01 Oct LA VALLEE DE LA ROTJA : LE BONHEUR RETROUVE
C’est une petite vallée qui semble se cacher, quitter la Têt à dessein, comme appelée par un destin plus haut. Une vallée qui se destine depuis plus de 1 000 ans à des activités agricoles et pastorales, dictées par la nécessité de l’autarcie et la rudesse du climat montagnard. Une vallée que l’eau dévale et sillonne, où la main de l’homme a laissé des traces comme autant de petits cailloux à découvrir patiemment comme un grimoire à déchiffrer. La Vallée de la Rotja est un véritable conservatoire naturel.
Un pour tous, tous pour un
Quatre villages y accrochent leurs maisons, souvent dispersées en hameaux, le long de pentes qui n’épargnent ni le souffle ni les jambes. Des villages qui résistent fièrement aux sirènes de la vitesse et du progrès, tout entiers tournés vers leurs richesses propres : Sahorre, Fuilla, Mantet, Py. Depuis toujours, l’été voit arriver sur les estives à forte déclivité, des troupeaux en transhumance venus goûter les fragrances des fleurs de montagne et la pureté des ruisseaux. Il attire aujourd’hui d’autres cohortes de marcheurs, sac à dos en bandoulière.
Chemins de traverse
Parfois, au hasard des guerres, des hommes ont suivi ces mêmes chemins pour passer en Catalogne du sud, ou arriver du Principat, acheminer des armes dans les maquis, fuir la misère. C’est un pays de sentiers, de corrals et de cabanes de pierre, ouverts aux grimpeurs. Un pays d’orages et de foudre. Un peu partout, les cicatrices d’anciennes terrasses ourlent de pierres sèches des coteaux redevenus sauvages. Ici, l’homme a cultivé du blé et de l’orge, autrefois. Aujourd’hui, il cultive, outre des vergers luxuriants, du foin pour les bêtes. La fenaison donne d’ailleurs lieu à l’une des grandes fêtes de l’été.
Le ventre de la terre
En 1406, le comte-roi catalan, Martin l’Humain, dernier descendant direct de Guifred le Velu, a autorisé l’exploitation des sous-sols sur l’ensemble de ses terres, moyennant une taxe de 10% sur les minerais ou pierres extraits, payés à la couronne. Les hommes se sont alors souvenus des forges héritées des Romains et des carrières d’argile et de marbre à ciel ouvert. Et la terre a donné à profusion, à Sahorre et à Fuilla, ce fer du Canigou réputé inoxydable. La force motrice de l’eau a bientôt fait tourner à plein les forges catalanes, célèbres dans le monde entier pour leur modernité.
Terre d’accueil
Les mines ont attiré au fil des décennies beaucoup de Catalans du sud, de Sardes et de Génois dont beaucoup ont fait souche en pays catalan. Au cœur des forêts, un petit peuple de charbonniers miséreux a longtemps fabriqué un excellent charbon de bois, dont les anciens disent qu’il était le plus pur de nos montagnes. Sur ces terres rudes, tout se mérite et se conquiert. A Mantet subsiste le marteau de l’ancienne forge, émouvante trace de ces forges supplantées à la fin du XVIIIe siècle par les hauts fourneaux.
L’or bleu de la Rotja
La Rotjà, impétueuse, est la vertèbre de ce monde clos, tantôt offerte, tantôt refermée sur des gorges étroites qui commandent l’accès à Py, à 1 000 m d’altitude. Son eau, domestiquée, se divise en centaines de petits canaux de pierres jointes, construits à main d’homme qui désaltèrent toute la faune et la flore de la montagne et permettent aux vergers de donner le meilleur. Si la présence d’une grande horloge vous étonne, sur l’immense clocher de granit de l’église de Feuilla, sachez qu’elle n’était pas là pour donner l’heure, mais bien pour présider à l’ouverture des vannes qui permettaient d’irriguer telle ou telle propriété. On devine un petit monde parfaitement autonome, régi par ses propres lois.
Un parc sublime
Nous sommes ici au cœur du parc naturel des Pyrénées, au pied du pic de les Tres Estrelles (des trois étoiles), flanqué de ses deux hauts plateaux, le Pla Guillem et le Pla Segala. Un authentique paradis pour les marcheurs, les photographes, les amoureux de la nature, tous ceux qui aiment la vérité des espaces, la lecture à fleur de pierre de l’histoire des hommes. Dans ces prairies d’altitude où serpente le GR 10, les landes à genêt sont émaillées de pins à crochet. Çà et là, deux pierres plates disposées en quinconce sur le cours d’un minuscule ruisseau, improvisent un abreuvoir. Au-dessus de Mantet, le tumulus de la Collada Verda témoigne d’un passé beaucoup plus lointain, préhistorique.
Des prières de pierre
A Mantet, veille un berger de pierre avec ses brebis, émouvant hommage à ces pâtres isolés dont les appels de flabiol griffaient le silence des roches, flottant au-dessus des clarines et des sonnailles qui cheminaient d’une draille à l’autre, au rythme des troupeaux. La chapelle Sant Vicens, humble action de grâces, date du XIe siècle. C’est une quintessence d’art roman dans sa grandiose naïveté. Comme dans beaucoup de hautes vallées pyrénéennes, les édifices romans se bousculent : l’église Saint Etienne (XIIe) surplombe Sahorre. A Feuilla, réparties en plusieurs îlots de population, trois églises romanes vous attendent : Sainte Eulalie, une merveille à triple nef, Sant Climent de la Serra et la chapelle de Fuilla d’amont. Au-dessus, sur la crête, trône la tour de Goa, qui domine aussi, de l’autre côté, Casteil et Vernet-les-Bains.
