01 Nov Val d’Aran, l’âme des Pyrénées
C’est une vallée perdue au coeur des Pyrénées, aux confins de la Catalogne et de l’Aragon, tournée vers la Haute-Garonne voisine. Une vallée appartenant à la Catalogne administrative, mais où l’on parle l’aranès, l’occitan. Une vallée faite de petits villages tout en pierres et ardoises, d’immenses forêts et de cimes flirtant avec les 3 000 mètres. Le Val d’Aran est un pays à part, avec son âme, sa culture, son histoire si particulières. Rencontres, en terres d’Occitanie.
La route, étroite, traverse une rivière et quitte le fond de vallée pour s’attaquer à la montagne. Autour de nous, la forêt est dense et les habitations invisibles. Nous sommes dans le cœur des Pyrénées, le Val d’Aran… Et plus précisément dans le Val de Toran, l’une des petites vallées secondaires raccordées au plus large Val d’Aran. Nous sommes arrivés dans la région par le nord. Débarquer en Catalogne par l’axe Toulouse – Saint-Gaudens, voilà qui peut surprendre. Mais si le Val d’Aran appartient à la communauté autonome de Catalogne, cette vallée est frontalière de la Haute-Garonne et de Luchon. Et, surprenant : elle est occitane. De cette particularité, elle a fait une force : ici, on parle l’aranès, un occitan (ou gascon) « normalisé », avec sa grammaire, son orthographe et sa conjugaison propres. Bref une véritable langue, vivante et préservée. « En France, l’occitan, c’est artificiel, ça n’existe plus vraiment, nous a confié un habitant du Val d’Aran. Ici, c’est une véritable langue que nous avons protégée, qu’on apprend à l’école et que l’on doit connaître pour intégrer le Conselh Generau, l’administration du Val d’Aran ». L’aranès est donc l’une des trois langues officielles du Val d’Aran, les deux autres étant le catalan et l’espagnol. Environ 3 000 à 4 000 personnes la parleraient, sur les 10 000 habitants que compte le Val d’Aran.
Le Val de Toran, une vallée authentique
Nous voilà donc sur la route du petit village de Canejan, dans le Val de Toran. Marcos, un Barcelonais, patron d’un bar de Vielha (la capitale du Val d’Aran), nous l’avait confié : « la vallée que je préfère, c’est le Val de Toran. C’est là-bas que vont les gens d’ici le dimanche. C’est la vallée la moins touristique et la plus authentique du Val d’Aran ». Et en effet, on ne vient pas ici par hasard. La forêt, immense, procure une formidable sensation d’isolement et de dépaysement. A Canejan, nous traversons le petit village en admirant les murs en pierres et les toitures en ardoises. Il y a un peu de Nohèdes et d’Evol dans ces ruelles… Une authenticité des montagnes pyrénéennes. Nous entrons dans le Bòrda Paulic, un petit café-restaurant. Ici, le temps semble s’être arrêté. Des tables rustiques, un bar derrière lequel trônent des coupes gagnées lors de compétitions sportives. Au mur, la télé crachote une telenovela larmoyante dans l’indifférence la plus totale. Dans la salle, pas d’objets design, ni de lumière tamisée. Ce petit café-restaurant n’a pas besoin de modernité : d’instinct, on comprend qu’on y vient pour la chaleur humaine qui se dégage de cet établissement familial sans prétention.
Dans le café, on parle en aranès
Aux manettes, toute une famille : Josette et José, les parents, José-Manuel, le fils, et Asun, la belle-fille. Nous les entendons discuter dans une langue que l’on pourrait prendre de prime abord pour du catalan, mais, en tendant l’oreille, les sonorités sont bien différentes. Le voilà, l’aranès. S’ils ont su préserver leur langue, n’imaginez pas les habitants du Val d’Aran repliés sur eux-mêmes. Aranès, catalan, espagnol, mais aussi français… Ils jonglent avec les langues. Et c’est dans un français parfait que Josette répond à nos questions. « Que voulez-vous savoir sur notre vallée ? Son histoire ? ». Et la grand-mère d’embrayer avec plaisir. « Ici, dans la Vallée de Toran, il y a eu jusqu’à 1 200 habitants, au début du siècle dernier ! ». Surprenant, car aujourd’hui, mis à part Canejan, seuls deux autres petits villages existent : Porcingles et Sant Joan de Toran. « A l’époque, dans un hameau non loin d’ici, il y avait quatre maisons… Pour 40 habitants ! » raconte José. Il parle d’un temps où les paysans cultivaient la moindre parcelle perchée en haut de la montagne, et où les mines employaient une main-d’œuvre importante. « J’ai participé au démontage des pylônes, j’étais jeune », se souvient-il. Josette, elle, se rappelle, gamine, avoir gardé les chèvres. « J’avais neuf, dix ans, pas plus. On avait un escargot de mer, dans lequel on soufflait, c’était le signal du départ. On gardait les chèvres de tout le village, à tour de rôle ». Aujourd’hui, Canejan compte cinq enfants, pour une cinquantaine d’habitants. Dans le Val d’Aran, l’agriculture et l’extraction minière ont laissé place au tourisme, surfant sur une nature préservée. Une nature que José-Manuel, le fils de José et Josette, connaît bien. « Lui, il parcourt la montagne en long, en large et en travers pour chasser » raconte sa femme. Cerf, chevreuil, isard, sanglier… Il y a de quoi faire.
