04 Fév Sur les horizons mouvants du delta
Entre terre et mer, sous des ciels presque flamands, quatre villes racontent le poème du fleuve et de la mer : l’Ampolla, l’Ametlla de Mar, La Ràpita et Alcanar… écoutons-les.
Le premier peuple du delta, ce sont les oiseaux. Migrateurs ou non, ils aiment à prendre quartier dans cette zone humide. On en dénombre plus de 100000, représentant plus de 300 espèces. En hiver, quand les rizières sont en eau, les flamands forment des grappes de jasmin et de lilas posées sur le miroir des ondes quadrillées de chemins hérissés de cabanes de pêcheurs. La baie dels Alfacs, au sud du delta, est défendue par la péninsule de la Banya et la barre del Traducador, un isthme de deux kilomètres de long. Ainsi se dessine le plus grand port naturel d’Europe, bordé de plages douces, immenses. Autour de ce monde clos, de part et d’autre du fleuve, la vie s’est organisée depuis l’Antiquité autour de préoccupations récurrentes : les pêcheurs ont tiré parti de la rencontre des eaux salées et douces, propices aux crustacés et aux anguilles, les riziculteurs ont exploité ce potentiel aquatique pour planter l’or blanc du Delta de l’Ebre et les batisseurs ont eu à cœur de défendre l’entrée du fleuve, point de pénétration majeur du territoire par d’éventuels envahisseurs. Voilà en trois points, l’ADN de ces terres, dont il faut bien comprendre, alluvions oblige, qu’elles s’avancent en étrave dans la mer en dessinant une étrange tête de poisson. Quatre villages de pêcheurs aux destins croisés occupent cette petite principauté des eaux, deux au nord du fleuve, deux au sud, en lisière du Pays Valencien. Tout au sud, Alcanar ouvre la marche. Il tire son nom de l’arabe Al Khanat, qui signifie « boutiques de marchands » et faisait partie au IXe siècle de l’ancien califat de Tortosa. Les traces chrétiennes datent, elles, du XIIIe siècle. Face aux incessantes razzias des Barbaresques, les rois catalans avaient fini par envoyer les puissants moines soldats du Temple pour défendre ces terres aussi lointaines qu’hostiles. Les Hospitaliers menés par Hugues de Forcalquier avaient alors obtenu pour ces modestes maisons protégées d’un fortin et d’une église, la qualité et le statut de ville, par le biais d’une charte l’érigeant en « terre de frontière ». Ils avaient ainsi pu doter le village de remparts et de tours de défense. Pourtant le village est à 4 km des
« Cases d’Alcanar ». Les incursions des pirates ne s’arrêtaient pas à la ligne côtière ! Les maisons des pauvres pêcheurs sans cesse menacés par les dangers venus de la mer sont aujourd’hui devenues un centre touristique majeur dopé par la proximité de l’immense baie des Alfacs. Un véritable conservatoire à ciel ouvert de modes de vie révolus que la nostalgie nimbe d’une certaine poésie. Ces maisons de pêcheurs, le petit port de plaisance et le port de pêche sont autant de tableaux qui dessinent le portrait mosaïque de ce joli village, labellisé Pavillon Bleu d’Europe depuis 1994, entouré de jolies plages de sable et même de galets comme celle del Marjal, adossé à la Serra del Montsià. Ici la gastronomie est multiple, aux produits frais de la mer et en particulier les « llagostins » (langoustines), se rajoutent l’or des oliviers millénaires et les « citrics » (oranges et clémentines) qui sont cultivés sur la commune et donnent lieu à des journées gastronomiques réputées. Un peu plus au nord, la Ràpita cultive une dualité unique. Au début du XVIIIe siècle, la ville était promise à un avenir de grand port, à équidistance de Valence et de Barcelone. Le tracé de ses rues, la noblesse de certains édifices rappellent que Charles III conçut au XVIIIe siècle le projet – avorté – d’en faire le plus grand port de Méditerranée. La ville porte beau avec ses fontaines monumentales comme celle des Alamèdes, sa gloriette monumentale, et Les Casotes, un bâtiment construit par la Compagnie Royale de Canalisation des Ruisseaux de l’Ebre qui abrite aujourd’hui le Musée de la Mer et de l’Ebre. Vous vous laisserez charmer par une visite guidée de la Baie des Alfacs, entre viviers et salines, jusqu’à la Réserve Naturelle de la Pointe de la Banya où vous pourrez voir des flamants roses.
