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Vilafranca del Penedès, caractère bien trempé

02 Déc Vilafranca del Penedès, caractère bien trempé

Ah ! Vilafranca del Penedès ! On ne l’aime pas, on l’adore, on la boit, on la mange, on la dévore. Discrète et vibrante à la fois, elle conjugue tous les contrastes avec élégance. La capitale du vin de Catalogne est aussi la cité-phare des castells, ces traditionnelles pyramides humaines. Entre passé médiéval, édifices Art Nouveau et commerces au charme d’antan, Vilafranca coche toutes les cases d’une surprenante et charmante escapade historico-culturelle.

Elle déroute. Littéralement et dans tous les sens. C’est entre Barcelona et Tarragona, dans l’arrière-cour de Sitges, qu’il faut aller la chercher. Elle, c’est Vilafranca del Penedès. Tout passionné de bons crus qui se respecte porte obligatoirement dans sa carte mentale vinicole l’appellation DO du Penedès. Une des grandes références du vin catalan et la première DO du monde 100 % écologique ! Faisons donc sauter le premier bouchon. Qu’on se le dise : Vilafranca est LA capitale du vin de Catalogne. La cité consacre d’ailleurs au divin breuvage un splendide musée, le Vinseum : le musée des cultures du vin de Catalogne. Une halte obligatoire pour les fêtes de fin d’année, d’autant que l’espace muséal abrite une excellente taverne. Prêts pour une immersion à 360 degrés ? Attachez vos ceintures ! On le répète : Vilafranca est aussi déroutante qu’enivrante. Élevée au cœur des vignes comme une coupe déjà pleine, cette cité catalane à la respiration tannique se présente d’abord comme une bourgade tranquille de 40 000 habitants, sage en apparence, blottie entre les ondulations infinies des vignes. Mais qu’on y pénètre, qu’on s’y attarde et l’on comprend qu’elle possède le pouvoir des grands vins : elle monte, elle surprend, elle grise, comme une délicieuse sortie de route. Et comme par hasard, au premier virage, on apprend par Miquel, un habitant bavard rencontré au mythique Café el Coro, que « Vilafranca est le berceau de la Formule 1 en Espagne ! Et ça, tout le monde ne le sait pas… » Le circuit de Barcelone-Catalogne situé à Montmeló n’a qu’à bien se tenir. C’est bel et bien sur les routes publiques de Vilafranca qu’ont eu lieu les premières « Courses de voiturettes » du Grand Prix de la Penya Rhin entre 1921 et 1923. Ces épreuves étaient même inscrites au Bureau International, précurseur de la Fédération Internationale de l’Automobile. Aujourd’hui encore et plus que jamais, Vilafranca est de ces villes qui tiennent la route. Pas étonnant qu’elle ait été classée « Ville de Caractère » par l’Agence Catalane du Tourisme. Elle qui a su se distinguer par sa taille humaine, riche d’une personnalité unique, façonnée par l’histoire, la culture, la gastronomie et la créativité. On confirme : Vilafranca coche toutes les cases ! C’est au cœur du dédale de ruelles que surgit la Basilique Santa Maria, toute illuminée pour les fêtes, ajoutant une note de majesté au paysage urbain. Véritable prière de pierre, elle offre une claque architecturale, comme si la vigne elle-même avait dicté ses volutes aux bâtisseurs. Elle est le premier édifice paroissial de Catalogne construit dans le style gothique, érigée selon les principes architecturaux des églises catalanes à nef unique.

Sacré et profane

Dressé sur la place Jaume Ier, elle attire l’attention par plusieurs singularités, notamment par la flopée de gargouilles disposées entre les contreforts, sous forme d’animaux fantastiques ou réels. À ceux qui souhaitent vivre une expérience empreinte de mystère, il faut oser descendre dans la crypte à voûte basse située sous le presbytère. On peut accéder à cette « chapelle profonde » tous les samedis. Réalisée en 1916 par le célèbre sculpteur catalan Josep Llimona, la crypte accueille le groupe sculptural « Davallament de la Creu » en marbre de Carrare. Rien d’excessif, rien de théâtral. Les visages, polis jusqu’à la transparence, semblent retenir une larme qui ne tombera jamais. En ressortant, les bruits de la ville paraissent lointains, presque incongrus.

