30 Juil PAR LA GLOIRE DU VIN
A la limite des montagnes de Prades, à quelques encablures de l’Aragon, la jolie ville de Falset, capitale du Priorat, drape la colline ocre de ses maisons serrées. Les faubourgs sont séparés du centre ancien par un vallon verdoyant qui dessine une frange végétale au pied du village.
Arriver à Falset, c’est forcément descendre. La ville est entourée de montagnes et blottie au fond du bassin de la rivière Siurana, ce qui ne l’empêche pas d’étager crânement ses rues sur le relief abrupt d’une crête. On est frappé par le nuancier des ocres striés de vert profond, et par la physionomie hiératique du site. Résidence des comtes de Prades, siège archiépiscopal, capitale de comarca, haut lieu viticole, il faut bien dire que Falset possède un sacré pedigree ! La silhouette massive du château au-dessus des maisons, étayée de deux grandes tours qui semblent prendre racine au cœur de la colline, impose à l’ensemble le poids de l’histoire. Dans la ville basse, plus moderne, l’humour est du voyage avec d’incroyables fresques murales qui représentent au gré des façades, un trio de touristes en goguette, prêts à consommer du pain à la tomate arrosé d’huile d’olive et de bon vin local, ou bien des supporters de foot aux faciès de pirates, ou encore des dames d’un certain âge en tenue de vacances, jeans et espadrilles aux pieds. Tous les personnages sont ridés et dotés de dentitions branlantes. « Je me demande si ce n’est pas moi qui ai été caricaturée », commente la patronne du restaurant en riant. À partir de la grande avenue qui encercle le vieux village, bordée de boutiques, de restaurants, et de petites caves à vin qui invitent à la pause, montent vers le cœur de la ville des rues pavées et étroites. Elles conduisent à une étrange place à arcades extrêmement pentue, la place de la Quartera, une rareté. Ici, les urbanistes successifs n’ont pas cherché à créer des paliers ou des degrés en juxtaposant des zones planes. La place épouse la pente naturelle de la colline, décourageant l’installation de terrasses de cafés auxquelles elle préfère l’alignement parfait de quelques arbres. Elle est ornée d’une étrange pierre taillée qui servait autrefois d’étalon pour peser le grain, justement nommée « la quartera ». On y trouve, au point le plus haut, desservi par quelques belles marches obliques, un très beau bâtiment renaissant, construit en 1630 en élégantes pierres de taille, le Palais des Ducs de Medinaceli qui abrite aujourd’hui les services de la mairie. L’ensemble possède un caractère austère et aristocratique, et pourtant, c’est la véritable agora du village. Impossible ou presque de ne pas être interpellé ! « Vous cherchez le château ? » demande Zoltan, un Hongrois marié à une Catalane, qui possède ici une petite propriété viticole. Il s’improvise guide avec un plaisir non dissimulé « Vous savez à Falset, l’histoire est partout, la ville est connue comme le berceau des reines. Eleanor de Prades, reine de Chypre et de Jérusalem ainsi que Marguerite de Prades, épouse du roi Martin l’Humain sont nées ici ».
Autour du château
À l’un des angles de la place s’élève aussi le Palais des Comtes d’Azara, érigé au XVIIIe. Il abrite aujourd’hui le Consell Comarcal du Priorat. Son patio est recouvert d’une somptueuse coupole posée sur des coquilles évoquant les pélerins de Saint Jacques. D’ailleurs, selon Zoltan, à Falset, tous les bâtiments historiques classés accueillent des services publics. Noblesse oblige ! Plus haut, en direction du château, la petite place Sant Jordi accueille l’énorme église Santa Maria, d’une échelle assez disproportionnée par rapport aux maisons qui l’entourent. Elle allie à sa façade baroque au fronton dentelé, ornée d’un portail à double colonnade de marbre rose, nombre d’éléments gothiques. « À l’époque on n’avait pas conscience du patrimoine » commente une dame aux cheveux blancs impeccables qui balaie le parvis. « Les habitants n’ont pas hésité à construire Santa Maria avec les pierres de l’ancienne église romane pour accueillir les reliques de Sainte Càndia. Pour eux, les monuments du passé n’avaient pas la valeur patrimonianle qu’ils ont pour nous aujourd’hui ». L’église est flanquée de deux cyprès et dominée par un beau clocher octogonal.
