30 Juil SI PRÈS DU CIEL
Il faudrait être un de ces aigles royaux qui virevoltent dans le ciel haut, pour embrasser d’un seul regard tous les visages du Pallars Jussà, vertébré par les cours de la Noguera Pallaresa et du Flamisell, une mosaïque de terres arables, de prés où paissent vaches, brebis et chèvres, de vignes d’altitude impeccablement rangées, de vastes espaces sauvages, de gorges, de vallées et de lacs.
Plus accessible que le rêve d’Icare, le « train des lacs » pittoresque et inattendu offre une alternative bucolique, idéale en famille, pour plonger au cœur de cette comarque pyrénéenne. En version « historique » avec de vieilles locomotives des années 60, ou en version « panoramique », sur une impériale, le train semble creuser son chemin, du sud au nord, à fleur de roche et d’eau à travers des dizaines de tunnels et de ponts. Il propose quelques étapes qui sont autant de points de départ pour des visites et des excursions uniques, à prévoir avec d’autres moyens de locomotion. Embarquement à partir de Lleida, Balaguer ou d’Àger dans la comarca voisine, et cap sur le nord ! Même si vous optez pour la voiture et donc l’autonomie, suivre le cours du train reste une excellente option. Il faut d’abord traverser l’aridité majestueuse et minérale de la Serra du Montsec, puis la Vallée de Tremp s’ouvre autour du lac de Terradets avec ses innombrables roseaux et ses plages douces réservées à la baignade, aux plaisirs nautiques et aux joies de la pêche. Première étape conseillée, Guàrdia de Noguera. à l’ouest, une petite route sinueuse peu fréquentée, ponctuée de fermes très isolées monte jusqu’à la naissance des magnifiques gorges du Mont-Rebei tandis qu’une autre mène au magnifique château de Mur. à l’est, sur l’autre rive du lac, une autre route, plus riante, conduit à Isona, un joli village qui règne sur la Vallée Dellà, la plus orientale de la comarca. Ici, les Romains avaient bâti l’ancienne Aeso dont subsistent quelques traces. C’est là, du côté d’Orcau qu’ont été découvertes des empreintes de dinosaures, ou plutôt de deux sortes de dinosaures, les hadrosaures à trois doigts et les titanosaures, dont les pattes évoquent celles des éléphants. à Basturs, les paléontologues ont même retrouvé des œufs parfaitement sphériques. « Vous ne pouvez pas imaginer la puissance touristique des dinosaures » déclare Lourdes, la patronne du café. « On a des familles entières qui viennent de Toulouse, de Lleida, de Barcelone et même de Saragosse juste pour jouer les paléontologues ! ». L’arrêt suivant se fait à Tremp, la capitale. La vieille ville s’organise autour de la Basilique de Santa Maria de Vall de Flors, de style gothique tardif, remarquable pour son orgue et son retable majeur, et jouxtée d’une étrange tour ronde. La ville moderne aligne sur ses rambles ses belles maisons cossues du début du XXe.
De vigne en ville
En se promenant au fil des rues, on note la présence de commerces de toutes sortes, des plus essentiels aux plus pointus : malgré ses six mille habitants à peine, Tremp joue à plein son rôle de locomotive. « Ici, il n’y a pas de grands monuments, le patrimoine bâti est modeste. Je crois que notre richesse est ailleurs, on ne joue pas un rôle destiné aux touristes.» explique Montse, assise derrière l’imposant comptoir de son hôtel familial. Un énorme pont, très haut, surmonte la rivière où s’activaient autrefois les tanneurs. D’architecture romane, il repose sur quatre arches en plein cintre, étrangement fines et offre des vues magnifiques sur toute la vallée de la Noguera. Au nord, à quelques kilomètres, s’étale un nouveau lac, le lac de Sant Antoni, plus imposant, fermé par la centrale électrique de Talarn, visitable et passionnante, car c’est sur ces terres qu’est née l’électricité catalane. La présence de la vigne sur les coteaux n’est pas due au réchauffement climatique. Elle avait toujours été là, avant que l’épidémie de phylloxéra ne la décime au tournant du XXe siècle. L’étape de Salàs de Pallars est idéale pour les amoureux du vin car aujourd’hui, une dizaine de caves particulières, et même le plus grand producteur mondial, Torres, offrent des vins d’altitude charpentés et fruités qui annoncent l’avenir des cépages les moins résistants à la sécheresse méditerranéenne. Tous bénéficient de l’appellation locale, Costers del Segre. Offrez-vous donc une petite dégustation doublée d’une promenade dans le vignoble, parmi les colles de vendangeurs à l’œuvre. Une petite vallée s’ouvre à l’ouest, la vallée des vautours. Les rapaces y ont leur petit musée mais pour admirer le vol gracile des aigles dorés, des vautours et des effraies rien ne vaut le mirador de la collada de Turugó. Au fil de la route, au-dessus des hêtres et des rouvres, les roches sont de plus en plus déchiquetées jusqu’à évoquer parfois les montagnes de Montserrat. Les grottes qui s’y cachent recèlent de saisissantes peintures rupestres. Cette fois c’est la rivière qui montre le chemin jusqu’à la Pobla de Segur. C’est ici, aux alentours de l’ancienne gare, que vit la mémoire des « Raiers », ces convoyeurs de bois qui n’hésitaient pas à défier les eaux pour amener à bon port, dans la plaine, les troncs coupés dans la montagne et attachés en radeaux. Un musée leur est dédié, et chaque année, le premier week-end de juillet, les jeunes de la vallée retrouvent les gestes ancestraux pour descendre la rivière.
