Vic y a pris sa part de rayonnement autour de grandes figures comme l’abat Oliba, fils de la maison de Barcelone qui en fut l’évêque, l’inventeur de la Paix et Trêve de Dieu et l’inspirateur de la splendeur des grands monastères pyrénéens comme Saint Michel de Cuxa, Saint Martin du Canigou ou Santa Maria de Ripoll. Les scriptoria catalans étaient alors connus dans toute l’Europe, notamment ceux de Ripoll et de Vic. Le musée est donc d’abord l’héritage d’un évêché de première importance qui a ressenti le besoin de montrer ses trésors dès 1891. Il n’en reste pas moins que les objets présentés sont aussi rares que beaux et méritaient bien que leur mise en valeur exceptionnelle s’accompagne d’une démarche novatrice. C’est désormais chose faite !
Une plongée merveilleuse
En entrant dans le musée, on est saisi par l’élan inattendu du clocher roman, seul vestige de l’ancienne cathédrale. Il s’inscrit dans une baie vitrée immense, verticale, qui semble lui tenir lieu de vitrine et laisse entrer la lumière à grands flots. Les matériaux sont beaux, pierre claire et bois blond, et l’espace est exactement conçu pour les collections qu’il abrite. Un vrai luxe. Mais il y a mieux encore… Le 16 octobre 2022 était inaugurée, en présence de personnalités politiques et ecclésiastiques, une salle d’une centaine de mètres carrés à grand écran concave, la plus grande de tous les musées catalans, porteuse d’une incroyable expérience immersive. Le guide de ce voyage extraordinaire de 10 minutes est un apprenti peintre du XIIe siècle. Il investit deux espaces virtuels au sein desquels il entraîne le spectateur au moyen d’une voix off. D’abord un atelier de peintre tel qu’il était à l’époque avec ses pigments, ses dorures, ses plâtres et ses outils. Tout est reconstitué avec une grande minutie et nous assistons même en direct à la confection d’un devant d’autel, histoire de nous familiariser avec les techniques anciennes. Sous le prétexte de récupérer des pinceaux oubliés dans la cathédrale toute proche, ce guide nous entraîne au cœur du temple. La surprise est totale devant cette profusion de couleurs qui habille les murs de motifs géométriques ou floraux et enflamme les vitraux. On devine que l’on doit au vacillement permanent des flammes des bougies une impression de vie prégnante. Stylisés, sublimés, beaucoup d’objets présents dans le musée trouvent alors leur place dans l’église même s’ils n’en sont pas tous originaires. Une sublime et impassible Majestat retrouve des habits chatoyants, le serpent s’anime pour tenter Adam et Eve, des paons et des dragons se mettent à danser comme un corps de ballet. L’air de rien, un lexique roman se dessine qui prépare admirablement à la visite en misant sur le plaisir des yeux et l’étonnement de la rétine. Un conseil : offrez-vous deux visionnages, le film les mérite ! Cet outil de divulgation et d’éducation, baptisé « MEV / l’art médiéval et digital » est soutenu par la Generalitat de Catalogne et la Députation de Barcelone. à la sortie de ce monde ancien retrouvé, tout préjugé visant à faire du Moyen-âge une période sombre et austère explose définitivement pour laisser place à une admiration sans bornes pour cet art plein de couleurs, de lumière et de mystère. D’autre récits sont en cours de préparation, avec le même souci d’envoûter le visiteur. Titre de cette merveilleuse expérience : Avui fa mil anys (il y a mille ans). Une réussite absolue qui parie à la fois sur l’émerveillement et la soif de comprendre et qui nous transporte au cœur de l’âge roman. Double bingo !
D’un émerveillement à l’autre
Il faut dire que les collections romanes ainsi sublimées sont à proprement parler admirables, à la fois par leur état de conservation, la qualité de leur facture et la variété des supports et du traitement des thèmes, par ailleurs souvent récurrents. Au rayon des fresques murales dont deux habillent les courbes concaves d’absides reconstituées sur un châssis d’aluminium, le musée conserve celles de l’abside de Sant Sadurní d’Osormort, de Sant Martí del Brull, de Sant Martí de Sescorts, trois églises situées dans l’Osona, ou encore de Santa Maria de la Seu d’Urgell. Même constat pour les peintures sur bois ou étoffe des devants d’autel de Sant Martí de Puigbó et Santa Margarida de Vilaseca ou les baldaquins de Ribes (présentant un magnifique Christ Pantocrator tout de bleu roi et de rouges) et de Tost (même figure mais cette fois rouge sur fond noir). Les couleurs sont éblouissantes, alliant à l’or foncé qui surligne certains détails, les oranges vif, les rouges carmin, les bleus profonds et les verts émeraude. La statuaire, somptueuse, trouve son apogée dans la Descente de Croix de Sante Eulalie d’Erill la Vall (Vall de Boí), une splendeur composée de sept statues de bois miraculeusement épargnées dont deux, celles de Saint Jean et de la Vierge, sont conservées au Musée National d’Art de Catalogne.
Et ce n’est pas fini…
On peut donc admirer sur place le Christ, Nicodème, Joseph d’Arimathie, ainsi que les deux bandits crucifiés aux côtés de Jésus. Une étrange émotion se dégage de cette scène de deuil à la fois humble et grandiose. Assurément un des chefs d’œuvre du musée et de l’art roman en général. Tout autour, des vierges aux visages placides et aux grands yeux en amande, souvent des vierges à l’enfant, distillent une discrète bienveillance. On clôt ce chapitre du roman par le « Drap de les Bruixes » (le tissu des sorcières), un devant d’autel représentant des paons et des dragons, caractéristique de la période almoravide du royaume de Taïfa, une authentique merveille, conservée dans la pénombre pour des raisons de protection : heureusement, le film rend justice à sa polychromie éblouissante. Bien sûr le musée possède d’autres trésors. Le premier gothique catalan sert de transition entre les deux styles. Vous aimerez la statue en bois blond de la Vierge de Boixadors, sobrement drapée, déhanchée pour porter l’enfant haut sur son épaule ou encore le retable cloisonné de Sant Joan de les Abadesses en albâtre finement ouvragé, qui raconte dans une série de niches narratives émaillées de bleu nuit la passion, la mort et la résurrection du Christ, ainsi que les tableaux de Lluís Borrassà ou Ramon de Mur. Toutes ces pièces, frappées au sceau de la foi chrétienne et de l’illustration de l’Evangile ont toute leur place dans ce musée épiscopal, et vous pourrez continuer la visite au cœur de l’art sacré catalan plus tardif sans oublier de vous offrir une excursion au sous-sol où vous attendent objets ibères et romains. On est loin très loin, d’une visite de musée classique : il s’agit de se voir donner les clés de la découverte d’un véritable trésor né du cœur et des mains de nos aïeux : l’art roman catalan, expression d’une foi et d’une terre.
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