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Les Chemins de ronde : la mer autrement

30 Mar Les Chemins de ronde : la mer autrement

Qui n’a suivi du doigt, enfant, le dessin tourmenté des côtes sur les cartes en rêvant de voyage, de criques et de falaises ? C’est un peu ce que font les chemins de ronde des côtes catalanes. Ils suivent fidèlement l’écriture de la mer, d’échancrures en caps, pour donner à lire autrement la rencontre de la terre et de l’eau. La mer, oui, mais tout autrement.

Longtemps, ici, l’étranger est venu de la mer. Les Ibères, prudents, ne construisaient jamais leurs cités près des flots, ils préfèraient choisir des oppidums relativement proches de la belle bleue qui leur permettaient de voir arriver de loin un éventuel intrus du haut des tours qui émaillaient leurs formidables murailles. Si les Grecs s’installaient dans des ports protégés, c’est qu’ils pratiquaient un cabotage commercial peu compatible avec la pénétration à l’intérieur des terres. Quant aux Romains, tout comme nous, ils prisaient ports de commerce et résidences de bord de mer.

Un mur contre les Barbaresques

La Méditerranée n’était pas encore un gigantesque champ de bataille. Elle allait le devenir au Moyen Âge et à la Renaissance, lorsque s’opposèrent les forces occidentales chrétiennes et les pirates barbaresques, coutumiers des expéditions de pillage sur les côtes des Baléares et de la Catalogne. Dès lors, il était nécessaire de prévoir des dispositifs de surveillance du littoral pour pouvoir repousser les attaques. Ce sera l’origine et le rôle des chemins de ronde jalonnés de tours, arpentés par des gardes et des sentinelles. Ils reprendront d’ailleurs du service à chaque conflit, et serviront beaucoup aux contrebandiers et aux douaniers avant de devenir un atout majeur de connaissance de nos côtes.

Du plus sportif  au plus pépère

Il existe deux types de chemin de ronde. Celui qui suit la côte rocheuse, généralement situé en haut des falaises, au milieu des cytises et de l’arboretum méditerranéen qui accompagne la roche. Il se décline en une série de miradors qui ouvrent des perspectives inédites sur de nombreux îlots dispersés au large. Il slalome volontiers dans les pinèdes, et permet de descendre dans des conditions plus ou moins acrobatiques jusqu’au bord de l’eau, à fond de crique, là ou l’accès par la mer s’impose le plus souvent. L’autre, sur la côte sableuse, est en réalité un chemin côtier, plus propice à d’autres types d’exploration, à bicyclette par exemple. En passant des uns aux autres, c’est une vision sublime de la côte catalane qui s’offre à vous. D’ailleurs, au niveau sportif, il y en a pour tous les goûts et tous les niveaux. Parfois balisé, empierré, doté de marches pour faciliter l’avancée des promeneurs et d’échelles pour accéder aux criques, le chemin de ronde peut aussi être totalement sauvage et se laisser deviner à fleur de falaise, à peine esquissé d’un rocher à l’autre.

De Port-Bou au Cap de Creus

Au nord, tout commence par le GR 92 qui relie Port-Bou à Llançà. Le chemin traverse la rivière Molinàs, qui bruissait autrefois des aubes des moulins à huile et à blé, passe sous la splendeur minérale du monastère de Sant Pere de Rodes, longe la blancheur chaulée du Port de la Selva, et rallie la plage de Garbet avant de traverser le Cap Ras et d’aboutir à la plage de Canyelles. Un paysage magnifié par l’étrave du Cap de Creus, énorme, magique, avançant comme un brise-glace au milieu des eaux, striée de mille drailles depuis la préhistoire. Ici, rien à garder, aucune razzia à craindre, la seule sentinelle de cette presqu’île enchantée est le phare rouge, qui offre sa bienveillante sauvegarde aux navires en perdition.

De la Camargue à Gibraltar

Le chemin reprend autour de Cadaquès, qui laisse la mer enfoncer ses doigts au plus profond de ses criques et offre au promeneur la splendeur étale de la baie de Roses, immense, ronde, festonnée de belles calanques comme l’Almadrava ou la Cala Montjoi. Ensuite, l’eau et la mer ont un rendez-vous amoureux autour des embouchures de la Muga et du Fluvià. D’une part les aiguamolls et les marais-salants agissent comme une barrière naturelle et dissuasive, d’autre part aucun village ne trouble l’horizontalité du paysage, donc, point de chemin de ronde proprement dit, mais des chemins côtiers, souvent presque en équilibre entre deux lagunes, jusqu’aux premiers contreforts de l’Escala, là où règne, ancré dans la terre rouge, épousant failles et mamelons, un peuple dense de pins maritimes. Le long de la falaise, une sente à peine tracée mène à un mirador, juste devant l’îlot de la Roca Pardalera et plus loin, les îles Medes. Au-dessus de l’Estartit, la cambrure de la montagne évoque le rocher de Gibraltar.

