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Rencontre avec Ricard Sébastià Foraster

03 Avr Rencontre avec Ricard Sébastià Foraster

Ricard Sébastià Foraster est vigneron à Montblanc, dernier maillon d’une chaine de paysans ancrés sur les terres de la Conca. Il est aussi président du Conseil Régulateur de l’Appellation Conca de Barberà.

Cap Catalogne : Bonjour Ricard, vous êtes Président du Conseil Régulateur de l’Appellation Conca de Barberà depuis 2022. Comment en êtes-vous arrivé là ?
RSF : Mes arrière-grands-parents et mes parents possédaient des terres, mais ils pratiquaient la polyculture comme on le faisait ici autrefois : quelques volailles, un peu de bétail, des porcs et bien sûr du raisin et de la vigne. C’était une économie de survie plutôt qu’une économie de développement. En fait c’est mon oncle qui a décidé, en 1998, de se lancer dans la viticulture, mais malheureusement il est décédé l’année suivante. C’est ainsi que ma mère et ma tante ont pris la relève, et donc, moi aussi, même si j’étais très jeune. Après avoir commencé des études de droit, j’ai finalement décidé de faire des études d’œnologie et de viticulture à l’école Espiells à Sant Sadurní d’Anoia et à l’université Rovira i Virgili de Tarragona, auprès de laquelle je suis sommelier. En réalité, je fais ce que j’ai voulu faire depuis toujours. Je suis heureux que mes pairs m’aient choisi pour les représenter. Nous sommes une génération nouvelle et nous avons envie de repousser les limites pour faire connaître l’excellence de nos produits.

CC : L’appellation Conca de Barberà s’inscrit entre deux grandes appellations, « Montsant » et « Priorat », qui sont, surtout pour la seconde, récipiendaires des plus grandes récompenses mondiales et dont les terroirs sont finalement assez proches. Comment tirez-vous votre épingle du jeu face à cette concurrence immédiate ?
RSF : Par l’authenticité et la singularité. Nous avons abandonné les cépages étrangers, notamment ceux venus de France qui étaient à la mode il y a deux décennies, pour revenir à nos fondamentaux. Nous travaillons trois cépages historiques, le Macabeu, la Parellada et surtout le Trepat qui est vraiment la carte d’identité de notre territoire et de notre terroir, dans la mesure où on ne le trouve pratiquement pas ailleurs. Notre appellation « Conca de Barberà » est jeune, elle date de 1988 seulement. Elle ne recouvre pas un territoire trop vaste, ce qui garantit une certaine homogénéité. De plus, elle s’inscrit dans une tradition incroyable qui remonte au monastère de Poblet et au travail soigneux des moines cisterciens. Il ne faut pas oublier non plus l’apparition ici de la première coopérative viticole de Catalogne, à Barberà de la Conca en 1894. La viticulture est inscrite dans les gènes de ces terres, mais aussi, et en tant que président du Conseil Régulateur, cela m’interpelle l’envie de se regrouper et la conscience d’une communauté de destin. Derrière notre appellation il y a des hommes qui veulent la défendre ensemble. 

CC : Comment décririez-vous les vins de la Conca de Barberà, qu’ont-ils de si spécifiques ?
RSF : Notre altitude relative et la présence des Montagnes de Prades, nous permettent d’élaborer des vins frais et gouleyants, pas trop tanniques, qui résistent très bien au réchauffement climatique et présentent un degré d’alcool assez modéré allié à une belle acidité. En cela ils se différencient déjà nettement de ceux que vous avez cités. Ce sont des vins foncièrement légers qui peuvent accompagner viandes, légumes ou poissons. Ils correspondent mieux, j’en suis convaincu, à l’époque que nous vivons, qui a banni les libations trop caloriques et le primat des plats en sauce, mais aussi à ce que les gens appellent le régime méditerranéen, c’est-à-dire la cuisine méditerranéenne et catalane. Notre vin est le reflet de notre identité, il incarne l’essence de notre région et notre engagement envers une vie en harmonie avec les produits les plus purs de notre terre.