Vous pourrez également visiter, sur la mer, les producteurs de moules et d’huitres, les produits phare de La Ràpita, afin d’y déguster ces produits et d’autres excellents fruits de mer. Autre option, participer à la « Pesca de la Pantena », une pêche traditionnelle parmi les plus anciennes de la Catalogne. Les pêcheurs vous enseigneront ce type de pêche qui se pratique depuis le XIIe siècle. La Ràpita c’est aussi et surtout un grand port de pêche, et même un port thonier. La criée, ultramoderne, possède une galerie qui accueille les spectateurs, tous les jours à partir de 15 heures. Le port de plaisance est particulièrement prisé pour ses équipements dernier cri, et la ville regorge de commerces. à l’échelle du petit pays du delta, la Ràpita est une capitale ! Au nord, du delta, après un monde de marais incertains aux jolis noms comme l’Encanyissada (plantée de roseaux) ou la Tancada (fermée), le bras du fleuve proprement dit, c’est l’Ampolla qui ouvre la marche, avec sa baie en forme d’amphore déjà connue des Romains qui lui avaient donné le joli nom de Ampulla. Au XVIe siècle le pape Adrien a embarqué ici pour Rome. à cette époque, la ville était un relais de poste sur le Chemin Royal qui reliait Tarragone à Valence et habitée par des familles de pêcheurs. Elle n’est réellement sortie de l’anonymat qu’avec l’arrivée du chemin de fer et la mode des bains de mer. C’est un vrai village de pêcheurs et d’artistes, un village d’ostréiculteurs aussi, qui cultivent l’huître du delta. Vous pourrez visiter les parcs à huitres au Mirador de la Badia dans la baie del Fangar, un des plus beaux endroits du Delta de l’Ebre ou bien profiter des journées gastronomiques, au mois de mai pour vous en délecter. Grâce à sa vocation de port de pêche, les restaurants du village vous offriront les meilleures variétés de poissons et de fruits de mer frais accompagnés des meilleurs suquets mariners (sauces ou bouillons de poissons). L’ancien débouché du fleuve, devenu la Llacuna de Les Olles (la Lagune des Marmites) vous offrira une promenade au cœur de la nature, à deux pas des vagues, inoubliable. Vous pourrez aussi prendre le chemin des falaises (Ruta dels Penya Segats) et jouir de vues extraordinaires sur le large.
Toutes les plages
L’Ampolla possède neuf plages, généralement de sable blond, la plupart encerclées de pinèdes. L’Ampolla avec ses immeubles modernes et sa promenade maritime est avant tout une invitation à la promenade, les yeux rivés sur l’horizon. Dernière perle de ce bracelet passé aux poignets bleus du fleuve, l’Ametlla de Mar. Les habitants sont si intimement identifiés aux très nombreuses criques qui les entourent qu’on les appelle les « caleros », textuellement les « gens des criques ». Au départ, il s’agit de deux minuscules noyaux de population essentiellement composés de pêcheurs et de marins venus se mettre à l’abri des tempêtes ou des razzias, que rien ne destine à se développer. Pourtant, au XIIIe siècle, l’ordre de Sant Jordi de l’Alfama, le seul ordre totalement catalan de l’histoire, y fonde un château aujourd’hui en ruines. Dans la foulée, apparaissent deux tours de défense, également détruites. Ces fortifications favorisent l’installation progressive d’une population sédentaire. La beauté des plages rocheuses ou sableuses, l’arrivée du chemin de fer et l’authenticité conservée du site feront le reste. Aujourd’hui, l’Ametlla est une destination touristique prisée, dopée par l’imagination des habitants et le sens des traditions populaires. Un endroit préservé, à deux pas du grand fleuve tutélaire.
La profusion des jardins et espaces verts, la beauté de la promenade maritime, la façon dont le regard est happé vers le sud ou s’avance le profil de poisson du delta, tout invite à la détente. Les 9 km de côte qui suivent d’ailleurs le GR 92 vous réservent de belles surprises, car l’Ametlla de Mar est une sorte de catalogue de plages méditerranéennes qui parle de Grèce, d’Italie, de Camargue… Un tout en un à savourer ! Cerise sur le gâteau elle dispose d’un atout supplémentaire : un important port de pêche. La richesse piscicole de cette partie de la côte fait que la pêche locale est une des principales activités économiques du village, bien qu’il dispose également de la plus grande flotte de thoniers de Catalogne, qui passe plusieurs mois en mer. Dans ces villages de pêcheurs contemplatifs et travailleurs, on cultive un art de vivre que la gastronomie exprime avec bonheur : partout, petits restaurants et cafés conviviaux vous attendent, avec en prime la légendaire hospitalité des gens du cru. Les marchés, vivants et bruyants gardent la nostalgie de leurs ancêtres souks. Vous êtes au sud. Mais aussi à l’est, tourné vers nos îles. Entre orient et occident. Entre terre et mer. Simplement ailleurs.
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