09 Juil TOUS LES VISAGES DE L’URGELL
L’Urgell se décline en quatre petits pays : trois vallées, celle du Corb, de l’Ondara et du Sió, et la petite plaine d’Urgell (à ne pas confondre avec la comarca le Pla d’Urgell) que traverse le canal du même nom. Cette configuration donne lieu à une variété de paysages étonnante sur un territoire somme toute réduit.
Nous vous proposons de découvrir paysages, villes et histoire du sud au nord, guidés par les cours d’eau et les gens rencontrés sur place, au hasard des chemins. N’oublions pas que l’Urgell est une des comarques emblématiques de la Reconquête. La Serra d’Almenara n’a été arrachée aux Sarrasins qu’en 1078, si bien que beaucoup des petits châteaux qui se dressent sur les collines ont une origine arabe ! Au nord, là où le Sió creuse son lit, le plus souvent sec, comme celui de beaucoup de rivières méditerranéennes, règnent amandiers et oliviers, les traditionnelles cultures de sècheresse, car l’absence d’irrigation constante a dicté sa dure loi. Au bord de la rivière, pourtant, il n’est pas rare de trouver des potagers et des vergers qui créent un joli sillon vert dans la dominante ocre. La petite capitale de ce monde à part, Agramunt, porte jusque dans son nom sa géographie singulière : ne signifie-t-il pas « la terre dans les collines ? ». Cette jolie ville mérite une halte prolongée : son église romane, vraiment magnifique, affiche quelques influences mudejar ou toulousaines. En guise de crypte, elle possède… Un abri antiaérien de la guerre civile ! Parmi les curiosités à admirer, le centre d’art contemporain Josep Guinovart créé par le peintre lui-même natif d’Agramunt, le surprenant « pont de fer » qui transporte, au-dessus de la rivière, les eaux du canal de l’Urgell, les restes du call juif, et, un peu à l’écart, une grande tour cylindrique, le Pilar d’Almenara. C’est tout ce qu’il reste du donjon de l’ancien château. La ville est extrêmement commerçante et bouillonne d’activités. Núria, qui tient la maison de la presse du village, a son idée sur la question. « En fait Agramunt joue le rôle de ville centre. On n’a presque jamais besoin de se déplacer jusqu’à Tàrrega, notre vallée est presque une principauté !» Les villages aux alentours comme Ossó de Sió ou Puigverd d’Agramunt ont gardé une jolie physionomie médiévale et minérale ainsi que la beauté de leurs églises, romanes bien sûr, qui semblent nées du paysage comme autant d’arbres de pierre blonde. Au sud-ouest, Tornabous, austère et tranquille avec ses grandes maisons rurales, garde la mémoire ibère sur le site archéologique du Molí d’Espigol. Ici le vert domine, car le canal d’Urgell a fait son office et transformé les cultures sèches d’autrefois en champs de maïs et de blé, carrés ensoleillés de colza et vergers luxuriants. La capitale de cette petite plaine, c’est Bellpuig, la troisième ville de la comarca. Son église au style gothique renaissant dit « de transition », se caractérise par un magnifique escalier de pierre qui rappelle un peu la cathédrale de Girona. Elle abrite le somptueux mausolée en marbre de Carrare de Ramon Folch de Cardona-Anglesola, sculpté en Italie par Giovanni Merliano de Nola, une des plus belles pièces renaissantes de toute la péninsule. Les fresques renaissantes de Jaume Minguell, dans la chapelle des douleurs, sont remarquables. Tout en haut du village, il reste du château l’intégralité insolite de sa façade et une seule salle joliment voûtée. Un espace vert, une fontaine et une stèle dédiée aux châtelains de la dynastie Folch de Cardona-Anglesola égaient le site. « L’Urgell a toujours été une terre de dissidence et de résistance. Lorsqu’il a fallu conquérir les Baléares, toute la noblesse locale a embarqué à Cambrils et a payé son tribut de sang. Pourtant, les Cabrera, les seigneurs locaux, se sont longuement opposés au pouvoir central et Jaume d’Urgell, prétendant au trône éconduit en 1410, a fini dans une geôle. On s’est toujours sentis un peu mal aimés » raconte Lourdes en essuyant les verres dans son café. En partant en direction de Bélianes, ne manquez pas sur votre droite le couvent franciscain de Saint Bartomeu avec son cloître gothique aux chapiteaux corinthiens, une vraie dentelle de pierre. Retour vers l’est, au sud de Tàrrega, vers la vallée de l’Ondara, et Verdú ouvre ses bras. Ici, les oliviers d’autrefois ont reculé pour faire place à la vigne qui produit des Costers del Segre réputés et des caves parfumés. Le château, autrefois vassal du monastère de Poblet, possède encore sa tour de l’hommage, sa cave à huiles creusée de cavités de pierre et son cellier. L’église gothique a conservé son portail roman et de très belles céramiques baroques peintes à la main.
