28 Juil Rencontre avec Oscar Pardo
Oscar Pardo est le chef inspiré de Can Xela à La Garriga. Il porte haut le flambeau de la gastronomie locale, fin connaisseur des ressources infinies de sa terre et de son histoire plus que millénaire. Rencontre avec un cuisinier poète.
Cap Catalogne : Bonjour Oscar Pardo. Parlez-nous de votre trajectoire atypique…
Oscar Pardo : je suis ce que l’on appelle un chef autodidacte. J’ai compris très vite que l’école et les études n’étaient pas pour moi, mais aussi que je suis intrinsèquement curieux. Moi, j’avais envie de cuisiner et de courir le monde, alors j’ai fait une formation d’aide saucier, je crois que c’est un métier qui d’ailleurs n’existe plus à l’instant où nous parlons. Beaucoup de choses ont changé en cuisine depuis mes débuts. J’étais à l’école de Sant Pol de Mar en apprentissage alterné, mais je voulais autre chose et j’ai commencé à faire beaucoup d’extras pendant le week-end pour gagner de l’argent et à rêver d’un autre destin. Je parlais français, alors j’ai commencé à regarder tous les restaurants étoilés de l’autre côté de la frontière, ce n’est pas si loin, et j’en ai fait le tour pour proposer mes services. Il fallait une certaine audace, je m’en rends compte avec le recul mais j’ai toujours pensé que la détermination paye et cela a fini par être le cas. Les portes se sont ouvertes pour moi, j’ai pu côtoyer Michel Bras (Le Suquet à Cannes), Anne Sophie Pic (Valence), c’était encore la grande époque de la cuisine française. Et bien sûr localement, j’ai bénéficié des conseils du grand et regretté Santi Santamaria (Raco de Can Fabes à Sant Celoni), de David Gomez au restaurant Robert de Nola (Caldes de Montbui) et de Xavier Pellicer (Barcelona). Ils m’ont transmis la passion des produits d’ici et je leur dois d’avoir compris que le lien que le chef entretient avec le territoire est cardinal pour qu’il les sublime de manière optimale. Je suis le produit de cette équation : pas d’école de cuisine, des étoilés du nord et du sud, de grands cuisiniers et bien sûr, l’atout magistral, nos produits.
CC : Je me suis laissé dire que vous êtes passionné d’histoire…
OP : C’est vrai, j’ai passé beaucoup de temps dans les bibliothèques à lire tout ce qui touche à l’alimentation et à la cuisine, cela va des troubadours au livre de Sent Sovi (réceptaire de la cuisine médiévale écrit en langue catalane par un auteur anonyme en 1324) et à celui del Coch (1520). C’est là que j’ai compris les apports multiples que synthétise notre cuisine : arabes, juifs, romains, entre autres. Le Vallès est idéalement situé, au carrefour de tous les chemins, de toutes les invasions, si bien qu’on y trouve tous les produits possibles : nous sommes près de la mer, donc le poisson s’inscrit tout naturellement dans la tradition culinaire locale. Nous avons des terres maraîchères et des vergers qui permettent toutes les variations et bien sûr, des élevages de volaille et autres de tout premier plan. Donc, dans mon métier de cuisinier, je n’utilise que des produits d’ici et bien sûr, les meilleurs. Inutile d’expliquer, je pense, que tous mes partenaires sont triés sur le volet pour leur excellence et leur déontologie, notamment en matière d’agriculture durable et de respect de l’animal. Certains s’entourent de travailleurs handicapés ce qui donne une idée de leur engagement social. J’aime beaucoup cette logique de communauté impliquée, je sais qu’elle se retrouve dans la cohérence des assiettes et aussi des prix. à vrai dire j’en suis assez fier.
