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Rencontre avec Jacques Alvarez

02 Déc Rencontre avec Jacques Alvarez

Jacques Alvarez est le Directeur d’Altiservice Font-Romeu Pyrénées 2000 et orchestre, tout au long de l’année, le développement de sa station cerdane. Dialogue avec un enfant du pays passionné.

Cap Catalogne : Bonjour. Comment devient-on le chef d’orchestre du développement de votre station ? Quelques mots sur votre parcours ?
Jacques Alvarez : D’abord, je suis un fils de la vallée, précisément un enfant du Haut-Conflent, puisque j’ai grandi à Fontpédrouse. Au départ, j’ai fait un DUT de génie industriel et de maintenance, puis je me suis retrouvé à Grenoble, à travailler pour la firme Pomagalski, grande marque de remontées mécaniques. Quand j’ai terminé mon service militaire, j’ai décidé de me former en alternance en qualité, sécurité et environnement. C’est un peu comme si la neige m’avait rattrapé ! J’ai ressenti le besoin de m’impliquer pour accompagner le développement de mon pays natal, dans toute sa dimension agricole originelle, mais aussi dans son approche plus industrielle – ou plutôt moins artisanale – de ce qu’il est convenu d’appeler les sports d’hiver. Le début des années 1990, marqué par la popularisation du ski, révèle l’évidence d’un changement de système d’exploitation. À ce moment-là, Pierre Bosselut, alors maire de Font-Romeu, prend une décision visionnaire : d’abord privatiser le domaine skiable en créant un syndicat intercommunal, puis, en 2002, proposer un cahier des charges très dense pour procéder à une délégation de service public destinée à gérer l’exploitation de cette méga-station. C’est Altiservice, pour qui je travaille aujourd’hui, qui emporte le marché, d’abord sous forme d’affermage, puis sous forme de concession. Ce montage a permis à la station de réaliser 82 millions d’euros d’investissements et à la municipalité de construire tous les équipements connexes grâce à la taxe montagne. Un montage gagnant-gagnant, en quelque sorte.

CC : C’est presque un conte de fées, et pourtant rien n’était écrit à Font-Romeu à la fin du XIXe siècle…
JA : Vous avez raison. On peut dire que tout commence en 1920, et même que tout commence d’un seul coup puisque, dès la création du célèbre Grand Hôtel, avec sa démesure et la pluralité de ses activités, Font-Romeu est présentée comme une destination climatique et touristique dans toutes les réclames de l’époque. Certes, le ski y reste encore très marginal, mais les grands axes sont déjà là : sport, bien-être, santé, culture. Et puis, deux éléments vont s’avérer déterminants : d’une part, le Train Jaune, qui désenclavera durablement le territoire, et d’autre part, l’exploitation de la force de l’eau, qui assurera à la Cerdagne son autonomie énergétique. Il faut imaginer que la Têt a longtemps connu de grandes périodes de sécheresse, à raison de deux pénuries par an pendant des siècles. Maraîchers du Riberal et viticulteurs du Conflent – car la vigne, à l’époque, n’est pas encore descendue totalement dans la plaine du Roussillon, mais elle est déjà irriguée – se disputent ce trésor. Songez qu’en 1846, l’esquisse de ce qui deviendra la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) envoie sur place un ingénieur qui conclut que le territoire a besoin d’un château d’eau et que la Têt doit être équipée de dizaines de canaux pour irriguer la terre agricole. Ce sera le lac des Bouillouses, créé en 1896, puis rehaussé en 1946 pour augmenter sa contenance. Avec lui prennent fin les sécheresses intermittentes, en attendant bien sûr le renfort du lac de Vinça. On a alors l’idée d’alimenter le Train Jaune avec l’électricité naturellement produite par les centrales installées aux Bouillouses et le long de la Têt. La Cerdagne dispose ainsi des moyens de s’offrir son train et de participer pleinement au développement du département !

