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Ripoll, berceau de la Catalogne

14 Nov Ripoll, berceau de la Catalogne

Avec un patrimoine unique, une riche histoire, et un quotidien très vivant, Ripoll attire et séduit le visiteur. Balade dans la ville d’aujourd’hui, entre vieilles pierres et rues commerçantes typiques.

Il est à peine 9h30, et, malgré la pluie qui rince les trottoirs à l’extérieur, dans le café, c’est déjà l’effervescence. Le troquet n’a rien de traditionnel. Le bar est illuminé par des panneaux bleus, les tables sont design. Mais le sourire que le patron distribue à chaque client, dissipe toute sensation de froideur. Ici, c’est un peu comme à la maison. Difficile de différencier les habitués des occasionnels. Les clients entrent, saluent à la cantonade, et filent au bar commander un sandwich. Résurgence d’un temps où les paysans avalaient un casse-croûte sur le coup des dix heures ou dégoût face aux croissants catalans sucrés, ici, on préfère un bon jambon sec-manchego arrosé d’huile d’olive, que l’on avale avec un café au lait, tout en discutant ou regardant les informations que crache le poste de télévision. Que visiter à Ripoll ? Le patron, un Ripollenc d’adoption, raconte avec verve ce qui l’a séduit en arrivant. L’église et le monastère, bien sûr, mais aussi les maisons modernistes que l’on trouve ça et là dans la vieille ville, les anciennes murailles et cet incroyable musée ethnographique qui, dit-il, présente une collection d’armes anciennes de toute beauté.

Ripoll4Ripoll la commerçante

Nous quittons donc le cocon du café pour partir à la découverte de cette Ripoll, à la fois connue et secrète. Et c’est un dédale de ruelles qui défile au fil des pas, ponctué de places et placettes. Derrière les vitrines, boutiques de vêtements tendance et épiceries vieillottes se succèdent. Un salon de coiffure, à l’intérieur moderne, expose en vitrine une photo sépia du même local, voilà cinquante ans, avec ces messieurs aux fines moustaches et cheveux gominés, figés dans un sourire général, et, en arrière-plan, une tapisserie fleurie. Plus loin, une boulangerie arbore une décoration que l’on parierait d’origine. Près de la rivière, une immense pergola en fer vieilli, en référence à l’activité des forges de la région, abrite désormais la terrasse du bar du théâtre « La Lira ». La structure laisse à peine filtrer le jour. Elle donne sur une belle passerelle dans le même esprit… Ainsi va Ripoll, entre modernité et tradition.

Maisons modernistes

Pour mieux comprendre et ressentir l’âme de la ville, un tour de ses maisons de maîtres s’impose. Près du pont d’Olot, au bout de la rue Bisbe Morgades, on tombe nez à nez avec la Casa Montades, une bâtisse de style néoclassique, datant de 1868. Ses chapiteaux et pilastres en disent long sur la fortune de ses propriétaires de l’époque. Après le pont, on passe sous le porche de l’ancien hôpital municipal pour accéder à la chapelle Sant Miquel de la Roqueta. Ici, une fois n’est pas coutume, pas d’art roman : l’édifice, pensé par un disciple de Gaudí, Joan Rubió i Bellver, est typique de l’art nouveau. L’architecte a dessiné les plans d’une autre construction originale, la maison Bonada, dans la rue du Progrès. Il a récidivé au coin de rue suivant, avec la maison Siquès, plus connue sous le nom de « maison du bateau ». Sur la Plaça Gran se dresse la maison Alòs. Bien loin de l’image rurale et paysanne que l’on serait tenté de lui attribuer de prime abord, au vu de sa situation géographique reculée, Ripoll a été, comme en témoignent ses superbes hôtels particuliers, le théâtre d’un développement industriel conséquent. La ville a largement profité de ses cours d’eau, et en particulier du Ter, pour produire de l’électricité et faire fonctionner ses usines. Impossible de quitter le centre ancien sans jeter un œil au pont du Raval. Cet ouvrage médiéval offre une belle vue sur les façades de part et d’autre de la rivière.

Ripoll3Impressionnant monastère Santa Maria

Place maintenant au Ripoll célèbre, celui que l’on visite d’ordinaire en premier, éberlué, dès l’arrivée dans la ville, par sa beauté : le monastère de Santa Maria de Ripoll. Sur la plus grande place de la ville, cette imposante construction force le respect. A l’intérieur, on tombe sous le charme de sa « Bible de pierre », un immense portail sculpté datant du XIIe siècle. Assis face à lui, on pourrait passer des heures à l’observer et à tenter de décrypter les nombreuses scènes sculptées, un peu polies par les siècles. On découvre des représentations très religieuses de l’ancien et du nouveau testament, épisodes des vies de Saint-Pierre et de Saint-Paul, mais aussi des figurations des mois de l’année… Ou encore des signes du zodiaque. Une fois dans la basilique, nous sommes attirés par une lumière, près de l’hôtel.

