09 Juil TARREGA : LA SOIF D’ENTREPRENDRE
S’il fallait trouver une parfaite illustration de la mentalité catalane dans son rapport étroit à la terre et son génie de transformation de la matière par l’artisanat et l’industrie, Tàrrega, petite capitale continentale, serait certainement dans le peloton de tête !
Avec 17 000 habitants à peine, mais une densité patrimoniale et naturelle que beaucoup de villes plus grandes lui envieraient, Tàrrega a gardé un centre-ville aux rues étroites qui suit le plan du castrum médiéval. L’église baroque, érigée entre 1672 et 1742, se caractérise par son portail à quadruple colonnade au fronton ornemental probablement dû au sculpteur Pau Costa, et son clocher élancé. à l’intérieur, Josep Minguell a signé des fresques modernes peintes dans les années 60.
La force d’entreprendre
En pleine ville s’élève une curiosité locale, un énorme puits où l’on empilait la glace entre deux couches de branchages pour la conserver quand la température extérieure s’élevait. L’ensemble présente des galeries en zigzag qui permettaient d’accéder aux couches inférieures. Comme en Catalogne rien ne se perd, cette étrange construction a servi de refuge aérien pendant la guerre civile ! Autour de la couronne resserrée du cœur de ville, l’architecture a vraiment évolué à partir du XIXe siècle. Il faut dire que Tàrrega a vécu deux miracles : l’arrivée du canal de l’Urgell en 1868, qui a bouleversé l’agriculture traditionnelle, puis en 1884, l’arrivée groupée de l’eau courante, de l’électricité et du téléphone, alliées à celle du chemin de fer : la ville s’est alors jetée à corps perdu dans la modernité, se dotant d’une chambre de commerce, accueillant une des trois principales agences de la Caixa, créant la minoterie Montserrat, l’une des plus puissantes du pays. « Il faut bien comprendre que Tàrrega dépassait alors Lleida en tout malgré le différentiel de population, elle pullulait d’entreprises petites et moyennes, d’ateliers, de petites usines » explique Jaume, banquier. Logiquement, le patrimoine bâti illustre bien cette euphorie économique avec la maison Carcer construite en pierres et en briques de couleur, dotée d’arcs outrepassés de style mudejar, la chambre de commerce de style néoclassique et Cal Maimó, sa belle tour d’angle, ses arcades majestueuses et son toit de tuiles vernissées dont on hésite à l’attribuer au grand Puig i Cadafalch ou au non moins prestigieux Domènec i Muntaner tant ses lignes élégantes portent la marque du génie. Le Palais des Marquis de Floresta, reconstruit en 1955 en style néogothique exprime à lui seul toute la nostalgie de l’âge d’or catalan.
Bienveillante nature
Lors de la deuxième révolution industrielle, la petite entreprise Trepat, inventa la première faucheuse, puis la première herse à roues, avant de développer un modèle de tracteur particulièrement bon marché appelé à révolutionner l’agriculture dans toute la péninsule ibérique, ainsi qu’une gamme très large d’outillage agricole. L’usine, énorme, comportait une quinzaine de nefs, dont 13 ont été conservées. Elles suffisent à donner une idée de l’importance de la production ! Aujourd’hui, Cal Trepat est devenu un incroyable musée qui a rejoint le réseau des musées des sciences et techniques de Catalogne. De son côté la minoterie Montserrat fondée en 1921, produisait 40 tonnes de farine par jour, un exploit pour l’époque. Témoin muet de cette période bénie, une énorme grue de la Lloyds Foster Company veille encore sur la gare. Hélas, ce monde d’ouvriers, d’industriels, d’artisans et de commerçants ne put conserver sa dynamique au sortir de la guerre civile. « Ce que serait devenu Tàrrega sans la guerre civile, personne ne peut le dire mais moi, en tant qu’historien, je suis persuadé qu’elle serait devenue une beaucoup plus grande ville, parce que ses structures étaient somme toute réduites, donc capables d’adaptation immédiate. Quand on voit le dynamisme dont elle fait preuve encore aujourd’hui, on réalise que le potentiel n’est pas épuisé » expose Lluís, doctorant en histoire, avec conviction. En bas de la ville, près de la rivière Ondara, s’élève la chapelle des Argentiers, construite en 1248. Tout près d’ici s’étendait autrefois le call, le quartier juif où vivaient au moins trois cents personnes. Lors de la grande peste de 1348, la population, décimée, chercha un bouc émissaire à son funeste destin. Protégée par son isolement et ses rituels alimentaires, la population juive n’enregistra que peu de victimes. Les habitants se livrèrent à un massacre sur l’infortunée communauté, faisant plus de 70 morts. Le roi dut même intervenir pour reconstruire la synagogue et sécuriser le call. Ironie du sort, le départ des juifs autour de 1492, marqua le début de deux siècles de déclin ! Les rives verdoyantes de la rivière Ondara, qui ressemblent beaucoup aux berges de la Basse à Perpignan, sont une véritable invitation à la promenade.
Mais il y a mieux, encore. « Pour les gens de Tàrrega, la sortie au parc est rituelle, on ne peut pas s’en passer » commente Montserrat en poussant son landau. En 1913, l’association des amis des arbres décida de doter Tàrrega d’un parc à sa mesure, le parc de Saint Eloi, un magnifique espace vert peuplé de pins blancs, de chênes verts et de rouvres, qui accueille une sorte de musée à l’air libre composé d’objets agricoles comme d’anciens pressoirs à huile et à raisins. Le tout est couronné d’un joli ermitage. L’immense jardin, ravissant, d’inspiration nettement anglaise dans sa profusion de buissons et de sentiers ombreux, est traversé de chemins qui ouvrent sur de vastes places ornées de belles fontaines. 17 hectares de nature presque vierge pour déambuler, lire, se détendre, se réunir. Un plaisir vert à prolonger au Parc del Reguer et au parc de Can Colapi, mitoyens et tous deux dotés de zones de pique-nique et de grillade, et d’aires de jeux pour les enfants. Sinon, il vous reste la visite de la tannerie du moulin de la Codina, un complexe industriel du XVe siècle qui a conservé intacts les conduits et bassins nécessaires à la transformation des peaux. Enfin, le Musée Comarcal de l’Urgell vous dévoilera tous les mystères de la comarca ! Tàrrega n’est jamais en reste d’une découverte !
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