01 Juin Salvador Ribas, la tête dans les étoiles
Salvador Ribas est le directeur scientifique du Centre d’Observation de l’Univers du Montsec. Dans ce lieu isolé, exempt de toute pollution lumineuse, il accueille, avec sa petite équipe, un public nombreux, venu découvrir la magie du ciel. Rencontre.
Cap Catalogne : Le parc astronomique du Montsec est dédié à la recherche, mais aussi à la vulgarisation du savoir, est-ce exact ?
Salvador Ribas : Effectivement. Le parc est composé d’une partie « observation scientifique », avec l’observatoire astronomique, qui est installé en haut de la montagne, à 1 570 mètres d’altitude. Cet outil est dédié à la recherche et n’est pas ouvert au public. L’autre volant du parc, c’est le Centre d’Observation de l’Univers, qui se trouve ici, à 2,5 km du village d’Ager, et qui est dédié à l’éducation, à la divulgation et à la diffusion de la science, principalement de l’astronomie, mais pas seulement. Nous proposons notamment une exposition, qui traite également de géologie, ainsi que de la faune et de la flore du Montsec.
CC : Comment est né ce projet d’observatoire ?
Il a débuté dans les années 90. Les universitaires cherchaient un lieu pour faire de l’astronomie. Il fallait débusquer une zone qui soit très peu impactée par la lumière des villes la nuit, avec de bonnes conditions météorologiques et atmosphériques. Les scientifiques se sont attelés à trouver ce lieu, avec l’appui du chimiste Joan Oró, un chercheur catalan emblématique de cette époque qui a travaillé aux Etats-Unis. Parallèlement, les pouvoirs publics cherchaient à dynamiser économiquement le Montsec. Un consortium public a donc été créé pour cela, et le projet de parc astronomique s’est fait dans ce cadre. Les travaux ont commencé en 2002. L’observatoire astronomique a été inauguré en 2008 et le centre d’observation de l’univers en 2009, coïncidant avec l’année internationale de l’astronomie. Nous avons commencé à accueillir des écoles, puis du public pendant les week-ends, les ponts et les vacances.
CC : Quels types de publics recevez-vous ?
Environ 40% du public vient de l’aire métropolitaine de Barcelone et 40% supplémentaires de la province de Lleida et de la Catalogne centrale. Les autres visiteurs viennent des provinces de Tarragona, de Girona, et de l’extérieur de Catalogne, du reste de l’État espagnol, mais aussi d’ailleurs, d’Europe du nord notamment… Nous avons eu des habitants des pays baltes et de Suisse, par exemple. Ce public vient de façon très concentrée, pendant les vacances. Ce sont des gens qui viennent au Montsec pour faire de la randonnée, du VTT, mais aussi du vol en parapente et du saut en parachute : le Montsec est un spot très connu pour ces activités. Ces personnes profitent de leur séjour pour venir découvrir le Centre d’observation de l’univers, tandis que le public catalan vient spécifiquement pour découvrir le centre. L’an dernier, nous avons eu plus de 21 000 visiteurs. Pour un village de 400 habitants comme Ager, c’est un chiffre très élevé ! L’impact économique est important.
CC : Que vient chercher le public, par-dessus tout ?
Je crois que les gens viennent en partie pour observer des choses, qu’en temps normal ils ne pourraient pas voir. Certains viennent pour l’observation solaire, pour découvrir le soleil enflammé. Cela marque beaucoup. Lorsque la lune est bien pleine aussi. Avec un grand télescope, avec des optiques bien préparées, l’observation des détails est fantastique. Mais les visiteurs viennent aussi pour voir la coupole du planétarium s’ouvrir et le ciel étoilé se dévoiler au-dessus de leur tête. Dans ce cas, c’est l’imagination qui l’emporte… La vision du réel fait souvent plus d’effet que celle de planètes à travers un télescope ! En Catalogne, la grande majorité de la population vit dans des aires métropolitaines, à Barcelona, Tarragona, Lleida, Girona,… Le ciel que l’on y voit est très pauvre, à cause de la pollution lumineuse.
