09 Juil RENCONTRE AVEC ODILE OMS : « CERET ET LES PEINTRES »
Cap Catalogne : Bonjour Odile Oms, racontez-nous comment on décide de devenir galeriste…
Odile Oms : Au départ, en tant qu’adolescent, on est curieux (rires). Adolescente, j’étais amoureuse de la littérature, de la musique et de la peinture, bien sûr, comment faire autrement à Céret au contact des œuvres de Viallat ou de Picasso ! J’ai un temps travaillé à la banque mais ma rencontre avec Christian Vila m’a révélé l’évidence de mon lien profond avec les arts plastiques, alors je me suis lancée, par amour des arts et du territoire !
CC : C’est un peu la question bateau, mais pourtant comment ne pas la poser… Quelle serait votre explication, si explication il y a, du miracle qui a fait de Céret la capitale picturale que l’on connait ?
OO : Disons que si l’on revient à la genèse, il faut parler de Manolo Hugué et de Déodat de Séverac. Ils débarquent dans un gros bourg à la fois industriel, au sens de l’époque, bien sûr, puisque Céret possède de très nombreux ateliers d’artisans en tous genres, et profondément rural. Manolo y est heureux, il y entend sa propre langue partout, il y retrouve des paysages assez proches des siens à Caldes de Montbui. On peut penser qu’il est en un peu de même pour Déodat, natif de Saint Félix de Lauragais qui fera de la Catalogne sa seconde patrie. Et puis, Céret est beau. Beau comme il l’est encore aujourd’hui avec ces platanes majestueux, ses ruisseaux qui coulent à pleins bords, ses lavandières affairées et son Canigou. D’une certaine façon, à l’époque Céret apparaît comme une sorte d’Arcadie méditerranéenne dans un cadre naturel magnifique que les accélérations citadines n’ont pas encore atteint. Et puis il y a, bien sûr, la lumière…
CC : Qu’est-ce qui différencie cette approche de celle de Collioure ?
OO : Je crois que les deux cas sont très différents. Derain et Matisse peignent à Collioure, ils y sont foudroyés par les contrastes de la Méditerranée, mais ils n’y trouvent pas, et d’ailleurs n’y cherchent pas non plus, ce creuset où se mêlent durablement nouveaux arrivants et aristocratie paysanne relativement cultivée. Ici les artistes qui viennent, et c’est encore le cas aujourd’hui, sont en quête de racines. Aussi bien Manolo que Déodat jettent l’ancre durablement et nouent des liens insécables avec les habitants. Aussi bien l’un que l’autre créent des œuvres nées du contexte culturel dans lequel ils baignent. Il y a dans Céret comme un appel profond de la terre, sans doute parce que Céret n’est pas un port, pas un lieu d’escale grand ouvert sur le large, mais au contraire un point d’enracinement et de repères. Un refuge aussi pour les exilés des guerres successives.
CC : Après cette première génération on a des suiveurs ?
OO : Là, il faudrait presque un dictionnaire, on a l’arrivée de dizaines de peintres à commencer bien sûr par Picasso et Braque, mais aussi Soutine, Krémègne, Chagall, tous ceux dont les œuvres font aujourd’hui le Musée d’Art Moderne. Parmi eux, même s’il est moins connu, Pierre Brune est particulièrement important, même s’il arrive ici par hasard, pour faire sa cure à Amélie-les-Bains. C’est Céret qu’il choisit. à l’époque, les artistes fonctionnent en essaims un peu comme les abeilles, on retrouve des microcosmes qui se déplacent et Céret devient un temps une annexe de la rue Falguière à Paris ! Ensuite, il y a la création du musée qui va en quelque sorte institutionnaliser la présence des peintres sur place et propulser peu à peu Céret dans une notoriété planétaire servie par une littérature abondante qui va contribuer à forger le concept de « Mecque du Cubisme ». On voit ensuite arriver Dupin, Eulry ou Capdeville dont l’apport sera considérable et qui participeront à la légende dorée de la ville avec de grands passants réguliers comme Bioulès, Viallat ou Tàpies.
CC : Et puis il y a ceux qui naissent à Céret…
OO : Oui, dans les années soixante, naître à Céret offrait deux possibilités de rêve et d’ailleurs : la tauromachie, extrêmement présente et même prégnante dans la ville, avec sa charge mythique immémoriale et la peinture, bien sûr. C’étaient deux voies d’évasion et de possible excellence, deux voies transgressives, aussi. Ce chemin de traverse presque dicté par Céret, Marc Fourquet, Michel Arnaudiès et Christian Vila l’ont pris. Et l’histoire a continué, Joan Ponç s’est installé sur la terrasse du Pablo pour quelques années, et nous avons découvert les œuvres de Laurent Riberat, un peintre de Saint-Jean-Pla-de-Corts totalement inconnu, presque clandestin, rejeté par ses pairs, que le Musée d’Art Moderne a pourtant choisi d’exposer en 2002. Une très belle expérience.
CC : On a l’impression d’une logique de « in » et de « off », un peu comme dans les grands festivals…
OO : Le fait que les peintres soient là, œuvrant à demeure, visibles et tangibles, impose sans doute une autre vision de l’art contemporain qui incite l’institution à oser prendre en compte cette création locale foisonnante, et à la laisser faire jeu égal avec l’art du passé, c’est vrai et c’est précieux. Là encore, c’est un peu comme si Céret dictait sa loi…
CC : Quels sont vos grands souvenirs picturaux, vos grandes émotions ?
OO : Question difficile ! Bon, évidemment il y a cette découverte de Riberat, de ses grands formats, et cet engagement de la conservatrice de l’époque, Joséphine Matamoros dans sa redécouverte et sa réhabilitation. Et puis, mais je pense que je partage cette émotion avec des milliers de gens, le choc de l’exposition Soutine, deux cents paysages de Céret, triturés, tourmentés, sublimés et pourtant reconnaissables. Pour moi, c’est un marqueur, parce que cette exposition-là ne pouvait avoir lieu qu’ici, ne pouvait avoir de sens qu’à Céret. Tous les spectateurs, je pense, l’ont compris et ressenti.
CC : De quoi rêvez-vous, Odile Oms ?
OO : Je rêve d’un musée encore plus ouvert sur la création d’aujourd’hui dans notre grande région qui foisonne d’artistes sous-estimés, notamment ici, en Vallespir. Un musée un peu éclaté, un peu hors-les-murs. Je pense à Brigitte Kühlewind, artiste magnifique qui travaille à Lamanère, presque en secret dans son mas isolé, ou à Serge Bonacase. Ou bien à l’Amélien Germain Bonnel, longtemps resté confidentiel. Ou encore à René Guisset, un grand cérétan de l’art brut resté totalement inconnu ici et dont les œuvres sont pourtant conservées par des collectionneurs à Lausanne et à Lille. Leur rendre hommage, c’est aussi célébrer Céret et le Vallespir dans leur dimension tellurique, leur force d’inspiration. Comme l’écriture, la peinture est un art profondément solitaire, d’où ces pépites insoupçonnées que l’on trouve à la faveur d’un hasard heureux. Je crois que le territoire parle à travers ses artistes. Mon rêve pour 2020 c’est d’offrir à René Guisset un retour à la lumière. C’est le sens même de mon métier.
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