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Tarragona, le sens du plaisir

30 Mai Tarragona, le sens du plaisir

Est-ce le lointain écho des comédies latines dans les gradins du théâtre antique ? Celui de la foule en liesse lors des jeux du cirque et des combats de gladiateurs dans l’amphithéâtre ? La ferveur inégalée de processions héritées du Moyen-âge ? Toujours est-il que Tarragona aime les grands rassemblements festifs et mise sur le partage.

Toute l’année, Tarragona peaufine les performances de ses castellers. Quatre vénérables colles, récipiendaires des plus hautes récompenses, animent la ville : la Colla Vella et la Colla Nova des Xiquets de Tarragona, les Xiquets del Serralló et les Castellers de Sant Pere i Sant Pau. Ici, ces pyramides humaines ultra codifiées sont une véritable religion. Il faut dire que la performance des acrobates du sommet sont conditionnées par la poussée collective de la base, un symbole de jeu collectif qui en fait un sport intergénérationnel et populaire. Les castellers sont de toutes les fêtes et justement les fêtes rythment l’été de ces terres méridionales. Comme dans tous les pays de la sphère catalane, la Saint Jean ouvre le bal, et elle revêt ici une importance particulière. Le 22 juin au soir, les diables, accompagnés de bandas et de xarangues entourent de grandes poupées appelées « ninots » qui seront brûlées le lendemain après l’arrivée de la flamme venue du lointain Canigou et le défilé du feu. Des bûchers sont allumés en grande pompe sur les plages où se regroupent familles et curieux. Tout se termine le 24 avec un grand concours de castells auquel participent toutes les colles locales. Vous pouvez vous réjouir, l’été a vraiment commencé !

Fêtes et traditions tarragonaises

Ce début flamboyant trouve une belle continuité une semaine plus tard, à l’occasion de la Saint Pierre, la fête des pêcheurs, quatre jours de repas pris en public et à l’air libre, de sardinades, de « fideus rossejats » (la délicieuse macaronade locale), d’apéros en musique et de cabotages en bateau le long de la côte pour célébrer la mer. Bien sûr, la musique, les castells et les correfocs sont de sortie. Ces deux fêtes de juin, ancrées dans la catalanité et l’histoire maritime de Tarragona vous séduiront par leur authenticité conservée. Si les visiteurs y sont les bienvenus, les réjouissances n’ont rien d’un spectacle prévu pour eux : elles sont l’expression traditionnelle et naïve d’une identité ancienne enracinée qui se perpétue de génération en génération. Tout le contraire du concours de feux d’artifices qui se déroule sur une semaine tous les mois de juillet et qui rassemble les meilleurs spécialistes européens du genre. Tous les soirs la baie s’embrase et le ciel devient la toile vierge d’œuvres éphémères et grandioses : sur les plages, le long des rambles, sur le balcon de la Méditerranée, des milliers de personnes, debout, les enfants sur les épaules, scrutent ce firmament sublimé qui s’illumine et se dérobe. Les tirs se font depuis la Punta del Miracle, visible de tous les points de la ville. Chaque année le vainqueur est chargé d’animer la partie « castells de focs » – selon la jolie expression catalane (châteaux de feu) – de la plus grande fête annuelle, la Festa Major, celle de Santa Tecla, en début d’automne. Ce n’est pas le moment de vous endormir sur vos serviettes de bain, car voici venir, dans le quartier du Serrallo, le 14 juillet, la fête votive, Santa Carme. Rien n’est trop beau pour cette mère miséricordieuse qui protège les navires et garantit le retour des marins : on la porte en procession de barques diurnes et en descente aux flambeaux, en la couvrant de fleurs et de lumière. Puisqu’elle n’a pas manqué de veiller sur ceux qui sont partis outre-mer, pour les campagnes de Cuba par exemple, on chante en son honneur de belles havaneres aux rythmes chaloupés venus de la Caraïbe et on noie la nostalgie des lointains dans un bon cremat avant de s’abandonner à l’irrésistible vitalité de la rumba catalane. Une vraie fête de quartier, qui n’oublie ni ses castells ni ses correfocs et vous entraînera dans sa folle farandole. La grande fête votive de l’été tarragonais est donnée en l’honneur du deuxième patron de la ville, Sant Magí, du 9 au 19 août, et elle est résolument placée sous le signe de l’eau. Selon la légende, Magí était un ermite et il vécut trente ans dans une grotte. Lorsque les soldats romains voulurent s’emparer de lui, il frappa le sol de son bâton et fit jaillir une source. On lui prête aussi d’avoir, pendant la guerre contre Napoléon, éteint la mèche des explosifs destinés à détruire les remparts. Voilà qui explique la présence, dans le défilé qui accompagne l’eau ramenée de l’ermitage de la Brufaganya à la ville, du personnage de Magi portant ses timbales, accompagné des gegants, (notamment les plus anciens de la ville datés de 1873) des petits gegants, des nains. Chacun va remplir sa cruche ou sa bouteille, et l’on profite de l’occasion pour organiser une diada castellara de haute tenue, et bien sûr, des réjouissances musicales. Vous aurez la sensation inexplicable d’avoir connu ces fêtes de toute éternité et pourtant, leur caractère fervent et joyeux vous émerveillera.