Rizières et caps rouges

Après cet épisode tourmenté, le relief s’assagit à l’approche du Delta de Fluvià et la plaine s’offre de nouvelles fiançailles avec la mer sous le chant têtu des oiseaux. Des chemins jettent leur grâce au-dessus du miroir des aiguamolls et offrent au regard des randonneurs un camaïeu de bleus et de verts qui se confond avec les flots libres du large. À peine le temps de voir les premières rizières surmontées par la silhouette du village médiéval de Pals, et voilà les premières crêtes du cap de Begur, ourlées de pinèdes. Là, le chemin de ronde, balisé, sécurisé, est un véritable enchantement. Les criques se succèdent, alternant toutes les nuances du bleu, défendues par de redoutables étocs de schiste sombre. Le Cap Rubi lance son rouge profond dans le bleu de l’horizon.

De Begur au Maresme

C’est sans aucun doute l’un des plus beaux chemins de ronde de Catalogne. Il se poursuit, tranquille et altier, jusqu’au Cap de Sant Sebastià et au Cap Roig, aux avant-postes de Palafrugell, où l’attendent les petites îles Formigues, avant de continuer de dérouler ses mystères vers le sud. Un instant stoppé par la beauté des plages de Palamós, toutes de granit noir et rouge, il repart de plus belle vers Platja d’Aro, défile jusqu’à S’Agaró, héritière de la mémoire d’Hollywood et se poursuit vers Sant Feliu de Guíxols. Parfois, le chemin de ronde passe sous des tunnels, avant d’atteindre les tours de Tossa de Mar, la seule ville maritime fortifiée de Catalogne. Là, il prend des airs de chemin de montagne pour dominer la baie dans des éboulis odorants de bougainvillées, avant de gravir la falaise, de mettre le cap sur Lloret de Mar, et de se laisser aller tranquillement jusqu’aux plages.  Déjà sablonneuses, déjà dorées, elles annoncent, après Blanes, la beauté du Maresme et de ses criques, de Calella à Sant Pol de Mar, étrangement longées par la voie ferrée, puis, l’insolente majesté du Garraf autour de ses stars balnéaires, la sémillante Sitges et la charmante Vilanova i la Geltrú, cerclées de criques et de pins.

La langueur du sud

Plus au sud, c’est le paradis des chemins côtiers et des cyclistes, des longues promenades maritimes et des plages interminables. Quelques phares veillent sur l’horizon, mais les chemins de ronde ont fait place à de jolis sentiers balisés, avec deux exceptions sublimes, la côte rocheuse qui va d’Altafulla à Tarragone, magnifiée par le cri minéral du Cap Salou et ses belles falaises rouges et feuilletées, et celle qui entoure l’Atmella de Mar et l’Ampolla, derniers bastions d’un minéral qui recule pour mieux allonger les plages jusqu’aux Terres de l’Ebre. Jusqu’à lécher l’immense fleuve annoncé par le damier des rizières bordées de maisons de pêcheurs. La Costa Daurada alterne avec bonheur chemins de mer et de plaine, magie des horizons immenses et des sentes escarpées à fleur de falaise.

Au nord aussi

Derrière le fleuve, autour de Sant Carles de la Ràpita et d’Alcanar, la montagne reprend ses droits et offre de magnifiques promenades en surplomb dans les bleus incertains dessinés par les flots de l’immense fleuve qui n’en finissent pas de se fondre dans la mer. Ensuite commence une autre histoire, celle du Pays Valencien. De Port Bou au pays valencien, on peut donc suivre la mer à pied, que la côte soit rocheuse ou sableuse, et jouir de la beauté des plages et des calanques. Mais ce n’est pas l’apanage de la Catalogne-sud. Au nord, de précieux sentiers longent l’étang de Salses, puis les lagunes du Barcarès avant de surligner les plages de Sainte Marie et de Torreilles et de faire le tour de l’étang de Canet, pour gagner Saint Cyprien. Jusqu’au Racou, les chemins sont à fleur de mer, rarement ombragés par des forêts fluviales aux embouchures de l’Agly, de la Têt et du Tech. Après le Racou, ils reprennent leur élan pour border les vignes et les falaises, relier entre elles les forteresses et les caps jusqu’à Port Bou. Ils ont été à leur façon des passeurs d’histoire sous les espadrilles des exilés et des contrebandiers. Qu’il s’agisse de chemins de ronde au sens strict du terme, fortifiés et jalonnés de tours, ou de simples sentiers côtiers, ce réseau de sentiers offre des points de vue uniques sur la mer et la nature. Il constitue un observatoire de choix pour comprendre les hommes qui, au fil des siècles, ont vécu et travaillé sur cette côte et fait de la Catalogne cette terre de passage et d’accueil qu’elle est encore aujourd’hui.

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