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Rencontre avec Agusti Alcoberro

01 Juil Rencontre avec Agusti Alcoberro

Le Musée d’histoire de la Catalogne présente à l’occasion du tricentenaire de 1714 une exposition temporaire particulièrement éclairante. Conversation avec son directeur, Agustí Alcoberro.

Alcoberro2Bonjour, vous êtes le directeur du Musée d’Histoire de Barcelone, vous êtes historien, professeur d’université…. alors, à la lumière des événements en cours, autour des revendications d’indépendance, quelles seront selon vous les dates-clé de notre histoire ?

Je dirais avant tout 1213, la mort de notre roi à la bataille de Muret et la défaite des occitano-catalans devant les Français. C’est la fin du grand rêve d’union de la Catalogne et de l’Occitanie, et c’est décisif pour la suite de notre histoire, puisque l’expansion se fera ailleurs vers le sud et en Méditerranée. Ensuite, évidemment, la perte du Roussillon et de la Cerdagne en 1659, qui ampute un pays déjà très affaibli par les événements de 1640. La date des dates, c’est 1714. C’est le désastre, certes, mais c’est aussi autre chose, c’est un point de recommencement, on y reviendra. Le but des décrets de Nova Planta est d’effacer nos institutions et notre histoire, rien de moins, c’est dire si elles pesaient. Puis, en 1931, la proclamation de la République Catalane par Francesc Macià, avant que se soit proclamée la République Espagnole. Enfin, 1939, avec l’instauration de la dictature franquiste et la mise sous le boisseau de la culture et de la langue, l’expression, de nouveau, d’une volonté d’éradication.

CC : Et vous ne citez pas 1410 avec le compromis de Casp ?

Non, je pense que le compromis de Casp est une conséquence davantage qu’une cause. Certes, il n’y a plus de dynastie catalane à proprement parler à la mort de Martin l’Humain, mais en fait, le déclin économique et démographique dû à la peste noire de 1348 a affaibli le pays… Et puis, la dynastie des Trastamare s’est plutôt inscrite dans la continuité.

Alcoberro3CC : Que pensez-vous du modèle catalan ? Du fait que nous avons eu très tôt un droit civil avec els Usatges, et aussi une démocratie parlementaire avec les Corts et la Generalitat, ou encore des instances de médiation avec les accords de Paix et trêve ?

Il faut faire attention aux anachronismes. On ne peut pas parler de démocratie au Moyen-âge, mais on peut quand même relever que nous ne sommes pas dans un modèle purement monarchique où l’impôt est levé pour que le Roi en dispose. L’impôt est levé, mais le roi doit justifier de son utilisation devant des instances représentatives des trois bras (noblesse, clergé, bourgeoisie). Le souverain n’est pas hors contrôle comme le sera par exemple Louis XIV. C’est un premier pas vers ce que seront les états modernes, certes, mais il ne faut pas non plus l’idéaliser…

CC : En ce qui concerne la Catalogne proprement dite, nous avions des comtes. Ils sont devenus comtes-rois quand s’est créée la fédération catalano-aragonaise. Dans l’historiographie française et castillane, cela nous vaut souvent de passer à la trappe, comme si le titre royal primait sur toute autre considération…

C’est vrai maintenant mais ce n’était pas du tout le cas à l’époque. Dans les documents contemporains écrits en castillan où en français, on parle bien du roi d’Aragon, mais on désigne son peuple sous le nom « les Catalans ». A l’époque c’est très clair, comme ce le sera aussi pour les autres royaumes rassemblés sous la houlette de la couronne. Je voudrais aussi souligner un fait de différenciation majeur qui explique en grande partie l’identité catalane. La Catalogne descend des anciens comtés francs, contrairement à tout le reste de la péninsule ibérique qui procède de l’organisation wisigothique. Et ce n’est pas neutre dans l’évolution des structures et des institutions, ni sans doute pour la structuration des esprits et des mentalités.

