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LE CAP DE CREUS : UN LIEU DE VIE

31 Mai LE CAP DE CREUS : UN LIEU DE VIE

Une nature aussi incroyablement forte ne pouvait pas manquer de littéralement dicter sa volonté aux hommes soucieux de bâtir et de s’établir. Aussi les ports se nichent-ils peureusement au fond de criques choisies pour leur orientation. Il s’agit de se mettre à l’abri de la redoutable tramontane, la déesse absolue de ce bout de péninsule !

Cap2Dès le matin du monde

L’histoire est partout la même. D’abord les premiers hommes qui vivent sur les hauteurs, près des sources, et ont jonché littéralement la montagne de pierres dressées, sépultures éternelles conçues pour que le monde garde leur trace. On trouve des dolmens et des menhirs un peu partout dans le parc naturel du Parc du Cap de Creus et même un village néolithique quasiment intact à Saverdera, avec ses citernes, ses silos et ses cabanes reconstituées.

De haute mémoire

Les Phocéens, émerveillés par la baie de Roses, immense et protégée, et sans doute aussi attirés par la prospérité des maîtres de l’arrière-pays, les Ibères, et par leur haute civilisation, installent un premier comptoir au IVe siècle avant notre ère. Ce sera Rhode ou Rode qui deviendra Roses, un grand centre d’exportation de vin et d’huile d’olive dans toute la Méditerranée, car déjà la terre catalane produit à profusion sang de la vigne et or vert des oliviers. Après les Grecs, viennent les Romains qui s’implantent un peu partout et notamment dans la jolie crique de Llançà où ils fondent, deux cents ans plus tard, l’ancienne ville romaine de Deciana, presque invisible au regard depuis la mer. Nous sommes sur des terres de haute mémoire.

Châteaux et abbayes

Des terres qui, comme toute la Catalogne, vont subir l’empreinte décisive de la féodalité et des abbayes comme en atteste le nombre de châteaux, de chapelles et d’églises qui hérissent encore la montagne et dont la fleur incontestée reste le monastère de Sant Pere de Rodes. Dans ce paysage tourmenté, où tertres et vallées se bousculent, ces vestiges témoignent d’une histoire décidément agitée, compliquée par un jeu inextricable de vassalités. La société féodale a laissé d’autres traces, comme le nom de Vilajuïga, à l’évidence « ville juive », où l’on suppute la présence d’un call prospère comme c’est le cas, tout près, à Castelló d’Empúries.

Cap3Zone tampon

Pourtant, c’est la position même de ce joli monde clos, zone tampon au même titre que la Catalogne du nord entre la France et les Espagnes, qui va lui valoir des dizaines d’occupations par les armées françaises de Philippe le Hardi à Napoléon. Lors du traité des Pyrénées, la France a d’ailleurs durement bataillé pour annexer, en plus des comtés de Roussillon et de Cerdagne, la partie de côtière de l’Alt Empordà, tant il paraissait évident que le véritable obstacle naturel susceptible de matérialiser la frontière n’était pas la chute douce des Albères à Cerbère, mais bien l’imposant Cap de Creus et ses 632 mètres d’altitude !

Les laideurs de l’Histoire

Ici, le rude hiver 1939 a vu passer des milliers de civils emportant leurs pauvres biens dans leur exil désespéré vers les terres du nord, poussés par une armée républicaine en déroute, dépenaillée et affamée, et talonnés par le harcèlement des troupes franquistes. Sur ces rivages si beaux, si indifférents à la course du monde, l’histoire a pris ses poses les plus hideuses… Aujourd’hui, tous les échos de ces combats se sont éteints et la côte se déroule du nord au sud, douce à feuilleter, à peine éraflée de quelques bunkers de béton que la garrigue exubérante a su réduire au silence.

Llançà, le pari de l’avenir

Voici Llançà, la fenêtre maritime de Figueres à laquelle elle est reliée par une route toute droite. Au départ, un joli port de pêche, minuscule et sauvage, devenu la coqueluche des Allemands, des Français et des Hollandais : les plages vont du sable comme à Garbet, aux galets, et les rochers encadrent des criques enchanteresses. La crique d’origine a conservé ses airs de village catalan typique, avec ses maisons blotties sur la plage, un équilibre réussi entre expansion et authenticité. D’autant que Llança donne le signal de départ à la suite serrée des calanques du cap : un avant-goût de paradis bleu, là où la Costa Brava, farouche, mérite le mieux son nom !

