02 Juin Recinte Modernista de Sant Pau, rendez-vous avec la modernité
Parmi les joyaux patrimoniaux de Barcelone classés à l’Unesco, deux ne sont pas signés Gaudí mais Lluís Domènech i Montaner. Il s’agit de deux authentiques chefs d’œuvre, le Palau de la Música Catalana et l’incroyable Hospital de la Santa Creu i Sant Pau, une pure merveille technique et artistique, particulièrement emblématique du Modernisme.
Au départ il s’agit du plus vieil hôpital de Barcelone, l’Hospital de la Santa Creu, fruit du regroupement de six hôpitaux existants, construit en 1401 ! à l’époque il s’agissait déjà de gagner en efficacité en concentrant compétences et services. Bon an mal an, cette structure médiévale rendit tous les services que la population attendait d’elle à travers les épisodes de guerre et les épidémies, dont la grande peste, chapeautée par une administration composée de prélats et de consuls, la « Molt Il·lustre Administració (MIA) » laquelle a survécu jusqu’à nos jours. C’est un magnifique exemple de gothique civil catalan que l’on peut encore admirer dans le quartier du Raval et qui donne des clés certaines sur son avatar moderne tant il était en avance sur son époque. Car le destin de Barcelone a rendez-vous avec la modernité et va rebattre les cartes des services médicaux de la ville. Dès le XIXe siècle, en effet, la ville s’agrandit et commence à accueillir des industries, tandis que le port double de volume et que l’agglomération absorbe peu à peu les villages alentour qui deviennent peu à peu des quartiers. En parallèle, les progrès de la science et notamment de la médecine particulièrement en pointe en Catalogne, les nouvelles normes hygiénistes venues notamment d’Angleterre et de façon générale la place de l’individu dans la société, rendent évidente la nécessité de construire un hôpital doté des commodités nouvelles et capable de faire face à l’afflux de population dans de bonnes conditions. Il faut donc prévoir autre chose, un immense hôpital. Le choix de l’architecte se porte sur Lluís Domènech i Montaner, un des représentants les plus remarquables du mouvement moderniste. C’est dans ce contexte d’expansion hors des murs de la ville que Pau Gil i Serra, banquier catalan vivant à Paris, meurt en 1896. Dans son testament, il stipule que son legs devait être utilisé pour construire un nouvel hôpital à Barcelone. Parmi ses instructions, il veut que cet hôpital réunisse les innovations technologiques, architecturales et médicales les plus avancées, et qu’il soit construit sous le patronage de Sant Pau. C’est ainsi que l’hôpital de la Santa Creu i Sant Pau a vu le jour. De manière générale, Domènech i Montaner a créé un plan carré autour de deux axes diagonaux, l’un nord-sud et l’autre est-ouest, qui forment une croix patente, emblème de l’ancien hôpital de la Santa Creu, à travers laquelle se résument et se symbolisent l’histoire hospitalière de Barcelone et les valeurs allégoriques du Moyen-Âge. En 1902, la construction des dix premiers bâtiments du complexe commence, selon un plan urbain différent de celui de l’Eixample. Chaque bâtiment étant destiné à une spécialité médicale différente. La construction de l’hôpital va nécessiter 28 années d’efforts vu l’ampleur du chantier qui ressemble à un îlot d’habitations, tout comme les hôpitaux d’aujourd’hui ! Le chef d’œuvre de Domènech i Montaner ne sera pas inauguré avant 1930. L’architecte s’est apparemment abondamment documenté, notamment sur les hôpitaux parisiens comme Lariboisière. L’idée, simple et géniale, consiste à installer des pavillons autour d’un grand jardin propice à la bonne santé mentale et au moral des malades qui n’étaient ainsi pas coupés de la nature et des saisons, et pouvaient voir leurs proches dans un autre environnement que strictement médical. Les bâtiments étaient reliés entre eux par un réseau souterrain de plus d’un kilomètre, libérant d’énormes espaces verts de surface. Bien que Domènech i Montaner ait élaboré un projet comprenant 48 bâtiments, seuls 27 ont finalement été construits, dont 16 seulement selon le projet moderniste initial.
Luxuriance et modestie des matériaux
Chacun des pavillons correspondait à une spécialité médicale de façon à ce que visiteurs et médecins puissent s’orienter facilement. L’éclairage, la bonne ventilation et la décoration des pièces ont fait de l’Hospital de Santa Creu i Sant Pau un espace unique au monde, un nouveau modèle d’hôpital qui a introduit l’importance des espaces ouverts et de la lumière du soleil dans le traitement des patients. L’ensemble constitue à ce jour le plus grand complexe architectural moderniste de Catalogne, et donc du monde, à visiter non loin de la Sagrada Família. Dès l’entrée, une sorte de luxuriance colorée s’impose au regard du visiteur, scandée par des décorations de faïences, de vitraux, de céramiques qui peuplent la moindre surface bâtie. Le syncrétisme architectural est de rigueur avec des emprunts marqués au monde mozarabe, des éléments mudéjar, des éléments gothiques comme des fenêtres trilobées ou des voûtes étirées en ogives, des frontons d’inspiration baroque, bref un foisonnement d’idées allié à un imaginaire sans limites qui puise au végétal et au géométrique. Architecture et sculpture se confondent et permettent un jeu de volumes permanent. Le site est tout simplement énorme et bien sûr aucun bâtiment n’est identique à l’autre. Certains ont des bow-windows, d’autres des rotondes, d’autres encore des flèches dignes d’une cathédrale.
Comme pour les cathédrales du vin ou la plupart des œuvres civiles de Gaudí, le sacré s’invite au détour d’un angle, sous forme de vitraux ou même de rosaces, par exemple. Sur les toits, tourmentés, plissés, froissés, la tuile vernissée se taille la part du lion. L’intérieur est à la hauteur de cet écrin, et pour le coup, emprunte beaucoup à la décoration des châteaux avec d’immenses couloirs évoquant des galeries de glaces, des fenêtres à verres biseautés, des plafonds ornés de fresques monumentales, des lambris sculptés et surtout, une présence constante de la céramique, en mosaïque, en motifs, en damiers, en pinacles. Les escaliers monumentaux, recouverts de marbre polychrome sculpté, rappellent les modèles renaissants que l’on trouve par exemple dans les Châteaux de la Loire. Lluís Domènech i Montaner ne s’est interdit aucune référence qu’elle soit architecturale ou picturale et a fait appel aux meilleurs artisans du temps pour créer en façade des fresques de mosaïque et travailler les matériaux industriels comme le ciment. Le Modernisme explose dans cet ensemble comme une résurgence inattendue du baroque, flamboyante, techniquement impeccable. à la fois Palais-Hôpital et cité jardin, l’enceinte bénéficie d’un ensoleillement maximal savamment procuré par une orientation millimétrée. L’ensemble jouit du chauffage central, un véritable luxe pour l’époque. Le registre symbolique est abondamment exprimé : écusson de la ville de Barcelone, écu de la ville de Paris où résidait Pau Gil avec les fleurs de lys, alpha et oméga, croix de Sant Jordi… L’Hospital de Sant Pau i Santa Creu est à lui seul un manifeste moderniste. Son inscription à l’Unesco, en 1997, rend justice à celui que le génie de Gaudí a parfois éclipsé mais qui reste un artiste majeur du XXe siècle.
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