CC : Parlez-moi de ce musée que vous dirigez, je crois, depuis 2008…

Je suis historien et je suis spécialisé dans la guerre de Succession d’Espagne. C’est donc notre Musée qui a réalisé cette année l’exposition centrale de la commémoration de 1714, en essayant de répondre à la question que tout le monde se pose à notre propos : pourquoi les Catalans célèbrent-ils une défaite aussi cuisante ? Alors la réponse est simple. Elle souligne – et de quelle façon ! – le passé de liberté auquel elle met fin. Et dans le même mouvement, elle ouvre vers de nouvelles revendications, elle fait entrer un peuple entier en résistance, elle sème les graines de la Renaixença, de la République, du processus qui est en cours aujourd’hui. C’est en ce sens que 1714 n’est pas une défaite mais une victoire différée. D’ailleurs, cette date a toujours été fêtée par les Catalans sous tous les régimes et à toutes les époques, Gaudí lui-même avait été arrêté pour ce motif ! Je dis toujours à mes élèves qu’on ne fait jamais une loi pour rien. Si le législateur prend la peine de faire une loi c’est qu’elle encadre, ou nie, ou supprime quelque chose qui existe et qui, évidemment, dérange. En ce sens elle demande toujours une lecture à double sens.

Alcoberro4CC : Le musée est magnifiquement situé, juste devant le port..

C’est un musée de 4 500 m² sur deux étages et ses collections sont énormes, plus de 18 000 pièces, à la fois en termes d’archives documentaires, d’objets, d’œuvres d’art aussi, liées à des dates historiques, nous avons un Tàpies, un Miró… Et bien sûr, des pièces vraiment historiques comme le manuscrit des décrets de Nova Planta signé de la main de Philippe V ou des éléments émouvants comme la première estelada… Nous essayons d’expliquer notre histoire de façon à la fois ludique et rigoureuse, en éclairant toujours les événements par une mise en abyme avec les autres pays européens et avec le reste de l’Etat espagnol. Nous avons beaucoup de visiteurs étrangers aussi, et nous vendons beaucoup de livres et d’ouvrages car notre librairie est un point important du dispositif et une source de financement non négligeable.

CC : Donc, le musée est devenu un point d’attraction touristique ?

Barcelone est à la mode, c’est vrai. Notre musée n’est toutefois pas visité en première instance lorsqu’on vient à Barcelone, mais en général il se visite lors du deuxième ou troisième séjour, comme le MNAC. Nous accueillons beaucoup de scolaires aussi. C’est un Musée de la Generalitat de Catalogne et la transmission y joue un rôle très important.

CC : Comment est-il financé ?

Nous sommes autosuffisants à 25% ce qui n’est pas rien pour un musée. Le reste est payé par de l’argent public.

CC : Vous avez noté une augmentation du public à la faveur du contexte ?

D’une façon générale, et ceci est valable je crois pour tous les pays développés du monde, les processus de mondialisation et d’accélération des échanges, l’impression de constante mutation dont est porteur ce siècle, tout fait que l’avenir est insaisissable et incertain. Cela provoque en sens inverse un repli sur des valeurs historiques, des valeurs de racines. L’histoire, c’est la terre ferme. Paradoxalement, elle a le vent en poupe et je m’en réjouis !!!

CC : Votre exposition phare sera ouverte jusqu’au 18 septembre. A quand une exposition sur le destin particulier de la Catalogne du nord ?

La Catalogne du nord est évidemment présente jusqu’en 1659 puisque l’histoire est la même. Ensuite, elle l’est toujours par incidence, quand on parle par exemple de la guerre d’Espagne et des exilés de la Retirada, ou de Jacint Verdaguer. L’histoire a toujours un temps d’avance sur l’avenir. Nous avons d’ailleurs choisi comme exergue à notre exposition sur 1714, la phrase d’un frère capucin qui parlait des massacres et du désastre et terminait en écrivant : « mais dans trois cents ans, ils s’en souviendront ». Force est de constater qu’il avait raison…

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