04 Oct VIBRER, FAÇONNER, CRÉER
Le propre d’une capitale, c’est d’être un centre, c’est-à-dire un endroit qui attire. Culturellement, Perpignan assume à merveille sa mission de leader dans un bouillonnement d’idées, de langues, de couleurs qui donne envie de la vivre pleinement.
Perpignan est créative : ici, les arts plastiques sont chez eux, portés par de nombreuses galeries installées en centre-ville, des centres d’art contemporain, tels que le Centre Walter Benjamin ou encore àcentmètresducentredumonde, situé à deux pas de la gare, et les musées comme la Casa Pairal, le Museum d’Histoire Naturelle, le Musée Puig, et bien-sûr le somptueux Musée Rigaud, récemment aménagé dans deux hôtels particuliers, l’hôtel de Lazerme et l’Hôtel de Mailly respectivement érigés au XVIIe et au XVIIIe. Trois lignes de force vous y attendent : des raretés du gothique catalan avec des retables sublimes, le chevauchement flamboyant du Siglo de Oro et du Grand Siècle autour des figures jumelles de Hyacinthe Rigaud, devenu le roi des peintres de Louis XIV et d’Antoine Guerra, peintre à la cour d’Espagne, et enfin, de l’art moderne comme s’il en pleuvait, signé Maillol, Dufy, Terrus ou Picasso.
Façonner la matière
Vous avez encore le temps, jusqu’au 3 novembre, de visiter la flamboyante exposition de l’été, un insolite dialogue entre Maillol et Rodin au tournant du XXe siècle, une exposition digne des plus grands musées européens. « En matière d’arts plastiques, Perpignan joue dans la cour des grands », explique Jacqueline, galeriste ! « Les vernissages sont légion, ils donnent l’occasion de découvrir la formidable créativité locale, dopée par la rencontre de peintres et sculpteurs du cru et d’artistes venus s’établir en terre catalane ». Cette belle dynamique concerne aussi l’artisanat d’art. Les bijoutiers arborent fièrement la pierre locale, travaillée selon des techniques ancestrales, le grenat extrait du Canigou, objet depuis peu d’une Indication Géographique Protégée. Pierre emblématique des femmes d’ici, transmise de génération en génération, elle donne lieu à des pièces originales d’une rafraîchissante modernité sans renier pour autant ses fondamentaux, les dormeuses et la croix badine dont un bras est articulé. Un peu partout, la céramique locale impose ses arcs-en-ciel, souvent traitée en mosaïque, parfois comme un support plastique, ou encore en trencadís.
Vibrer
Émerveillement garanti si vous poussez jusqu’aux ateliers de céramistes de Sant Vicens qui virent passer en son temps le grand Jean Lurçat et qui portent encore à la perfection ces arts du feu si méditerranéens, et si indissociables, surtout, de la Catalogne ! Pour vous en persuader il suffit de s’attacher un instant au dessin des rambardes et des balcons pour admirer le façonnage ancestral de ce fer du Canigou qu’on dit inoxydable. Si Perpignan se prête, s’offre même, à la promenade et à la découverte tranquille, elle sait volontiers prendre des langueurs de courtisane pour inviter le visiteur à vivre à l’heure ou plutôt aux heures du plaisir. Envie de musique, de danse, de théâtre ? Perpignan a ce qu’il vous faut pour illuminer votre automne ! D’abord du jazz dans les rues avec le festival Jazzèbre et sa célèbre fanfare et un petit air de New Orleans pendant tout le mois d’octobre. Ensuite, une programmation de scène nationale au théâtre de l’Archipel qui vous offre sur un plateau les meilleurs spectacles de l’hexagone, tous les rois de l’humour au Palais des congrès, des musiques actuelles décoiffantes au Médiator, des danses urbaines à la Casa Musicale, de la rumba catalane authentique et festive au gré des restaurants, des dégustations… « C’est simple, il y a plus de 1 000 spectacles par an, vous trouverez forcément le vôtre ! » souligne Karim, acteur culturel. La ville vibre, chavire, aime la nuit et la fait aimer. Elle semble puiser dans son ADN méditerranéen un sens de la fête que le hiératisme de son architecture ne laissait pas deviner. L’épicentre de ses soleils nocturnes reste, outre l’hypercentre, le grenat géant posé par Jean Nouvel au bord de la Têt, un astre improbable qui absorbe dans son orbite tout un peuple de noctambules, de fêtards, d’amoureux du spectacle et de fins gastronomes, autochtones ou visiteurs. Un quartier idéal pour refaire le monde un verre à la main à la rencontre de l’âme chaleureuse de la ville. Partageuse, Perpignan aime, le soir venu, ouvrir la ronde de ses sardanes, offrir au monde la danse sacrée des pères, égalitaire et recueillie, à l’appel des tibles et tenores, les clairs hautbois catalans. Un culte davantage qu’une danse, venue du fond des âges pour nouer les mains et les cœurs sans distinction d’âge ou de sexe. « Une ballada de sardanes devant la belle façade de marbre de l’hôtel de ville, c’est une clé de plus pour comprendre la belle âme de la ville » souligne Pascal, sardaniste de choc ! Là-haut, à l’angle des dentelles gothiques de la Loge de Mer, une caravelle de fer forgé semble s’élancer vers un large qu’elle est la seule à voir, ancrée au centre d’un monde.
Terre d’artistes
Car Perpignan donne raison à Dalí, et même, amplifie son message. Perpignan la Catalane est au centre de plusieurs mondes, et pour cause. Elle fut de tout temps une capitale de l’exil. Un carrefour des espoirs et des désillusions. Une plate-forme entre la France et l’Espagne. Ville juive depuis le haut Moyen-Âge, gitane depuis le XVe siècle, Perpignan a vu son destin changer au cours des siècles, en accueillant plusieurs vagues de population, qui, toutes, ont apporté leur pierre à son identité et à son expression culturelle. Au XXe siècle, ce furent d’abord des vagues de réfugiés générés par l’Espagne franquiste, catalans et espagnols : certains avaient nom Clavé, Garcia-Fons, Valiente et ont donné à cette terre de nouvelles lettres de noblesse. Pendant la guerre de 40, ils ont croisé d’autres réfugiés, résistants ou juifs, venus du nord cette fois : Raoul Dufy, Jean Marais, Jean Cocteau. Depuis, des Pieds-noirs, des Portugais, des Maghrébins et des milliers de Français d’ailleurs sont venus enrichir cette mosaïque. Perpignan est une ville d’artistes qui invite à un voyage permanent.
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