CC : Combien de caves se partagent l’appellation ?
RSF : La Conca de Barberà possède 28 caves particulières et quatre coopératives, c’est quand même une part importante de l’économie de la comarca. Nous produisons à peu près 15 % de rosé, 60 % de rouge et 25 % de blanc qui sert en grande partie à fabriquer du cava. L’appellation permet à la Conca de Barberà de disposer d’un produit-phare qui porte son nom et la fait connaître. 

CC : Qui sont les acheteurs ?
RSF : à 65 % des Catalans ou des Espagnols. Les autres 35 % partent à l’exportation, en grande partie aux états-Unis.

CC : Quelles stratégies utilisez-vous pour étendre votre marché à l’international ?
RSF : Nous travaillons avec des importateurs et nous participons à des foires internationales, sans compter les déplacements sur place une fois par an ou tous les deux ans. La promotion, c’est le nerf de la guerre et c’est justement la première mission du Conseil Régulateur ! La viticulture est profondément ancrée dans l’identité de cette région. En tant que président du Conseil Régulateur, je suis particulièrement sensible à l’esprit de solidarité et à la conscience collective qui unissent les acteurs de notre appellation. Derrière notre label, il y a des individus déterminés à le protéger et à le valoriser ensemble.

CC : Justement quelles sont vos ambitions immédiates, en tant que président ?
RSF : J’aimerais beaucoup trouver du Trepat sur toutes les tables catalanes et dans tous les restaurants, C’est le meilleur ambassadeur de la comarca, un atout majeur.

CC : Parlons de votre exploitation, le Mas Foraster.
RSF : Nous sommes huit à y travailler. C’est une petite entreprise, donc chacun se doit d’être aussi efficace que possible. Pour ma part, je m’occupe de tout ce qui est administratif et commercial et bien sûr, je mets la main à la pâte sur le terrain pendant les vendanges. Notre famille cultive la vigne de génération en génération depuis 1828. Nous nous efforçons d’allier les méthodes les plus traditionnelles aux machines les plus modernes. Par ailleurs, nous sommes totalement intégrés au tissu social de la région. Par exemple, nous entretenons une collaboration étroite avec une association de soutien aux personnes handicapées qui bénéficie d’une partie des bénéfices liés au vin de la cuvée « Les Galinetes ». Être vigneron c’est beaucoup plus qu’un métier, c’est un mode de vie et le respect de valeurs morales héritées, autant qu’une communion avec les saisons et la nature. Le Mas Foraster incarne tout ça.

CC : Vous aimeriez que vos enfants continuent l’aventure ?
RSF : C’est un peu tôt pour le dire (rires). Mes enfants ont 8 et 11 ans ! Ce qui est sûr, c’est que je n’exerce pas un métier à l’extérieur. Mes enfants grandissent avec la vigne, avec le vin, au rythme des vendanges, des foires, des réunions. Alors, évidemment, je n’ai aucune idée de ce qu’il adviendra de leurs vies professionnelles, mais oui, j’aimerais beaucoup que cette chaîne de générations qui dure depuis plus de deux siècles ne prenne pas fin avec moi.

CC : Vous pratiquez l’œnotourisme, comme beaucoup de vos confrères. Que vous apporte ce contact direct avec les consommateurs et leurs familles ?
RSF : Outre la diversification qu’il implique, c’est un apport essentiel parce que nous offrons beaucoup plus que des dégustations : une immersion dans notre monde. Cela nous enseigne également à voir la région comme un ensemble cohérent, riche en divers produits et territoires à explorer. La Conca est extrêmement bien desservie par des routes et des autoroutes, et elle possède des joyaux touristiques comme Montblanc ou Poblet. L’idée c’est d’aller au-delà de cette première approche et de permettre aux gens, par l’œnotourisme, de découvrir tous nos trésors : les truffes, le safran, notre gastronomie mais aussi bien sûr, nos merveilleuses cathédrales du vin, nos châteaux, nos villages. Le vin est un guide extraordinaire et la Conca est belle. www.doconcadebarbera.com

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