L’enfance retrouvée
Comme souvent, son isolement et sa relative pauvreté ont paradoxalement sauvé l’essence de la vallée. Peu à peu abandonnée par les ouvriers à la fermeture définitive des mines, dans les années 80, puis un temps désertée par ses paysans attirés par les mirages de la ville, la vallée de la Rotja connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse. Beaucoup de néo ruraux s’y sont établis, amoureux de la beauté des paysages. Les anciens, d’abord méfiants, ont transmis sans compter la mémoire vive des arbres et de l’eau, et les maisons se sont rouvertes au gré des week-ends. Une vraie renaissance.
Une vallée gourmande
Aujourd’hui, la vallée ouvre les bras à des randonneurs de plus en plus nombreux, heureux de goûter aux secrets de la plus gourmande des vallées catalanes. Fromages de vache, de chèvre ou de brebis retiennent et concentrent les effluves de cytise et d’aneth, de thym et de laurier. Des aventuriers du goût cultivent des bulbes de safran qui se vendent dans le monde entier. Le miel brun, épais, se décline en pains d’épice, en confitures. Les fruits, surtout les pommes, subliment les tables et donnent naissance à des jus délicieux. Ici, tout est bio par définition. La terre rend au centuple le respect qu’on lui manifeste. Des variétés de pommes et de poires, presque disparues, revoient le jour pour la plus grande joie des cuisiniers. La Vallée de La Rotja est un véritable laboratoire du goût.
Comme avant
Beaucoup d’artisans et d’artistes ont posé ici leurs fours et leurs pinceaux. Les marchés tournants du jeudi, qui passent d’une commune à l’autre, proposent des poteries, des objets de vannerie, des vêtements de laine ou de coton faits mains. Ils ne sont pas très différents des marchés du siècle dernier. Gageons que les charcuteries, séchées à l’air pur des montagnes, n’ont pas bougé d’un poil, et que le pain ventru, cuit sur la pierre, ressemble comme un frère à ses aïeux, coupé par le même couteau catalan à lame courbe. Le temps semble avoir décidé d’épargner la vallée.
Travail d’équipe
Il faut dire que les villages jouent leur partition en pleine harmonie. La fête de la pomme, la plus grande animation de l’année, a alternativement lieu à Sahorre, puis à Feuilla. C’est le fruit d’une longue, très longue communauté de destin, et d’une situation géographique insulaire. Malgré l’ouverture possible, après Mantet, sur Vernet-les-bains, la vallée reste lovée comme un chat ronronnant, toute à la joie de sa vie simple et tracée. Ici, on semble s’être relevé de tout : des hivers interminables, du travail harassant à la mine, de la peur de manquer, de l’exode rural…
Pour dispersé que soit l’habitat, il semble qu’un invisible foyer rassemble les habitants autour d’un même feu, nourri au bois de siècles de solitude, de travail et de contemplation tranquille du cours des saisons. Peu importe d’où ils viennent. Sur cette terre farouche, ils ont accosté pour prendre racine et inscrire leur geste dans celui des pinset de la montagne. Leurs pas dans ceux des fugitifs, des maquisards, des mineurs et des bergers. Pour que la Vallée de la Rotja garde intact le pouvoir de ses sortilèges.
La réserve de Py-Mantet abrite une faune et une flore typiquement pyrénéennes. Avec la réserve de Prats-de-Mollo et celle de Nyer, limitrophes, ce sont 11 000 ha d’espaces protégés, sillonnés de sentiers balisés, abritant des refuges et des sources, d’anciennes mines et des carrières de marbre, des corrals et des cabanes, qui s’ouvrent aux promeneurs amoureux du massif du Canigou. Les éleveurs jouent un rôle déterminant dans la préservation de cet espace naturel et de son écosystème, mais il appartient à tout promeneur de respecter quelques préceptes très simples. Si la cueillette des champignons est autorisée, vous ne pouvez pas pour autant prélever des végétaux, capturer des animaux (écureuils, lapins, oiseaux) ou des minéraux (blocs de marbre rose). Vous ne pouvez pas non plus camper où bon vous semble. Tout au plus, pouvez-vous installer un modeste bivouac en bordure de chemin. Inutile de dire que l’allumage d’un feu est absolument proscrit comme dans toutes les montagnes catalanes, et qu’il serait extrêmement malvenu de laisser derrière vous des détritus. Plus étonnant – et dissuasif -, les chiens ne sont pas les bienvenus, car ils perturbent les troupeaux. A moins de les garder en laisse… Si vous respectez toutes ces instructions, à vous les grands espaces et le vol gracieux des rapaces dans le ciel haut. Le Canigou vous ouvre ses mystères et sa majesté.
Anne-Marie
Posted at 19:09h, 19 aoûtQuel beau commentaire lyrique à la hauteur des merveilles de cet endroit magnifique !