03 Juin PRADES, ARISTOCRATE PAR CULTURE
La capitale du Conflent peine à dissimuler sous ses vénérables maisons de maître et son statut de sous-préfecture un ADN paysan séculaire. Cette dualité en fait une ville follement douée pour l’accueil et la culture.
Blottie au pied du Canigou, bien à l’abri des fureurs de la Têt qui la longe sans la traverser, Prades s’étend au milieu des vergers, essentiellement des pêchers, qui occupent encore une partie de sa population. Malgré cet ADN paysan, elle doit à son statut de sous-préfecture un je-ne-sais-quoi de huppé, un rien bourgeois, qui explose dans la beauté des maisons de maître du centre-ville, dans les ornements des fers forgés des balcons et des portails. Pourtant la place principale, étendue devant la belle église Saint Pierre, très vaste dans sa parure de grands platanes, est faite pour accueillir les marchés et ne s’en prive pas. Sur cette terre fertile, les producteurs sont nombreux et leurs produits de très haute qualité : fromages de brebis, fruits tout juste cueillis, légumes du jour, artisanat d’art, Prades est le point de rendez-vous de tout le Conflent le mardi et le samedi, ce dernier jour étant plutôt réservé au bio. Ce savoir-faire gastronomique se retrouve dans ses petits restaurants qui distillent un certain art de vivre, convivial et chaleureux.
Une curiosité gourmande
Cette tendance naturelle à la gourmandise se traduit aussi au niveau culturel. Et ce n’est pas un hasard car Prades a été directement impliquée dans les deux conflits qui ont secoué la Catalogne nord au cours du XXe siècle, et a subi à ce titre un choc émotionnel salutaire. La guerre d’Espagne a déversé sur la ville 30 000 réfugiés catalans et espagnols en provenance de la gare de Latour de Carol soit plus de dix fois la population d’alors. En 1940, ce sont des exilés de Menton qui ont été un temps accueillis avant de repartir dans le Var, les structures locales étant devenues nettement insuffisantes. C’est d’ailleurs parmi ces populations déplacées, perdues, qu’ont débarqué à Prades le poète Joan Alavedra, le grammairien Pompeu Fabra et l’immense Pau Casals.
Ces trois Catalans ont largement et durablement contribué à semer les graines qui allaient faire de Prades une vraie capitale culturelle. En 1944, un autre épisode, plein de panache, voit la première brigade de guérilleros, 150 hommes auxquels il convient de rajouter 50 francs tireurs et partisans français, attaquer directement le Quartier Général de la Gestapo pendant plusieurs heures sans succès. Tous ces épisodes épiques, la cohabitation obligatoire entre autochtones et étrangers, aussi, ont contribué à changer les mentalités et à ouvrir les esprits, préparant en quelque sorte Prades à son destin. En 1950, après un été mémorable qui voit la ville se remplir de musiciens éminents autour de Pau Casals, ce dernier, soutenu par des capitaux américains, crée son festival, une merveille au rayonnement international et même planétaire que personne ne se serait attendu à voir apparaître dans une bourgade aussi excentrée. Il le dirigera de main de Maître jusqu’en 1966, aidé par son frère Enric et une pléiade d’instrumentistes de haute volée venus des quatre points de la planète, avant de quitter les terres catalanes pour le pays de sa mère et de sa jeune épouse, Porto Rico. Malgré le tarissement des fonds américains, la mairie de Prades reprend le flambeau, aidée par le peintre François Branger. Depuis lors, le Festival Pablo Casals prend ses quartiers tous les étés et transforme la ville en la peuplant de musiques, de master classes, de répétitions qui essaiment joyeusement dans toutes les églises des villages alentours. Dans le même temps se déroulent, depuis 1959, les Ciné-Rencontres de Prades. En présence d’invités prestigieux familiers de l’un ou l’autre côté de la caméra, Prades s’offre une semaine d’avant-premières et d’inédits, un concours de courts métrages des films traitant de thématiques liées au territoire, autant dire des rencontres pleines de sens, aux antipodes des manifestations mondaines qui agitent la planète people. Tout ce beau monde culturel se promène dans la ville, prend ses rendez-vous en terrasse et se presse devant les salles et les églises. Il y a pourtant autre chose encore, de plus terrien, de plus enraciné… étudiants et professeurs venus du sud et du nord prennent tous les ans possession du lycée, de l’autre côté de la rivière. Depuis la fin des années soixante se joue ici, chaque année, le futur de la Catalogne en tant que nation. L’Université Catalane d’Eté est une institution et un passage obligé pour les politiques, auteurs et artistes de toute la Catalogne et leurs invités. Il est aussi un creuset irremplaçable d’inspiration qui favorise la pensée et la création. Des concerts, des présentations de livres, des dizaines de débats et de lectures font de l’UCE l’épicentre d’échanges passionnants et nécessaires qui rendent à Prades ses lettres de noblesse catalanes et universelles.
La tradition, condition de l’envol
C’est sur ce terreau fertile qui voit se croiser artistes, critiques, journalistes, politiques de Catalogne et d’Europe et habitants de Prades, que se déroulent tous les ans les fêtes traditionnelles de la Saint Pierre, le saint patron de la ville, résolument placées sous le signe de la Catalogne éternelle avec des spectacles de castellers, des pyramides humaines venues des terres de l’Ebre, des sardanes qui rassemblent toutes les générations en rondes ferventes, des gegants venus de tout le Conflent et, le soir tombé, des correfocs et des diables dans un déluge de feu et de lumière. Toute la journée, les instruments de cobla rythment ces éléments de folklore vivants et fédérateurs. Et ce n’est pas fini… Côté arts plastiques, Prades possède un espace « Martin Vivès » un joli bâtiment de cayrou, en fait l’ancienne prison restaurée, qui abrite toute une collection d’œuvres signées de l’enfant du pays, sans conteste un des meilleurs peintres roussillonnais du XXe siècle, et aussi de François Branger, autre pradéen. Toute l’année des expositions temporaires répondent à ces deux figures totémiques. Aucun champ de la culture n’est étranger à Prades, la belle paysanne qui aime à associer petite robe noire et espadrilles lacées pour danser et chanter le Conflent.
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