
03 Avr Sur la route des châteaux
Pays de frontière entre Sarrasins et Chrétiens, sur fond de diocèses et d’évêchés aux limites incertaines nés de la Reconquête, la Conca de Barberà, étrave du vaisseau chrétien catalan au début du Xe siècle, voit ses collines couronnées de forteresses et de tours, offrant un fabuleux prétexte à une déambulation pittoresque.
C’est aux princes chrétiens, en quête de terres et de fiefs, accompagnés de prêtres évangélisateurs et de paysans soldats, que revient le mérite d’avoir fortifié la région qu’ils souhaitaient soustraire aux Sarrasins. Ils ont également marqué la christianisation de ces terres conquises de haute lutte par l’édification d’églises et de chapelles, souvent érigées au cœur des remparts de leurs châteaux féodaux à l’architecture frustre et purement défensive. À cette première vague de seigneurs et hobereaux laïcs ont succédé les moines soldats de l’Ordre des Templiers qui se sont adjugé les points les plus stratégiques. L’architecture des forteresses s’est affinée pour intégrer, au sein de systèmes défensifs plus complexes, des zones de résidence plus confortables.
Forteresses et Féodalité
Les Templiers ont littéralement sculpté les paysages, inventant l’élevage et l’agriculture locale, dotant la Conca de canaux et d’autres systèmes d’irrigation, et lui révélant, avec des siècles d’avance, sa vocation viticole. Ce grand élan civilisationnel était porté par un système de commanderies et de sous-commanderies aussi sophistiqué que puissant, basé sur un réseau international. Nous ne sommes pas loin des grandes commanderies situées le long du cours de l’Ebre, et au cœur, aussi, de l’implantation cistercienne. La dissolution de l’Ordre en 1312 par le Saint Siège, et son remplacement en Catalogne par l’Ordre des Hospitaliers a permis une continuité sereine, avec de rares joyaux renaissants et une seconde floraison à l’époque baroque, avant une lente décrépitude qui, vous allez le voir, n’a pas toujours été inéluctable. Des sentinelles de pierre vous attendent, dressées comme des chevaliers en armes. Si leur cote de maille minérale est parfois en haillons, tous ont encore fière allure. Commencez donc par le château de Barberà de la Conca, situé au nord de Montblanc, érigé en 1068 pour se protéger des razzias sarrasines avant de devenir l’un des joyaux de la commanderie de l’Espluga de Francolí. Le bâtiment principal domine majestueusement la colline et est entouré de remparts en ruines, parmi lesquels se discernent les vestiges du fortin médiéval et la base ronde d’une tour. Vous pourrez visiter ce qu’il reste de la forteresse templière et surtout la chapelle dont le plan simple, à nef unique, illustre bien son origine romane. Elle est jouxtée d’une galerie ornée d’arcs en plein cintre que les moines qualifiaient de « cloître », à l’image de ce que l’on retrouve au Prieuré de Serrabone dans les Pyrénées Orientales. La chapelle a été partiellement remaniée à l’époque baroque d’où les enduits stuqués qui recouvrent les murs. Plus insolite encore, un souterrain, autrefois uniquement accessible par deux trappes, servait de prison ou plutôt d’oubliettes, rappelant ainsi, de manière quelque peu brutale, la fonction militaire du lieu. Bien sûr, la vue y est imprenable et le village, blotti en contrebas, regorge de charme.
