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Santa Maria del Mar, l’autre cathédrale

03 Avr Santa Maria del Mar, l’autre cathédrale

Santa Maria del Mar, édifiée sur l’emplacement exact d’un amphithéâtre romain et d’une nécropole paléochrétienne, incarne des identités multiples. Elle est tour à tour surnommée la cathédrale sans cloître, la cathédrale du Born, la cathédrale des pêcheurs et, bien sûr, drapée dans sa légende, la cathédrale de la mer.

En 1329, année où commence sa construction, Barcelone est la capitale de la thalassocratie catalane, qui vaut à la Méditerranée le surnom de « lac catalan ». Les comtes-rois possèdent des comptoirs actifs en Sardaigne, en Corse, à Malte, dans le Maghreb, en Italie, dans les Balkans et même en Grèce. Le quartier de La Ribera, qui tire son nom du canal qui le traverse encore aujourd’hui, connaît à cette époque un développement important. Il abrite des marins, des débardeurs, des marchands dédiés au commerce maritime, ainsi que de nombreuses guildes d’artisans. Cette partie de la ville, aujourd’hui intégrée au Born, représente le poumon économique de Barcelone tout autant que son ouverture sur la mer et ses possessions lointaines. L’ancienne église romane, devenue trop exiguë, ne parvient plus à refléter la splendeur économique et ne permet pas non plus aux généreux donateurs de concrétiser leur foi par la commande d’œuvres, statues ou retables. Peu à peu l’idée de se doter d’une nouvelle église, plus grande, plus caractéristique de l’expression gothique alors en vogue, aboutit à l’engagement des maîtres architectes Ramon Despuig et Berenguer de Montagut. Ce temple, à la différence de sa contemporaine, la cathédrale de Barcelone, associée à la noblesse, à la monarchie et au haut-clergé, est destiné à être la véritable cathédrale du peuple, financée uniquement par ses paroissiens et construite grâce à l’effort des marins et débardeurs. à partir de 1329, donc et pendant des décennies, sous la houlette de l’architecte Berenguer de Montagut, également auteur de la basilique de Manresa et de la cathédrale de Palma de Majorque, un petit peuple affairé et joyeux, porté par une foi immense, a érigé ce temple massif, doté d’un portail magnifique. Les pierres, extraites des carrières proches du Montjuïc, étaient transportées par bateau jusqu’au quai. Malgré le caractère non professionnel des bâtisseurs, il ne fallut guère plus de 53 ans pour bâtir Santa Maria del Mar, soit la moitié du temps nécessaire pour d’autres édifices de même envergure. Ne dit-on pas que la foi soulève des montagnes ? D’autant que le Roi Pere le Cérémonieux et d’autres grands seigneurs finirent par contribuer généreusement à l’œuvre, tandis que les artisans des guildes se liguaient pour offrir à Barcelone un de ses plus beaux symboles. Au fil de ses sept cents ans d’existence, Santa Maria del Mar a subi bien des outrages, le pire étant l’incendie de 1936 fomenté et exécuté par les anarchistes. Aujourd’hui, tout a été parfaitement restauré. Si l’extérieur de l’église présente des allures trapues de forteresse, l’intérieur révèle ses dimensions impressionnantes, organisées en trois nefs et trente-trois chapelles qui créent un espace unifié et saisissant. L’ornementation sobre est mise en valeur par un jeu subtil d’horizontales qui met en scène des corniches et des bas-reliefs. Le regard est rarement interrompu, excepté par les piliers octogonaux, si caractéristiques du gothique catalan, dont l’immensité accentue la sveltesse. À y regarder de près, de nombreuses références visuelles, sculptées dans les bas-reliefs ou peintes, rendent hommage aux bâtisseurs populaires de ce temple atypique. Il est désormais possible d’accéder aux galeries pour admirer de près la grande rosace, les vitraux, les clochers, et les gargouilles. Les vues sur la ville et la mer toute proche sont magnifiques. Santa Maria del Mar est un lieu magique, littéralement enchâssé dans les maisons qui l’entourent comme pour mieux dire son appartenance au peuple du Born.

Sanctuaire artistique

Les deux tours qui occupent sa façade remontent respectivement à 1498 et 1674. Cette dernière servait de tour de l’horloge et n’a été couronnée qu’en… 1902. Le mobilier est à la hauteur de son écrin. Derrière le maître-autel, les tribunes, ouvertes au public, permettent une déambulation paisible. Elles permettent aussi de découvrir des peintures d’origine d’une grande beauté et les colonnes de l’ancien retable baroque conçu par Deodat Casanovas. Ce dernier a été perdu pendant la guerre d’Espagne, détruit lors du grand incendie de 1936 après avoir subi des dommages importants en 1714, quand Philippe V canonnait froidement le quartier révolté depuis le sommet du Montjuïc. Admirons également les vitraux représentant des scènes de la Résurrection et de la Pentecôte, ainsi que Jésus lavant les pieds de ses Apôtres, qui datent de l’époque même de la construction de l’église, une véritable rareté. Les vitraux du Jugement dernier (1474) et de la Cène (1711) ont, quant à eux, miraculeusement survécu aux aléas de l’histoire et de la géologie. Entre 1980 et 1990, la Generalitat de Catalunya a entrepris la restauration des toits, des vitraux et des clés de voûte.

Restaurations et révélations

Mentionnons aussi la grande rosace, entièrement refaite après sa destruction par le tremblement de terre de 1428, dans un style nettement flamand, représentant le Couronnement de Marie. Les clefs de voûte de la nef centrale, ornementées, déclinent toutes les épisodes de l’épopée mariale. On y distingue des traces de couleur qui semblent confirmer le caractère polychrome originel de l’église, comme c’est le cas pour toutes les églises gothiques catalanes. La Chapelle dédiée à Ignace de Loyola se trouve à l’endroit même où le saint faisait l’aumône lors de son passage à Barcelone (entre 1524 et 1526) pour ensuite distribuer son obole aux plus nécessiteux. Enfin l’orgue de Santa Maria del Mar, initialement construit pour le couvent des trinitaires de Vic, a su trouver ici la place qu’il mérite. Son style et sa décoration datent de la deuxième moitié du XVIIIe, mais personne n’a pu à ce jour identifier son facteur. Il s’agit quoi qu’il en soit d’un instrument rare d’une très grande valeur. En 1923, le pape Pie XI a concédé à Santa Maria del Mar le titre de basilique mineure, juste derrière la Cathédrale et la Basilique de la Mercè. Que peuvent toute la volonté et le sens de la hiérarchie d’un pontife contre une légende gravée dans la mémoire du peuple ? à Barcelone, Santa Maria del Mar a rang de cathédrale. Elle a gagné son titre dans la sueur, le feu, le sang, et l’amour de la Catalogne.

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