Vall del Corb
Au centre de la grand place, entourée de maisons à arcades, trône une jolie fontaine. Partout de petites échoppes vendent la céramique locale noire. Nous voilà partis vers le sud du territoire, la très belle Vallée du Corb. Elle égrène ses merveilles l’air de rien, avec tranquillité et panache. Une mention spéciale à Guimerà, un village médiéval en camaïeu d’ocres et de blancs dont les maisons resserrées semblent posées les unes sur les autres. « Vous savez quel est le surnom de Guimerà », explique Lola, une douzaine d’années, en riant, « c’est le neuf de coupes des cartes catalanes. Vous voyez ? Un amoncellement de coupes ! » Le château, tout en haut, et l’église fortifiée où trône un retable d’albâtre signé Jujol sont un des musts touristiques de la comarca ! Puis vient Ciutadilla avec la belle silhouette désossée de son château fort en ruines qui offre un incroyable mirador. Ses rues tranquilles sont bordées de demeures seigneuriales cossues. Maldà, un peu plus loin, possède deux églises, à savoir le sobre temple roman et la grandiose église baroque au portail à quadruple colonnade et au frontispice monumental. Tous ces villages sont beaux, adossés à des mamelons, nobles dans leur simplicité paysanne. La perle absolue de ce chapelet est en fin de territoire, comme si elle se savait de toute éternité éminemment désirable et entendait faire durer le plaisir. Juste en face de la Conca de Barbera s’élève le monastère de Vallbona de les Monges, un fleuron de l’art cistercien tenu par des moniales qui suivent encore la règle de Saint Benoit. Dans l’église, grandiose et pourtant économe d’effets, les sarcophages de la reine Violant de Hongrie et de sa fille Sanxa dorment à jamais.
Mémoires croisées
Le cloître trapézoïdal présente quatre galeries qui vont chronologiquement du roman le plus épuré au gothique et au néo-roman. Un endroit suspendu, infiniment silencieux, qui distille une étrange sérénité et possède une très agréable hostellerie pour les voyageurs en quête de gîte et de supplément d’âme. Avec tant de mémoires croisées, l’Urgell est une véritable pelote à dérouler selon vos envies à pied à travers les innombrables sentiers de randonnée, à vélo au gré de petites routes bucoliques, ou simplement en voiture. La Route Cistercienne (La Ruta del Cister) embrasse la totalité des villages tant l’empreinte de l’ordre est ici prégnante. La route des chemins catalans de Saint Jacques de Compostelle se décline en trois versions toujours d’est en ouest : un premier tracé relie El Talladell, Tàrrega, et Anglesola, un second tracé Tornabaus, el Tarròs et la ville close de Fuliola et enfin un dernier, Vallbona de les Monges, Maldà et Bellpuig, toujours en direction de Lleida, puis, plus loin, beaucoup plus loin, vers la mystérieuse Galice. Le Canal d’Urgell constitue sur la totalité de son tracé un axe de promenade privilégié au cœur des champs et des vergers, particulièrement agréable au rythme du pédalier. Vers Montclar vous pourrez admirer le tunnel de la mine du canal, un ouvrage vraiment impressionnant. Bien sûr le vin, autour de Verdú, et l’huile, au sud de la comarca, sont prétextes à des itinéraires enchanteurs au cœur des vignes et des oliveraies constellées d’amandiers, joliment striées de murettes de pierres sèches. Les dégustations y sont de rigueur. « Je suis photographe et dès que je peux, je quitte Barcelone pour venir photographier l’Urgell, j’y trouve toujours un détail que je n’avais pas vu, un peu comme un miniaturiste qui peindrait un tableau en cloisonné » s’emballe Pablo en castillan sans cesser de shooter. Un peu partout d’anciens moulins, des cabanes de pierre voûtées, d’anciens puits à glace rythment la découverte de paysages paisibles et beaux qui s’offrent d’une butte à l’autre, toujours inattendus. L’image de Pablo est vraiment juste. L’Urgell foisonne de petits paysages, et ce n’est que juxtaposés qu’ils imposent l’évidence de leur cohérence, comme un puzzle enfin reconstitué.
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