Confluences
La physionomie de la Pobla de Segur est nettement montagnarde. à signaler, deux bâtiments singuliers, la Casa Mauri, qui abrite la mairie, moderniste, asymétrique et décorée de créneaux, de médaillons et de personnages en belles céramiques, et le moulin à huile situé dans une ancienne église romane. Au-dessus du portail en plein cintre, dans une niche également voûtée, se dresse une statue représentant Joseph avec Jésus, due au ciseau du grand sculpteur Josep Llimona. La Pobla de Segur est une petite ville bourrée de charme ! C’est à la fois le terminus du train et le début d’une autre aventure car tout au nord, le long du torrent Flamisell, s’étend la Vall Fosca, la vallée sombre, ainsi nommée car trop encaissée pour que le soleil y pénètre durablement. C’est une petite merveille étroite et verte, aux accents alpins, striée de sources et de cascades, riche d’une multitude d’étangs qui ne sont pas sans rappeler le chapelet des Camporeils sur le flanc du Carlit. Pour construire la centrale hydroélectrique de Sallente, tout en haut, il a fallu aménager un téléphérique capable de transporter ouvriers, camions, et matériaux. Toujours en service, il gravit en 13 minutes à peine un dénivelé de 450 m pour atteindre 2 000 m d’altitude. Une expérience grandiose car l’absence de pistes de ski a préservé la montagne dans toute sa pureté originelle.
Une comarca à vivre
Tout en haut, s’étend le Parc National d’Aigüestortes et l’Etang de Sant Maurici, un véritable joyau pyrénéen, sauvage et préservé. Dans la vallée parallèle, la bouillonnante Noguera Pallaresa scie son chemin dans la roche dure en cinq kilomètres de gorges étroites et spectaculaires, le Congost de Collegats. Le joyau de ce défilé est l’Argenteria, une roche où l’eau a créé comme une longue chevelure de travertin. Le lieu est si poétique qu’il a inspiré l’architecte Antoni Gaudí et le poète Joan Maragall ! Le Pallars Jussà est un paradis pour tous ceux qui aiment bouger, avec plus de soixante excursions proposées, des circuits en VTT, des chemins équestres, mais aussi des descentes de canyons vertigineuses, une offre spéléologique hors pair, des voies d’escalade incroyables de diversité et une multitude d’activités liées à l’eau. Un peu partout des miradors ou des ruines de château fort récompensent l’effort en offrant des vues vertigineuses. Quel que soit l’âge ou la condition physique, impossible de ne pas trouver excursion à ses baskets ! Si l’offre hôtelière reste assez modeste, le tourisme rural connaît un beau développement et réserve de véritables pépites nichées au cœur des petits villages. Le Pallars Jussà parie sur la rareté et la qualité. D’autant que la gastronomie, conviviale et authentique, est à la hauteur de la beauté de l’environnement. Vous adorerez les viandes, de bonnes races rustiques produites sur place, les vins, la charcuterie et la délicieuse Ratafia dels Raiers, légère et fruitée. Ce sont d’excellents préludes aux fêtes populaires qui émaillent l’année, toujours guidées par la vie paysanne d’autrefois : la transhumance, la matança du cochon, les vendanges, les aplecs, les danses rituelles ou les falles. Malgré ses richesses industrielles, son agriculture préservée, son patrimoine incroyable et ses paysages irréels, le Pallars Jussà ne joue pas les stars. Comme l’auvergnat de la chanson, il ouvre grand ses bras au chaland qui passe, simplement heureux du partage.
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