01 Oct Penedès : Obstinément debout
Roman, gothique, moderniste, doté de cadres naturels incroyables, à la fois acharné à la tâche et follement doué pour le farniente, le Penedès va vous surprendre.
On connaît l’appellation viticole « Vi del Penedès », mais beaucoup moins sa réalité géographique. Bref aperçu d’un pays de mas, de châteaux et de tours de guet, à la fois montagneux et maritime, qui ne ménage ni son histoire ni ses paysages pour se faire aimer.
Trois en un
Le Penedès recouvre en réalité trois comarques, le Baix et l’Alt Penedés mais aussi le Garraf, autrefois connu sous la dénomination « Penedés maritime ». Ses paysages vallonnés, souvent marqués par la présence de grandes barres rocheuses, dominant les méandres de cours d’eau sinueux se caractérisent par une omniprésence de la vigne, ça et là constellée d’oliviers ou d’amandiers. Pourtant, du côté d’El Vendrell, les tons s’adoucissent le long de plages sableuses et dorées. L’échancrure gracieuse de quelques criques cerclées de pinèdes vient embrasser des promenades maritimes élégantes, alanguies, où il fait bon ralentir le pas où s’arrêter en terrasse, le temps de déguster un vermouth…
Un pays frontière
Il existe donc au moins deux grandes zones dans le Penedès : parlons d’abord de celle de l’intérieur, hérissée de châteaux forts et de masies fortifiées, striée de fleuves profonds et encaissés, balafrée de gorges et de ces grands rochers qui ont donné son nom au terroir. C’est ici que passait autrefois la frontière entre le nord chrétien des comtes catalans et le sud occupé par les khalifats musulmans : nous sommes à la limite entre la Catalunya Vella, juste au sud de Barcelone, et la Catalunya Nova, celle des terres de Lleida et de Tarragone.
Veillés par la Vierge noire
Où que vous soyez, il suffit de regarder vers l’ouest pour être émerveillé par la falaise tourmentée, sculptée, ouvragée, des montagnes de Montserrat qui semblent surgir d’un seul coup de la plaine. Elles accompagnent tous les paysages de leur présence têtue et puissante. Ne passez pas à côté du joli village médiéval de Gelida, ni de la capitale absolue du cava à Sant Sadurni d’Anoia… Un peu plus loin, bifurquez vers le château de Penyafort qui surplombe le lac de Foix, il vous enchantera et le panorama vous coupera le souffle. D’ailleurs, si vous êtes un fou de vues à l’infini, deux autres miradors naturels vous attendent avec les ruines du château de Font-Rubi et celui de Castellvi de la Marca. A signaler, la route qui mène à ce dernier est une vraie splendeur.
Hérissé de châteaux
Car le Penedès n’est pas avare de patrimoine. Le château de Sant Marti Sarroca, surplombant les gorges du Pontons, restauré en 1963 après avoir été détruit pendant la guerre de succession, est ainsi non seulement, une merveille architecturale avec sa cour trapézoïdale et son église romane restaurée par Puig i Cadafalch, mais aussi un haut lieu : la dernière forteresse tombée en 1714, après Barcelone et un jour seulement avant le château de Cardona. La pierre de construction, blonde et douce comme le tuffeau de Touraine, ne manquera pas de vous étonner. Sur la placette, la margelle du puits porte une sculpture qui rend hommage à la chevalerie.
Patrimoine pluriel
Comme nous sommes sur la Marca Hispanica, suivez la route des châteaux : elle vous mènera à Mediona et à Subirats, où vous pourrez vous faire une idée du rôle défensif de cette terre face aux Maures… D’ailleurs, pas un vieux village, pas une église, pas un monastère n’est situé ailleurs que sur un coteau, une butte, un pignon. Question patrimoine religieux, le monastère de Sant Sebastià dels Gorgs à Avinyonet constitue un ensemble bénédictin étonnant avec sa nef unique, son clocher lombard et son cloître de poche. Son portail roman est remarquable. Pour la petite histoire (et un peu de géographie), il a longtemps dépendu de Marseille, avant de passer sous l’autorité de Montserrat !
Moderniste, forcément
Si vous êtes lassé du Moyen-Age omniprésent, des charmants cimetières chaulés dont les souples cyprès semblent caresser les caveaux, des chapelles perdues et des soixante châteaux forts et tours de ronde dont les vestiges subsistent, cap sur Montferri pour y admirer l’incroyable sanctuaire de Montserrat, conçu par le brillant disciple de Gaudí, Josep Maria Jujols. Une vraie merveille moderniste en plein cœur d’un paysage de vignes, d’oliviers, de cyprès qui élance ses flèches vers le soleil méditerranéen. Le modernisme est ici dans une terre d’élection. Des routes urbaines consacrées aux bâtiments les plus prestigieux vous attendent à Vilafranca, à Sant Sadurni, à Gelida, à El Vendrell… Avec une mention spéciale aux caves de la célèbre marque Codorniu, créées par Josep Puig i Cadafalch au début du siècle. Attention chef-d’œuvre !