CC : Et l’épopée commence, faisant de Font-Romeu un phare touristique et sportif, notamment grâce à la préparation aux Jeux Olympiques de 1968 et aux entraînements de très haut niveau. Le manque de neige dû au changement climatique ne risque-t-il pas de troubler ce tableau idyllique ?
JA : Pas vraiment. L’un des atouts majeurs de ce territoire, c’est d’avoir toujours su anticiper. En 1976 nous avons été les premiers d’Europe à utiliser des canons à neige. Aujourd’hui nous en utilisons 535 pour une saison d’hiver qui va traditionnellement du 1er décembre au lundi de Pâques. Ma génération n’a connu que cette neige-là, c’est donc la normalité désormais.

CC : On imagine qu’il faut multiplier les activités en dehors du ski pour fidéliser le public ?
JA : Absolument. À Font-Romeu, tout est possible. Que l’on soit skieur ou non, sportif ou simple promeneur, on trouve toujours de quoi s’émerveiller. Luge, bobsleigh, ski de fond, raquettes, excursions en traîneau, bains d’eaux chaudes naturelles ou simple contemplation du paysage : ici, la montagne se vit de mille façons. C’est un immense terrain de jeu pour tous les âges, et surtout pour les familles.

CC : L’été apporte aussi son lot de touristes passionnés de montagne…
JA : Oui, cette saison est devenue presque aussi importante que l’hiver. Elle nous permet de consolider les emplois saisonniers et de fidéliser le personnel en maintenant les structures d’accueil actives toute l’année. L’été en Cerdagne est magnifique : la nature est à son apogée et offre un éventail d’activités exceptionnel. Ici, le réchauffement climatique joue plutôt en notre faveur, car les visiteurs apprécient la fraicheur des nuits.

CC : Vous évoquiez la culture : Altiservice en est-elle productrice ou partenaire ?
JA : Nous n’en sommes pas producteurs, mais nous travaillons en complémentarité avec les acteurs culturels, en partageant un plan de communication commun destiné à promouvoir la notoriété de la destination.

CC : Qu’en est-il de l’hébergement ?
JA :  La capacité hôtelière a diminué au fil du temps. Les maisons d’enfants, qui ont jadis fait la renommée de la station, ont peu à peu disparu. En revanche, on assiste à une expansion spectaculaire des résidences touristiques et des chalets privés, adaptés à des séjours dont la durée moyenne varie en moyenne entre 3 et 6 jours.

CC : Et d’où viennent ces amoureux de la Cerdagne ?
JA : Notre principale zone de chalandise se situe dans le triangle Montpellier – Toulouse – Barcelone, avec une forte progression de la clientèle catalane ces dernières années. Nous développons également notre attractivité vers l’ouest.

CC : Question un peu plus personnelle : si je vous demande de définir la Cerdagne en trois mots, que me dites-vous ?
JA : D’abord, paradis. Ici, le soleil mène la danse au cœur des montagnes, à une heure à peine de la mer. Ensuite, richesse. Par sa morphologie, sa végétation, son patrimoine, la Cerdagne est une terre d’abondance. Enfin, catalane, car avant tout, la Cerdagne est profondément catalane.

CC : Comment voyez-vous l’avenir ?
JA : Je le vois agricole, car ce sont les paysans qui ont façonné cette terre et lui ont donné son authenticité. Mais je le vois aussi touristique, avec un équilibre entre zones protégées et espaces accessibles. Nous resterons, j’en suis convaincu, un haut lieu de formation et une terre de champions. Enfin, le capital santé va prendre une importance croissante : nous n’avons pas encore perdu la bataille du climatisme. Je crois à un véritable carrousel des saisons.

CC : Souhaiteriez-vous que vos enfants vivent ici ?
JA : Je souhaite avant tout qu’ils aient la liberté de choisir de vivre ici. La transmission est un devoir sacré. Ce que je leur ai déjà transmis, c’est l’amour de ce pays. Et c’est, à mes yeux, l’essentiel ! altiservices.com

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