Pinceau à la main, Marigels restaure une peinture

Là, juchée sur un échafaudage et protégée par une blouse blanche, Marigels retouche avec application une peinture murale. Son pinceau ne coule pas, ne tremble pas, n’hésite pas. Marigels est restauratrice d’art au musée ethnographique voisin. « J’en ai pour une semaine de restauration tout au plus », explique-t-elle en descendant de son perchoir. «  Il s’agit d’une œuvre de Vila Moncau, qui date de 1968 ». Petit coup de jeune, donc, pour le Christ et ses apôtres. « Ce n’est pas une grosse restauration, ni une restauration compliquée », précise Marigels, que nous laissons à son travail, attirés par une grande tombe sertie dans un mur. Ici se trouveraient, ni plus ni moins, les restes du Comte Guifré el Pelós. Le « père » des Catalans fut aussi le fondateur de ce monastère… en 880. La basilique abrite une seconde tombe, celle de Ramon Beranguer IV « el Sant », comte de Barcelona, marquis de Provence et prince d’Aragon… Entre autres distinctions. Dès lors, on saisit mieux toute l’importance de la ville de Ripoll dès le haut- Moyen-Âge, et son statut de berceau de la Catalogne. Avant de quitter le monastère, un passage par le cloître s’impose. La construction de cet édifice sur deux niveaux s’étendit sur quatre siècles, du XIIe au XVIe. Depuis l’une de ses allées, à l’abri des vieilles pierres, on imagine aisément les moines déambulant dans leurs grandes robes, derrières les colonnes.

« Il y a des personnes âgées qui en pleurent »

A deux pas du monastère, le musée ethnographique vient de s’installer dans de nouveaux bâtiments. A l’intérieur, une vitre au sol dévoile les fondations de la muraille médiévale qui encerclait, à l’époque, toute la ville. Le musée est tout sauf un lieu éteint, qui amasserait de vieux objets poussiéreux sans intérêt. « Il y a des personnes âgées qui en pleurent, quand elles le visitent », raconte la conservatrice, Roser Vilardell. Elles disent : ” je m’en souviens, on avait cet objet à la maison quand j’étais petite ” ». Derrière les vitrines, les ustensiles de la vie courante des familles, des bergers, de tout un monde rural, reprennent vie dans la voix de Roser Vilardell. Lourds colliers de chiens en fer recouverts de pics pour se défendre des loups, petites flûtes pour passer le temps en surveillant le troupeau, charmantes chaussures pour les brebis blessées,… Et même des cadrans solaires originaux et autres cuillères en bois taillées avec finesse. Le quotidien solitaire des bergers se dessine derrière ces objets. « vous aviez cinq bergers pour surveiller 5 000 à 8 000 brebis ! » rappelle la conservatrice. Métiers à tisser et objets liés à la célèbre forge catalane rappellent que le Ripollès était aussi une terre d’artisans, cultivant un grand savoir-faire.

Ripoll2Mille et une façons de porter la barretina

On découvre, sourire aux lèvres, qu’il existe mille et une façons de porter la barretina. On l’écrase plus ou moins selon son âge. La teinte, elle, varie selon les vallées. Le cri strident du cochon revient à nos oreilles lorsque nous passons devant la machine à faire le saucisson et la chaîne qui servait à estimer le poids de la bête. Dans une autre salle, de très figuratifs ex-voto remercient le ciel d’avoir guéri les êtres chers. Plus loin, sont exposés des objets familiaux du quotidien que nos grands-mères ont toutes forcément possédé. Vêtements de poupées en papier, dînettes en fer… Dans une tout autre ambiance, les fameux pistolets et fusils anciens sont exposés dans la salle d’armes. Incroyables « trabucs » datant de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, « escopetes », « pedrenyes » et autre « pistoles »… Les Catalans ont excellé, très tôt, dans l’armurerie. Certaines de ces pièces rares appartiennent à des collections privées. Le musée, lui, expose 13 800 objets en tout ! Preuve, s’il en fallait, qu’à Ripoll, l’histoire n’est jamais bien loin. Une histoire avec un grand « H », construite par de grands noms, tel Guilfré el Pelós… Une histoire plus intime, également, celle de la vie quotidienne. Ici, dans le pays de la forge catalane, est née et s’est forgée l’identité des Catalans.

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