Croisement culturel

Et vous n’avez pas encore tout vu, car si Sant Magí reçoit tous les honneurs qui lui sont dus, la star absolue de la ville, reine de la cathédrale et des cœurs, c’est Santa Tecla, que l’on fête autour du 23 septembre. Dix jours d’une fête ininterrompue qui se déplace dans toute la ville et fait appel à la fois à l’ensemble des traditions locales, au monde associatif, à des artistes de premier plan qui embrasent les soirées, mais aussi à des cérémonies religieuses qui se clôturent par une procession solennelle magnifique. La Generalitat de Catalogne a déclaré la fête « patrimoine d’intérêt national pour la Catalogne » tandis que le Ministère du Tourisme espagnol l’a classée « fête d’intérêt touristique national pour l’Espagne », un fait rarissime ! Tarragone chérit tant sa fête de Santa Tecla qu’elle a créé une « Casa de la Festa » spécialement conçue pour permettre à chacun de découvrir et comprendre les divers personnages participant au cortège populaire qui suit la grande procession en l’honneur de la sainte, patronne de la cathédrale. Les visiteurs y trouveront les géants traditionnels et modernes de la ville, les petits géants appelés gegantons, ainsi que les nanos (nains) qui représentent la société féodale. L’endroit abrite également un bestiaire partiellement inspiré des chapiteaux romans, comprenant un féroce dragon, la Vibria – un serpent ailé semblable à une gargouille -, le Bœuf, souvent lié à la découverte d’une statue de la Vierge, l’Aigle, la Mule, la Cucafera qui évoque un croisement entre un crocodile et une tortue, ainsi que le Lion et le Griffon, dans un mélange enthousiasmant de mythe et de réalité. Les explications sur les castellers, enrichies par des supports textuels et iconographiques, illustrent que la Casa n’est pas simplement un musée, mais un espace dédié à la diffusion et à la préservation des connaissances accumulées au fil des décennies sur les traditions populaires de Tarragone. La visite guidée excelle à expliquer tant les techniques de fabrication de ces personnages que leur symbolisme d’origine et actuel. L’espace comprend trois salles d’exposition qui immergent les visiteurs dans les festivités, ainsi qu’une salle audiovisuelle où les technologies modernes ressuscitent l’atmosphère de ces célébrations emblématiques. Toutefois, l’esprit festif de Tarragone ne se limite pas à ses traditions : la ville vibre également dans ses cafés, sur ses plages et ses places, et s’anime particulièrement du 6 au 9 septembre sur les planches, offrant ainsi une variété d’expériences à ses visiteurs. Il s’agit plutôt, à vrai dire, de scènes voyageuses qui accueillent dans toute la ville le Festival de Théâtre International : préparez-vous à entendre beaucoup de langues différentes, à voir de la danse sous toutes ses formes, des disciplines circassiennes diverses, des clowns, des magiciens, des arts de la rue, bref de la création bien d’aujourd’hui, volontiers mutine et transgressive, à découvrir dans le cadre toujours renouvelé de la ville. Un festival qui passionne autochtones, visiteurs et étudiants, et vous donne en prime l’assurance de belles rencontres. Tarragone, c’est un peu la ville à la mer, un carrefour magique entre découvertes patrimoniales, merveilles naturelles et culte du plaisir, un pont de deux mille cinq cents ans jeté entre hier et aujourd’hui par des fêtes populaires qui puisent au plus profond de la mémoire et lancent, très haut dans le ciel, d’improbables pyramides acharnées à montrer au monde qu’à Tarragona tout commence et finit par la fête et le partage. Bonnes vacances !

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