L’ivresse magique des castellers

Le cœur bat plus lentement, comme apaisé. Parfait pour prolonger la magie sur la place Jaume Ier, où le marché de Noël déploie ses échoppes d’artisanat catalan, ses douceurs sucrées et ses effluves de vin chaud, dans une atmosphère à la fois festive et chaleureuse. Là, il suffit là de lever les yeux, pour que la rétine grimpe le long des huit étages de la statue de calcaire érigée en hommage aux Castellers de Vilafranca. Depuis 1948, les Vilafranquins, hommes, femmes et enfants ont l’art du castell chevillé au corps et au cœur. Objectif : toucher le ciel, tous ensemble et le plus longtemps possible. Et surtout, faire « pinya », faire bloc selon la devise « équilibre, force, courage et bon sens ». Élancés, corps serrés, muscles tendus, ils ont bâti des milliers de cathédrales humaines. Sur la Plaça de la Vila, où trône la mairie, un pèlerinage s’impose. Au sol, une dizaine de plaques gravées rappellent les records battus par les Castellers de Vilafranca. à l’angle de la place, la maison de la presse affiche une drôle de vitrine, constellée de castells vert et blanc de toutes tailles. Plus que de simples souvenirs à emporter, ce sont de véritables objets d’art, des totems, presque des reliques. « On vit dans cet univers à Vilafranca. Le jour de la Festa Major, fin août, de notre boutique nous sommes aux premières loges. Il n’y a plus un centimètre de libre sur la place. Tout le monde pousse derrière les castellers. L’atmosphère est indescriptible. Même les mouches n’osent plus voler ! Le silence est absolu. Je le vis depuis toute petite, mais j’en pleure chaque fois tellement l’émotion est forte… » raconte la gérante, intarissable sur les générations de « colles ». À Vilafranca, on est immédiatement touché par le lien, ce fil invisible entre les habitants, les commerçants et le visiteur. À chaque coin de rue, à chaque samedi de marché, on perçoit cette étoffe tissée de gestes et de regards où se brode le goût de l’autre. Un effet-boucle que l’on retrouve dans les itinéraires joliment pensés entre les dix édifices médiévaux et les vingt pépites Art Nouveau ouverts à la visite. Et de circuler, sourire en bandoulière, entre le Palau Baltà, le Palau Reial et la Casa Fortuny ou la Casa Miró. Pour vivre au plus près l’expérience jubilatoire de l’échange et de la rencontre, du mot gentil et du sourire gratuit, il y a à Vilafranca comme une urgence à pousser la porte des petits commerces. Sur la place de la Constitution, sous une enfilade de porches, on trouve la mercerie Ramon Sala tout droit sortie d’un autre temps.

Le charme des petits commerces d’antan

Trois vitrines en éventail débordent de trésors du quotidien : boutons de nacre, modèles de tricot, pyjamas suspendus, chemises pliées à l’ancienne. L’œil s’y promène avec délice, comme dans un album de famille, entre boîtes cartonnées et accessoires aux couleurs fanées par le soleil. À l’intérieur, un vieux comptoir en bois sert de refuge à une commerçante au savoir-faire d’autrefois, capable de distinguer au premier coup d’œil un coton perlé d’un fil à bâtir. Cette nostalgie heureuse imprègne les rues de la cité. Entre « Esteva 1891 », l’imprimerie transformée en joyeuse quincaillerie, la boulangerie « Fleca Parès 1907 », le légumier « Maso 1940 » et le boucher Llobet, le temps a laissé sa patine. Il y a là cette sensation de gorgée discrète d’un vin ancien qui prolonge l’ivresse de la cité du vin. On croit visiter une capitale viticole et l’on se retrouve à tituber dans une symphonie de saveurs portés par de superbes petits restaurants, comme le Cigró d’Or, distingué par un Bib Gourmand et installé à l’étage du Mercat de la Carn, épicentre bouillonnant des amateurs de viande. L’endroit idéal pour se laisser conter l’histoire et le goût exquis du fameux Gall del Penedès, le fameux coq noir. Il est l’emblème paysan et culinaire de la région, célébré depuis 360 ans durant deux jours avant les Fêtes de Noël. Incarnation d’une identité toujours réinventée, fidèle à son essence profonde. Vilafranca del Penedès se dévoile ainsi comme une cité à plusieurs visages, à la fois ancrée dans ses traditions et résolument tournée vers l’avenir. Derrière ses façades gothiques et modernistes, derrière l’effervescence de ses marchés et la ferveur de ses castells, bat le cœur d’une ville authentique, fière de son héritage et passionnée par le partage. Ville du vin, ville d’art, ville d’âme, Vilafranca del Penedès distille bien plus que des arômes de cépages : elle offre une expérience sensorielle et humaine rare, où chaque pierre, chaque sourire, chaque verre levé raconte un fragment de la Catalogne éternelle. On y vient pour le vin, on y revient pour la vie.

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