Le temps d’avant le temps
Grand saut en arrière avec la préhistoire : cette terre de Cocagne l’était déjà il y a plus de cinquante millions d’années et à ce titre, elle possède des richesses archéologiques impressionnantes comme l’Abric romani avec ses sublimes peintures rupestres, la Graiera, le Mas Romeu ou encore la Pedra Alta de Can ferrer, l’un des menhirs les plus anciens de toute la péninsule. Comme les fouilles continuent, on peut encore s’attendre à des miracles.
Au cœur de l’histoire
Et bien sûr, au beau milieu des vignes, longeant magistralement la mer, la Via Augusta construite par les Romains dont la trace subsiste partout : vous ne pourrez pas rater l’arc de Torredembarra, une merveille qui a survécu à tout et en particulier à la guerre d’Espagne, dont le Penedès, qui abritait le terrain d’aviation de l’armée républicaine, a été l’une des grandes victimes en ces terres proches de l’Ebre. Le centre d’interprétation de Santa Maria dels Monjos témoigne brillamment de ce passé encore proche.
Magie naturelle
Un peu de fraîcheur : si la beauté du parc naturel autour du lac de Foix n’a pas suffi, direction Sant Quintí avec les Deus, un royaume des sources (23 y coulent en permanence) des grottes, des stalagmites… Un circuit accrobranches et un parc d’aventures attendent vos garnements. Si vous craignez la sciatique, vous pourrez visiter les moulins à papier, mus par la seule force de l’eau comme Ca l’Oliver. Amoureux de la nature, le parc naturel du Garraf, le parc d’Olerdòla et celui de la Serra de Montmell vous attendent pour vous éblouir de leur diversité géologique et botanique. Ce dernier espace, avec ses cultures sèches et ses camaïeux d’ocres qui évoquent le désert, semble constituer une planète en soi.
La première Catalogne
Vers la mer, sentinelle attentive veillant à la fois sur le large et la beauté des vignes, le château de Calafell mérite et votre attention, et la petite escalade que vous devrez faire dans les rues étroites avant d‘accéder à la vue qu’il offre à 360 degrés. A quelques centaines de mètres vous attend la grande civilisation de l’antiquité catalane : les Ibères. Vous pourrez visiter une vraie citadelle ibère reconstituée : de quoi tout savoir sur l’incroyable savoir-faire artisanal, militaire et agricole de ceux que l’on peut considérer comme des proto-catalans ! Idéale avec des enfants ou des adolescents, la visite est passionnante et ludique.
Le chic et l’audace
El Vendrell avec son bord de mer chic, ses bâtiments luxueux, ses plages douces, est la vraie star de la Costa Daurada, un hymne à la douceur de vivre, patrie de l’immense Pau Casals et du grand sculpteur Appel les Fenosa : encore deux idées de visite en perspective pour les après-midi maussades… Sitges réussit pour sa part un véritable exploit : rester catalane malgré sa bannière arc-en-ciel, sa vie trépidante de night-clubbers et ses manifestations culturelles. Elle n’usurpe en rien sa réputation, à la fois pure et sulfureuse, avant-gardiste et riche de patrimoine, toujours en avance d’un tempo. Le vieux village, arc-bouté sur ses traditions, ne manquera pas de vous séduire.
Hymne à la mer
La mer est partout, le long de belles plages douces. La mer et sa cohorte de petits métiers et de loisirs dédiés. Ici tout est possible : faire un tour en bateau pour admirer la côte et les fonds marins, pratiquer la quasi-totalité des sports nautiques, accompagner les pêcheurs en virée, leur préférer le chic tamisé d’un green de golf. Toutes vos envies ont droit de cité quel que soit votre âge ou vos moyens.
Debout perquè sí !
Evidemment, nous le verrons tout à l’heure, la tradition ici, c’est d’abord le vin. En digne fils de Catalogne, le Penedès a fait du pire drame de son histoire, le socle de sa richesse et une occasion de fête. Ici la quasi-totalité de la vigne a été décimée au XIXe par le redoutable phylloxéra. Lorsqu’il fallut replanter, les paysans optèrent à presque quatre-vingt-dix pour cent pour des variétés de vin blanc. La méthode champenoise allait faire le reste en donnant naissance au cava. Il y a donc une fête du phylloxéra comme il y a le 11 septembre une diada qui célèbre la défaite des Catalans face aux Français. Comme le disait toujours ma grand-mère : « en la vida quan se tanca una porta s’obre un portal ». Dans la vie quand une porte se referme un portail s’ouvre.
Toujours plus haut
Et l’autre tradition du Penedès, ce sont bien sûr les castells, notamment à Vilafranca, la capitale. Avec toujours la même idée : faire face. S’unir pour réussir l’impossible, toujours debout ! S’unir, ma non troppo : n’y a-t-il pas un peu plus au sud, un peu plus à l’ouest, les rivaux de toujours, les Xiquets de Valls ? Quoi qu’il en soit, cette pratique ancestrale, mi-festive/mi-sportive est inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco.
Le sens du commerce
Enfin, n’oublions pas le charme des marchés et la profusion de petites boutiques, disparues chez nous, qui enchantent ces petits villages, de la traditionnelle épicerie devenue un véritable souk marocain, aux cafés qui ont gardé le formica et le plastique des années soixante. Et par-dessus tout, l’authentique sens de l’accueil qui donne envie de rester, comme si l’histoire qui a forcé cette terre à se défendre lui avait légué du même coup le sens des alliances.
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