La métamorphose des Châteaux
Autre site templier ou plutôt hospitalier, qui ressemble vraiment à un palais, le château de Biure de Gaià, devenu un temps prieuré avant d’être totalement restauré au XXe siècle. L’effet est saisissant de vérité, avec des tours rondes crénelées et de grandes fenêtres gothiques dans le style des châteaux médiévaux. Et pourtant rien n’est d’époque. L’église, datée de 1782 arbore fièrement une croix de Malte pour le moins anachronique, bien qu’il reste quelques vestiges des remparts authentiques. Qu’importe le flacon de l’authenticité historique, l’ivresse est bien là… Après ces deux monuments de taille respectable, le petit château de la Pobla de Ferran parait minuscule. Malgré sa tour carrée et crénelée, il ressemble davantage à une bastide qu’à une forteresse. Pourtant, cette maison forte a été conçue par les Templiers pour verrouiller la route entre la mer et l’intérieur des terres ! Même impression avec le château de Les Piles, un édifice rectangulaire creusé d’une sorte de préau ouvert sur une voûte en plein cintre, aux murs formés de grandes pierres blondes. Petit bémol, vous devrez vous contenter de l’admirer de l’extérieur car il est habité et non ouvert à la visite. Au rayon des bâtiments fortifiés qui n’ont rien d’un château, celui de Riubadella, une ancienne ferme cistercienne transformée en bastide, mérite une mention spéciale. Idéalement située au milieu des vignes des environs de Poblet, elle se dresse sur l’emplacement d’une ancienne villa romaine. Transformée en maison d’hôtes de luxe, elle s’élève sur trois étages dans une enceintre ornée de créneaux à redans. On note la beauté de sa galerie aux grandes arcades, de sa terrasse et des échauguettes qui lui confèrent un cachet vraiment médiéval. Dans la Conca de Barberà, le vrai et le faux se jouent de nous. L’illusion est d’ailleurs parfaite pour le château de Roquefort de Queralt, construit en 1964 sur les ruines de l’ancien, avec les pierres d’un village abandonné situé à proximité. Le minuscule noyau urbain possède deux portes, celle de Sarral et celle de Conesa, tout à fait authentiques. Un peu plus loin, l’arrivée sur Santa Perpètua de Gaià est magique. Sur un piton rocheux se dressent, parallèles et silencieuses, les silhouettes décharnées d’une église baroque en ruines qui semble brandir son fronton en guise de bouclier, et d’une tour ronde et haute, solitaire, un des exemples les plus originaux d’architecture préromane de Catalogne, s’élançant encore à 25 mètres de hauteur.
Charme médiéval revivifié
Nous sommes à la frontière d’Al Andalous et la première pierre de ce corps défensif a été posée en 976. La présence du fleuve, protégé d’une falaise, rendait les lieux inexpugnables. Ne vous privez pas des paysages admirés en plongée, ils valent le détour. Le château qui illustre le mieux l’histoire de la Conca de Barberà est sans doute celui de Vallfogona de Riucorb, ayant appartenu successivement à trois types de seigneurs féodaux : tout d’abord à un hobereau de la reconquête, ensuite aux Templiers de la sous-commanderie qu’il était à l’époque, et enfin, aux Hospitaliers de la commanderie qu’il est finalement devenu. Sur son blason, notons la présence des trois lions d’Angleterre. L’ensemble est à la fois majestueux et beau, avec ses grandes fenêtres gothiques, sa tour carrée et crénelée, et surtout son caractère intact qui surprend et émerveille. Vous n’en avez pas encore fini avec les châteaux de la comarca ! Cap sur le Château des Comtes de Santa Coloma de Queralt : attention merveille en vue. Les comtes de Queralt étaient en effet les plus grands vassaux des comtes de Barcelone, juste après les richissimes ducs de Cardona. Ce château a longtemps été leur résidence principale avant de devenir un séjour estival. Le parcourir, c’est voir se dérouler la transformation d’une forteresse en palais, du gothique au renaissant pour aboutir au baroque. On accède au château par un portail du XVIIIe qui débouche sur la place d’armes. Vous remarquerez la tour circulaire datant de 1018, haute de 23 mètres, avec un diamètre de 12 mètres et une épaisseur de murs insolite de 3,25 mètres. Notez aussi l’escalinata de 34 marches et une fresque allégorique représentant le Dieu Tibre. N’oubliez pas de grimper au sommet de la tour : la vue y est magnifique et le village en contrebas bas est sublime. Vous n’aurez aucun mal à vous imaginer en vigie attentive en quête d’un signe de l’envahisseur… Il vous reste encore, après ce périple, à découvrir les ruines du château de Solivella dont la première occurrence remonte à 1076. Dans ce champ de ruines défiguré émergent quelques éléments renaissants ou gothiques ainsi que l’espace où se trouvait la place d’armes. La citerne, sert encore de réserve d’eau au village. Un joli clin d’œil en forme de main solidaire tendue par l’histoire qui tisse la mémoire de la Conca de Barberà.
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