Pêche, oliviers et moines

A Port de la Selva, un joli cercle de maisons blanches encadre le bleu des flots. Un petit air de Grèce semble flotter sur la silhouette de l’église récente, Santa Maria de les Neus. On n’a pas de trace de peuplement significatif avant le XVIIe siècle, juste quelques cabanes de pêcheurs-paysans dont beaucoup ont été contraints à l’émigration lors de la crise du phylloxéra. Un village blanc et bleu qui semble par endroits crouler sous les lauriers roses. Le petit port est connu pour ses restaurants et ses plages particulièrement prisées des Catalans du nord. Un peu plus loin, juste au-dessous de l’abbaye de Sant Pere de Rodes, la Selva de Mar est mentionnée depuis 974 et s’est développée autour de l’agriculture, grâce à l’impulsion décisive des moines. Des moulins à huile tournaient encore ici à plein régime au siècle dernier, dopés par l’électricité !

Cap4Cadaquès, la star absolue

Enfin, cerclée de montagnes abruptes qui ont déterminé son isolement jusqu’au XIXe siècle, Cadaquès s’est développée vers l’est, tout entière tournée vers les Baléares. Elle offre ses façades chaulées, ses fenêtres bleues, et ses ruelles pavées de schiste, aux festons élégants des criques qu’elle épouse. Tout en haut, l’église trône, et semble ouvrir les bras aux marins égarés. C’est certainement l’une des plus belles villes de Méditerranée, et l’une des plus orientales de Catalogne, avec ses volets bleus de courtisane fardée. Une ville d’artistes aux venelles pentues chaussées de schistes coupants, aux jardins secrets titubant sous le poids odorant des chèvrefeuilles et des jasmins.

Roses, naturellement performante

Roses réussit la prouesse d’avoir gardé son patrimoine médiéval et antique et d’avoir développé son attraction touristique tout en imposant son poids économique de deuxième ville de l’Empordà avec son port de pêche, le plus important de la Costa Brava avec celui de Blanes, et son port de plaisance. Comme elle ne fait rien à moitié, Roses s’offre le luxe de conjuguer deux parcs naturels, celui des Aiguamolls et celui du Cap de Creus ! Et en plus, elle a été élue au top 15 des plus belles baies du monde. Et avec ça, un sacré patrimoine. Sa citadelle, construite sur ordre de Charles Quint, englobe l’ancien quartier grec, le monastère roman et la ville romaine. Ne pas rater non plus la Casa Mallol, un joyau moderniste.

Une terre noble

De l’autre côté de la montagne, une route magnifique, terrestre, relie Roses à Llançà, étrangement rectiligne le long du relief tourmenté sur lequel le Cap de Creus vient s’adosser. Vous pouvez monter jusqu’à Saverdera et son château aux mille légendes, véritables balcons de l’Empordà. Vous aimerez la petite église romane, la fontaine et surtout, la tour de l’horloge. Le Moyen-Age a laissé une marque profonde sur ces terres de petites seigneuries. Un peu plus loin, la route traverse Vilajuïga, dont tout semble indiquer qu’il s’agissait d’un call isolé, puis le joli village de Pau avec son église Sant Martí, consacrée au XIIe siècle, et sa coopérative où se bouscule une clientèle de connaisseurs, amoureux des vins et de l’huile de l’Empordà.

A fleur d’éternité

En quelques villages, c’est bien de lui qu’il s’agit, de l’Alt Empordà. Une terre âpre, rouge, marquée par la sécheresse, qui offre sa palette de bruns et l’audace folle de ses verts presque gris. Une montagne, l’Albère, qui vient mourir dans la mer et dont les derniers soupirs résonnent comme un poème de granit. Un paysage sublime dans lequel les jolies villes du Cap de Creus, continentales et maritimes, viennent s’enchâsser, simples perles blanches au creux des baies profondes, au pied des montagnes abruptes. Une terre de labeur, aussi, qui n’a pas cédé aux sirènes du tourisme en oubliant de vivre, au contraire. Infiniment vivante et gaie, avec cette légèreté que donne la présence palpable de l’éternité.

Galerie de portraits

Toute l’année, des artistes venus de toute l’Europe, célèbrent ici une douceur de vivre un peu bohème, dont Dalí fut l’icône emblématique, entraînant un peuple joyeux de randonneurs, de plaisanciers, de simples vacanciers ou d’amoureux de l’histoire. Stations balnéaires suréquipées, baies échancrées où jeter l’ancre, ports de plaisance, ports de pêche, ce bout de côte sait tout faire. Son arrière-pays, rural, tranquille, bourré de charme, complète le sortilège d’un cadre naturel unique que la modernité n’a pas balafré. Les villages du Cap de Creus sont une véritable galerie de portraits, tantôt timides, presque anonymes, tantôt flamboyants sous les sunlights.

Une série de villages comme un chapelet magique à égrener autour de la forteresse minérale du Cap, comme un hymne intime et vibrant à la beauté du monde et au bonheur d’être là, vivant.

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