CC : C’est une logique d’artisanat d’art…
OP : En tout cas, dans ma cuisine, je ne fais pas trop appel à la technologie, je me souviens des gestes ancestraux qui ont permis le développement de la cuisine catalane et je leur fais pleinement confiance. J’essaie de revenir à l’art séculaire : savoir ouvrir un réfrigérateur ou une armoire, et être capable d’en sortir par la simple grâce d’associations inspirées, un plat aussi bon que possible. L’art culinaire c’est aussi, et peut-être avant tout, un art de la santé, le beau et le bon, ça doit aller ensemble… Le travail en cuisine est dur, mais je pense qu’il doit être proche de celui d’un peintre ou d’un musicien. D’ailleurs je travaille à un projet avec des amis, cinq recettes, cinq dessins et cinq partitions. La cuisine c’est un art de l’épure, ce doit être du sur-mesure.
CC : Parlez-nous des spécialités locales du Vallés…
OP : Dans les stations thermales, et en particulier chez moi, à La Garriga, on sert depuis toujours des cannelloni à la béchamel, mais aussi le colls i punys, une sorte de ragoût à base d’abats de volaille (cou, gésiers, foie, crêtes), du veau aux poires, du poulet à la cannelle… Le tout dans un décor qui lui aussi est vraiment identitaire puisqu’il s’agit d’une vieille demeure moderniste.
CC : Que faites-vous avec le haricot d’appellation ganxet ?
OP : Je le cuisine de façon très traditionnelle, bouilli avec de la saucisse mais ici on l’utilise beaucoup en lieu et place de la farine, un peu comme font les Corses avec les châtaignes. Par exemple, pour faire des carquinyolis (croquant aux amandes) ou des pastissets (gâteaux aux pignons, généralement faits avec des patates douces). Vous savez, même si c’est ce haricot qui a été distingué, nous en cuisinons une trentaine de variétés dans le Vallès : le genoll de Cristo (genou du christ), la mongeta vallenesa, la mongeta del carall… Justement, l’abondance nous permet d’être sélectifs et précis. Je vous parlais des influences orientales dans notre cuisine. Vous ne savez certainement pas que nous avons une version locale du ras-el-hanout qui sert à parfumer nos plats et les rends identifiables ? Elle a un très joli nom « la polvora del duc » (la poudre du duc) soit de la cannelle, du gingembre, des clous de girofle, du cumin, du poivre et du sel, un mélange relevé et goûteux… Ensuite nous avons un grand nombre de picades (fruits secs pilés qui constituent la liaison des sauces) qui servent même pour accompagner la cuisson du riz. Il faut bien comprendre que la situation géographique du Vallès nous a permis de faire nôtres des recettes plus méridionales comme l’ensemble des sauces romesco, salvitxada (sauce spécifique à la dégustation des calçots, les oignons tendres catalans). Tout le reste est une question de moment et de liberté.
CC : Que voulez-vous dire ?
OP : Je veux dire que toutes les trouvailles ou presque naissent d’une erreur, et c’est ce que j’aime dans mon métier, le côté aventure permanente. Quand Ferran Adrià a inventé l’écume chaude, tout le monde est sorti de la pièce quand on a mis le siphon au bain-marie de peur qu’il n’explose. Personne ne savait ce que ça allait donner ! Voilà à quoi tient un mythe ! Souvent c’est l’absence d’un ingrédient au moment où l’on voudrait l’utiliser qui conduit à son remplacement et à une amélioration décisive. Dans mon restaurant, je sers des choses simples, sur-mesure pour les gens qui aiment l’authenticité, et de saison, pour être toujours au plus près du marché et des souvenirs des gens du cru. C’est important de coller à la mémoire et c’est la grâce des produits de terroir.
CC : Votre carte des vins est plus qu’impressionnante !
OP : Je travaille avec un très bon sommelier qui a sélectionné plus de 150 références dans le monde entier, c’est très apprécié.
CC : Les vertus de l’ultra-local allié au voyage en quelque sorte…
OP : Oui, c’est comme ça le Vallès, on en part pour toujours y revenir !
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