Capitale du vin
Ces contrastes d’échelle, le caractère monumental du temple, les cyprès surtout, donnent comme un indéfinissable parfum de Sicile à l’ensemble. Une autre place, juste à côté, ouvre des galeries à arcades sur deux de ses côtés. C’est ici qu’avaient lieu les exécutions publiques, la dernière à la fin du XIXe siècle. Malgré l’essoufflement et la chaleur, il faut encore monter pour parvenir jusqu’au château des Comtes de Prades, construit au XIIe siècle. La belle façade de pierres brunes possède un magnifique portail en fer forgé massif et se pare de l’échancrure gracieuse de jolies fenêtres gothiques bilobées à double colonnade. Autour du château s’élèvent les ruines de l’ancienne église romane et quelques dépendances. Dans ce qu’il reste des anciens remparts se dessine le Portal del Bou, l’ancienne porte d’entrée de la ville. Le château abrite le Musée Comarcal, qui propose une découverte historique interactive de la ville et de la comarca. Mort et préhistoire, plomb et commerce maritime au temps des ibères et des romains, naissance de Falset à l’époque médiévale, guerres de l’époque moderne et odyssée du vin, sont abordés de façon ludique et rendent le territoire plus intelligible. En contrebas du château commence le call, le quartier juif, matérialisé par une belle imposte ronde en marbre blanc gravée de caractères hébraïques, probablement siège de l’ancienne synagogue. Comme nous l’explique un voisin intrigué par notre présence, « Au Moyen-âge plus de
40 % de la population était juive, c’est un des plus hauts pourcentages de Catalogne ». En redescendant, on tombe sur la belle façade de Cal Magrinyà, la médiathèque. Son rez-de-chaussée accueillait la Font del Batlle, les lavoirs publics de la ville. Le tout est assez étrange, comme si l’histoire n’avait pas été à la hauteur des espoirs que laisse entrevoir le patrimoine. Finalement, c’est le vin qui a redonné à Falset un vrai statut de capitale. Du haut du village, on peut contempler une vaste étendue de vignes soignées, éclaboussées du vert clair des nombreux amandiers et noisetiers.
Nous sommes au cœur de deux appellations de haut vol, les dénominations d’origine Priorat et Montsant, qui varient selon la situation géographique des vignes et les cépages. Car Falset a remplacé le prestige du sang bleu par la noblesse d’un autre sang, celui, pur et épais, de la vigne. La petite ville est devenue une véritable icône œnologique ! « Nous venons à Falset deux fois par an pour remplir notre cave. Vous savez, le guide Parker’s a classé les vins d’ici parmi les meilleurs du monde et nous recevons beaucoup » explique Montserrat, une jeune quadra barcelonaise entourée de ses deux enfants, qui se dirige vers l’agro-boutique de la cave coopérative. En effet, dans les faubourgs, au bord de la route, de l’autre côté du vallon que surplombe une petite passerelle, se dresse la magnifique cathédrale du vin de Falset dessinée en 1919 par l’orfèvre du genre, le grand Cèsar Martinell, auteur des plus belles caves du sud de la Catalogne. Les fenêtres longues et étroites surmontées de céramiques vertes s’élèvent comme des flèches en deux dimensions soulignées de parements de briques, belles comme des vitraux d’église. Il s’agit certainement de l’une des plus belles réalisations de l’architecte. Juste à côté, l’agro-boutique au design résolument contemporain regorge de trésors du terroir comme les amandes et noisettes de Reus, l’excellente huile d’olive d’appellation Montsant ou d’appellation Siurana parfumée par la variété locale, la morruda. Une foule bigarrée s’y bouscule. Les langues se croisent, comme les immatriculations des voitures sur le parking, juste en face. Le vendeur de l’agro-boutique est un passionné d’œnologie : « vous savez ce qui fait la puissance et la finesse des vins d’ici c’est la llicorella, un sol d’ardoises friables structurées en lamelles, ça permet à la vigne d’avoir toujours les pieds au frais. C’est idéal pour le grenache noir et le Carignan, les cépages royaux de nos vins. Ça leur donne un velouté unique. » Et nous voilà dégustant un breuvage divin qui sait tout des légendes de Falset et de sa secrète grandeur. Un vin puissant comme un philtre, solaire comme un élixir, qui distille ses sortilèges et montre au village les chemins de son avenir. En fait, à Falset, le meilleur des guides, c’est le vin !
Pas de commentaire