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Rencontre avec Francesc Rovira

03 Oct Rencontre avec Francesc Rovira

Rencontre avec Francesc Rovira, un chef enraciné et amoureux de son territoire, qui préside aux destinées de la Fonda Xesc à Gombrén. Une étoile Michelin posée sur une entreprise vraiment familiale.

Cap Catalogne : Bonjour. Avant toute chose, racontez-nous votre histoire. Comment êtes-vous devenu chef ?

Francesc Rovira : Justement, je ne le suis pas devenu (rires). Je me considère comme un cuisinier, un artisan, quelqu’un au contact des produits, des ustensiles et des gens. Au départ je n’avais pas du tout la vocation, disons que je suis devenu cuisinier par capillarité, par tradition, par immersion. J’ai toujours vu ma mère cuisiner les produits locaux, elle était d’origine paysanne et avait l’habitude de préparer des repas destinés à un grand nombre d’invités. Cette maison, datant de 1730, a toujours été l’auberge où les gens de passage ou du cru venaient se sustenter. Au départ, nous avions un magasin pour écouler nos agneaux et nos différentes préparations charcutières, avant de transformer l’endroit en hôtel-restaurant, une fois les chambres rénovées dans les années 90. Je me suis un peu formé sur le tas, un peu tardivement, vers l’âge de 22 ou 23 ans en faisant mon apprentissage à Barcelone auprès de grandes maisons qui à l’époque, prônaient le nouveau modèle international, à savoir la nouvelle cuisine. J’ai pu connaître des gens formidables comme Santi Santamaria dont je m’inspire beaucoup. Profondément enraciné dans son Montseny, il a su sublimer les légumes et les champignons de sa région, tout en restant ouvert aux influences extérieures. C’est ce que j’essaie de faire à mon niveau avec toute l’authenticité possible. J’essaie de proposer une cuisine qui, dans l’assiette, respecte la tradition et l’identité. Je n’aime pas l’expression « kilomètre zéro », je lui préfère la notion de produit de proximité, plus simple, mais tellement plus vraie.  

CC : Ici, au cœur des Pyrénées, vous vivez au rythme des saisons touristiques ?

FR : C’est tout le défi que pose notre comarca et plus particulièrement notre vallée. Ici, quand on est isolé comme nous le sommes, c’est le produit qui dicte les saisons, pas le client. Et ce sont les produits qui font venir le client. Tout est à peu près constant ici, à part la deuxième quinzaine d’août, quand tout le monde est en congé dans toute la péninsule ibérique, et pendant les mois de janvier et de février, les plus froids, qui sont traditionnellement des périodes creuses. Personnellement, j’adore observer les saisons qui se reflètent dans les produits. Et tous les ans, je découvre des possibilités, des alliances, des textures nouvelles. C’est ce que j’aime, redécouvrir les fondamentaux et renouveler l’expérience.

CC : Les stations de ski n’ont pas d’incidence sur la saisonnalité ?

FR : Pas vraiment, nous sommes une petite vallée isolée des grands axes. à part la Vallée de Camprodon et les alentours de Ripoll, nous avons beaucoup de travail à faire encore, pour inscrire le Ripollès dans les grandes destinations touristiques. Je mise donc sur une clientèle à peu près stable, dans laquelle les locaux jouent un rôle important. Je tiens beaucoup à pratiquer des prix raisonnables et accessibles, c’est ma conception de la cuisine, on parle d’abord et avant tout de partage. Comment prétendre être dans une démarche de proximité si l’on exclut les gens les plus proches ? Je travaille beaucoup sur mes prix mais sans jamais sacrifier la qualité. 

CC : Les fêtes familiales sont importantes ?

FR : Nous en faisons quelques-unes mais en petit format. Mon établissement ne se prête pas aux grands banquets, c’est une table étoilée qui sied aux occasions, aux envies de faire plaisir ou de se faire plaisir.

CC : Justement en Ripollès, de quels pays vient la clientèle ?

FR : Sans surprise, de Barcelone et de la Costa Brava, pour des raisons évidentes de proximité et d’accessibilité, mais aussi d’Europe du nord comme de Hollande, de Belgique, d’Allemagne, et bien sûr de France. Les Français sont ici bien moins nombreux que dans les vallées limitrophes de la frontière mais ils sont là, ils font un crochet en allant à Núria, par exemple. Je le répète, nous ne sommes pas une destination touristique malgré tous les efforts des institutions qui annoncent l’amorce d’un changement. Personnellement, je crois que si nous maintenons des propositions qualitatives, nous tirerons notre épingle du jeu. En tant que restaurateurs et hôteliers nous avons une association professionnelle mais les mentalités restent très individualistes. Nous sommes peu structurés, ce qui est un point faible quand il s’agit de proposer une offre diversifiée, capable de répondre à toutes les attentes.

CC : Vous ne croyez pas, justement, que se trouver loin des zones de submersion touristique est un atout pour demain ? C’est un peu ce qui s’est passé au niveau des gites, par exemple.

FR : Attention, les gites ruraux induisent surtout de faire le plein dans nos supermarchés, d’ailleurs ils sont pleins à ras bord tous les week-ends, mais pas de remplir les restaurants, ce qui correspondrait à des propriétaires de résidences secondaires, à des gens de passage ou à des clients d’hôtel. Ce sont deux démarches très différentes. Ce que je crois, c’est que nous sommes condamnés à miser sur la qualité. À terme, ce qui fera de nous une destination, au sens le plus noble du terme, c’est notre travail. Et ce n’est pas une punition, c’est une formidable exigence et un défi à relever. Il passe par une excellence hôtelière et une restauration vraiment originale. Pour le reste… Regardez autour de vous, nous avons tous les atouts nécessaires pour évoluer sans tomber dans les travers qu’ont connus des territoires entièrement dévolus au tourisme comme les zones côtières : ici, l’urbanisme est resté rural et respectueux de l’environnement et l’habitat traditionnel est largement préservé. Nous avons les moyens d’attirer un tourisme culturel de très haut niveau grâce à notre patrimoine roman et à notre passé industriel mais aussi de séduire tous les amoureux de la montagne en toutes saisons… Le Ripollès est beau et encore sauvage, c’est une découverte que beaucoup n’ont pas encore faite.

CC : Et puis il y a la gastronomie… Citez-nous donc quelques plats-phare de votre carte…

FR : Disons peut-être ma crème de blettes aux gambas et au raifort, ou encore mon riz au jambon et au safran côté entrées, en second plat ma morue aux févettes, à la pistache et au basilic. Ensuite deux stars absolues, pourtant avec des produits de base modestes, le lapin confit à l’ancienne à l’aigre-doux avec des carottes et des betteraves ou mes pieds de porc à la sobrassada et aux coquilles Saint Jacques avec des pommes de terre au romarin. Je pourrais vous parler du canard aux fèves et aux cerises, aussi. J’aime particulièrement les nèfles au thé vert, l’alliance d’un fruit oublié et d’un raffinement exotique. Je ne fais pourtant que revisiter la tradition et rendre hommage, par exemple, à nos fromages artisanaux sublimes, toujours à la carte.

CC : La Fonda Xesc est une belle ambassade du Ripollès…

FR : C’est exactement ce dont nous avons besoin, mettre en réseau tous les établissements de tous ordres qui ont fait de la qualité leur cheval de bataille et qui portent très haut les couleurs de la comarca. Ambassadeurs, oui, c’est notre mission !

fondaxesc.com

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