L’homme qui a vu l’ours
Et de quoi s’émerveiller, aussi. « On peut observer le Grand Tétras », espèce emblématique des Pyrénées… Mais aussi l’ours, très présent dans le cœur du massif, que José-Manuel a déjà eu l’occasion de croiser trois ou quatre fois, dont une fois à une trentaine de mètres à peine… « Il était derrière une brebis, il a continué sa route » se souvient-il. Nous quittons la chaleur du Bòrda Paulic pour partir à l’assaut de Bausen, un petit village visible sur la vallée d’en face, côté ouest de la Garonne. Perché au terme d’une série de virages en épingle à cheveux, lové en contrebas du Tuc deth plan der Òme, un pic culminant à près de 2 200 mètres marquant la frontière avec la France, Bausen est à visiter absolument. Ici les vieux murs parlent d’eux-mêmes. Dans la ruelle principale, l’odeur du feu de cheminée est omniprésente. Un chien se balade, quelques poules tournent en rond dans une cour. Un palmier dans un jardin et des vignes grimpant sur les façades rappellent que l’orientation plein sud offre une certaine douceur de vivre. Sur le bord de la route, un peu en contrebas du village, les voitures s’arrêtent souvent pour admirer deux maisons traditionnelles, caractéristiques par leurs toits faits de deux pentes fortes, aux pignons crénelés.
Alain : « Je suis frontalier… Toutes mes balades, c’est ici »
A Bossost, dans la vallée, Alain nous parle de « son » Val d’Aran. Avec sa femme Rose-Marie, il est à la tête d’un petit restaurant-pâtisserie à deux pas de la Garonne. Lui est Français frontalier, elle Aranaise. Il y a encore deux ans en arrière, le couple tenait un établissement de l’autre côté de la frontière, à vingt kilomètres de là, à Saint-Béat. Mais en juin 2013, les inondations ont dévasté le village… « Ça aurait été comme reconstruire un bar-restaurant dans un cimetière », résume-t-il, encore affecté. Alors, Alain et Rose-Marie ont décidé de repartir à zéro, mais dans le Val d’Aran, misant sur le dynamisme touristique de la région. Ce changement de pays n’a pas été un réel dépaysement : « Rose-Marie est d’ici et parle l’aranès. Moi j’en connais quatre mots seulement, mais je me souviens, quand j’étais gosse, que mes parents le parlaient avec les vieux ». Au Val d’Aran, Alain aime par-dessus tout la nature. « Je suis frontalier… Toutes mes balades, c’est ici. Les lacs de montagne sont superbes, ils ont tous quelque chose. Et il y a ces villages, qui sont magnifiques ». Nous délaissons Bossost et ses boutiques spécialisées dans les robes de flamenco et autres plats à paella pour touristes français… Et reprenons le fil de la vallée vers le sud. Nous tournons à Pònt d’Arròs pour aller découvrir les cascades fascinantes du Saut Peth Pish.