CC : Concernant l’observatoire astronomique, on imagine un site rempli de scientifiques… En fait, il est vide ?…
Exactement. Il n’y a pratiquement jamais personne. Il est supervisé depuis le campus de l’Institut d’Estudis Espacials de Catalunya, à Bellaterra, près de Sant Cugat, au nord-est de Barcelone, et il fonctionne de façon automatique. C’est un programme informatique sur lequel il pose ses commentaires, si l’on peut dire. C’est le plus grand observatoire de Catalogne. Historiquement, il existait déjà deux observatoires importants, l’observatoire Fabre, à Barcelone, et celui de l’Ebre, près de Tortosa. Mais ils sont plus petits. Il fallait un observatoire plus adapté, situé dans une zone qui permette de bien voir le ciel la nuit. Il n’est pas parmi les plus gros du monde, mais il possède une grande autonomie et ne nécessite pas de moyens conséquents de contrôle. Comme tout est automatisé, on n’a pas besoin, par exemple, de changer d’instrument ou de filtre manuellement pour voir un objet, et cela permet de saisir des images d’objets rapides.
CC : N’est-il pas frustrant d’avoir cet outil incroyable à deux pas d’ici, et de ne pas y être en permanence ?
Vous savez, les images sont recueillies à Barcelona, mais elles sont ensuite redistribuées aux scientifiques. On me les envoie. Et si n’importe quel scientifique au monde les demande, il y a accès. Certains scientifiques les utilisent pour de la recherche, d’autres pour de la divulgation. Par ailleurs, au bout d’un an, elles deviennent libres de droit. N’importe qui peut les consulter.
CC : Quel est votre meilleur souvenir d’observation astronomique ?
C’est difficile à dire, il y en a tant… Je pense que mon plus beau souvenir date de la première fois où j’ai regardé les étoiles à l’œil nu depuis ce site exceptionnel du Montsec. Le ciel était si étoilé que je me suis dit… « La vache ! ».
CC : Une question plus « terre à terre » pour terminer… Vous qui êtes originaire d’ailleurs, que pensez-vous du massif du Montsec ?
Je suis de Barcelone, en effet. J’étais professeur à l’université d’astronomie. La première fois que je suis venu, c’était en 2000 ou 2001, dans le cadre d’études de qualité du lieu, et par la suite, je suis revenu de temps en temps. J’y travaille vraiment depuis 2008, et je vis à Lleida. J’aime beaucoup cette région. La vue sur le Montsec, sur ses dimensions imposantes, est très marquante. Lorsqu’on quitte Barcelone et son aire de quatre millions d’habitants pour vivre à Lleida, qui compte 150 000 habitants, pour travailler dans le Montsec, à côté d’Ager et ses 400 habitants, c’est un sacré changement ! Si vous cherchez certains magasins, vous ne les trouverez pas. Il faut abandonner certaines habitudes… Bien qu’Ager soit un cas particulier dans une zone aussi peu peuplée : elle a plusieurs restaurants, plusieurs écoles de vol, des agro boutiques, un camping,… Je dirais que le Montsec est une zone touristique de l’intérieur, à l’inverse du tourisme très dynamique de la côte. Géographiquement, nous sommes une barrière entre la plaine au sud, et la montagne au nord. La montagne, pour les gens de Barcelone, c’est la Serra del Montseny… Et bien, pour les gens de Lleida, c’est le Montsec, sur la route des Pyrénées. Et nous sommes sur le chemin de Madrid pour les Barcelonais, et aux bifurcations pour l’Andorre et le Val d’Aran. Mais les gens passent la porte sans entrer ici. En fait, le Montsec est peu connu… C’est pourtant une montagne que l’on n’oublie pas.
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