Victoriano, un randonneur face à l’Aneto
La route remonte la vallée étroite de l’arriu Varradòs. Au cœur de l’hiver, elle est fermée, mais il arrive qu’en début de saison, il n’ait pas suffisamment neigé et qu’on puisse se rendre au plus près des cascades. Nous prenons rapidement de la hauteur, et, alors que se dégage une vue stupéfiante sur le pic d’Aneto, le toit des Pyrénées culminant à 3 404 mètres, nous tombons sur Victoriano. La petite soixantaine fringante, équipé, comme il se doit, de toute la tenue du randonneur confirmé, Victoriano nous tend sa gourde traditionnelle remplie, à l’ancienne, de vin, et accepte de livrer « sa » montagne. Originaire d’un village voisin et expatrié à Lleida pour le travail, il revient toujours aux sources. « Conquérir la montagne, c’est comme conquérir le cœur d’une femme », lâche-t-il, d’un ton sans appel. Victoriano raconte les cols et les pics voisins, les sources et les cours d’eau souterrains, et mêle à tout cela l’Histoire, qu’il affectionne. Il parle des batailles, dans cette zone frontalière remuante, et, comme tout bon randonneur, sort vite des sentiers battus du Val d’Aran pour élargir l’horizon aux montagnes voisines et au « chemin de l’impératrice » de Luchon, au cirque de Gavarnie et au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, qu’il parcourt chaque année, tronçon après tronçon. Victoriano conclut en nous montrant son fidèle compagnon, le « restoi », un bâton de noisetier du Val d’Aran au bout en métal, en forme de crochet, pour attraper les brebis. « Il est aussi vieux que moi » rigole-t-il. Nous le laissons là, sur son petit Saint-Jacques de Compostelle aranais. En haut, les cascades sont à la hauteur de leur réputation : immenses et puissantes, dans un environnement magnétisant de haute montagne. A Vielha, nous poussons la porte de la Cava Beso, une institution.
Sur les images noir et blanc, les employés posent à côté des jambons
Cette cave-épicerie, dirigée par Antoni Beso, a été fondée par son grand-père et a aujourd’hui 90 ans… Lorsqu’on le questionne sur le sujet, le patron se livre avec plaisir. Il file dans l’arrière-boutique et revient avec des photos des années 60. Sur les images noir et blanc, on voit les employés poser à côté des jambons. « A l’époque, c’était très différent : tout se vendait, mais à moitié prix ! » raconte-t-il. Le magasin était minuscule… Depuis les temps ont bien changé : Antoni a agrandi, choisi une déco moderne et une ambiance chaleureuse. « Mon père fermait deux jours par an… Quand je lui ai dit que j’allais fermer deux jours par semaine, il s’est moqué de moi ! » sourit-il. Antoni a suivi les évolutions du commerce dans la vallée : avant, les Français venaient surtout faire le plein de carburant et acheter de l’alcool pas cher… Ces dernières décennies, le tourisme de séjour haut de gamme s’est développé, avec les Espagnols notamment.
Un art roman préservé
A Vielha, impossible de traverser la ville sans pousser la porte de l’église Sant Miqueu. Entre autres splendeurs, elle abrite une sculpture romane du XIIe siècle, un buste polychrome du Christ de Mijaran. Penché sur le côté, les yeux fermés, les côtes marquées, finement sculpté jusque dans le moindre trait, il semble réel. Cette œuvre est considérée comme l’une des pièces capitales de la sculpture romane catalane. Le patrimoine roman est remarquable dans le Val d’Aran car plutôt préservé des turpitudes de l’Histoire. C’est en grappillant des images de carte postale, au fil de déambulations dans les petits villages de l’est de la vallée, que nous achevons ce voyage, avant de rentrer en Catalogne nord par le splendide pòrt (col) Dera de Bonaigua. Escunhau, Arties, Unha, Bagergue,… Autant de bourgs surmontés de clochers pointus en ardoises, tous charmants. En y regardant de plus près, on découvre que les murs tordus par les siècles ne sont pas si nombreux de ce côté-ci de la vallée, à proximité de la station de ski touristique de Baqueira Beret, et que l’urbanisation s’y est développée de façon impressionnante ces dernières décennies… Mais toujours, dans la plus pure lignée architecturale traditionnelle. Toits pentus, pierres grises et ardoises. Le Val d’Aran s’est ouvert au tourisme… Mais n’a semble-t-il rien perdu de son âme occitane.
Montana
Posted at 18:44h, 23 aoûtcomment louer a l’année une maison à Canejan petit village ?????? j’aimerais y vivre y passer les années restantes dans ce coin de paradis qui me correspond parfaitement
Marco
Posted at 04:57h, 16 octobreCanejan, avec une route totalement improbable.
Les croisements sont TRÈS difficiles.
Tout, absolument tout est en pente.
C’est bon pour le cœur ❤, certes, mais que c’est dur. Je ne l’ai jamais vu enneigé.
Cela doit être un véritable spectacle.
Visca Catalunya.
Aixo mateix.