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Commerce en Catalogne : L’âge d’or

04 Juin Commerce en Catalogne : L’âge d’or

L’aventure du corail est une véritable épopée commerciale catalane, impulsée par la bourgeoise marchande juive, dont le zénith correspond aux siècles d’or de la thalassocratie catalane, quand, partout, la Méditerranée était désignée par l’expression « lac catalan ».

Dès le milieu du XIIe siècle, on possède des occurrences catalanes concernant des transactions commerciales liées au corail, pêché notamment sur la côte vermeille et dans l’Empordà. Il s’agit des tarifs douaniers de Tortosa et de Collioure, les ports situés à chaque extrémité du territoire, qui signalent l’existence de grosses cargaisons de corail sans pour autant fixer de barème précis.

Grâce aux juifs catalans

Un siècle plus tard, nous avons connaissance à la fois d’un gros chargement de corail à destination d’Alexandrie affrété par la compagnie d’un certain Père de Mitjavila, et d’une lettre du Roi Pere le Cérémonieux à la Comtesse d’Empúries dans laquelle il lui demande de lui céder « une belle branche de corail » pour acheter au Sultan du Caire les reliques de Sainte Barbe ! Voilà qui indique le prestige du corail mieux que tout autre élément, puisqu’il est en l’occurrence considéré comme plus précieux que l’or et l’argent ! Deux siècles plus tard, autour de 1380, le corail est devenu un produit de luxe phare des bateaux de commerce catalans. Et ce, notamment grâce aux juifs qui en maîtrisent parfaitement la taille et la vente, connaissent bien les communautés juives du Moyen-Orient et du Proche-Orient avec lesquelles ils sont en contact, et n’hésitent donc pas à affréter leurs propres navires pour doper la commercialisation de l’or rouge. Cette glorieuse période sera de courte durée : dès 1391, de très violents pogroms contraignent une partie de ces riches orfèvres et marchands juifs à se convertir, du moins en apparence, ce qui permet aux Provençaux et Marseillais – parmi lesquels beaucoup de leurs  coreligionnaires – de prendre leur place pendant quelques années, le temps de la réorganisation du marché.

Nouveaux armateurs

Les quantités de corail transportées et vendues sont alors énormes, puisqu’il est question dans les archives, de cargaisons de 59 quintaux de corail brut et de 4 quintaux de corail en branches, soit plus de 6 tonnes, une quantité  à rapporter évidemment aux embarcations dont on disposait à l’époque, qui prouvent clairement que certains navires étaient dévolus à ce seul commerce. à partir de 1398, les Catalans non juifs prennent la main, avec de nouveaux armateurs, souvent des bourgeois honrats, mais ils travaillent toujours avec des marchands juifs plus ou moins christianisés. Ces derniers sont simplement passés au second plan. C’est un véritable âge d’or pour le corail catalan, enrichi des gisements énormes découverts en Sicile autour de l’Alguer. Lorsque les Ottomans étendent leur domination sur le Proche-Orient, l’élite de la bourgeoisie marchande a depuis longtemps compris l’intérêt qu’un produit aussi cher représentait pour les échanges méditerranéens et le corail pèse pour plus d’un tiers dans le commerce des ports catalans avec les ports mamelouks, notamment syriens et égyptiens. 

Haut de gamme

Sa valeur est soigneusement étalonnée selon sa qualité. On distingue, en haut de gamme, le corail en boutons, souvent taillé en chapelets ou en forme d’olive « la talla de l’oliveta », du corail brut, dit « torajat ». Selon que le morceau de corail brut émane de la branche ou du tronc, plus grossier, sa valeur change également. Sur certains navires, le corail dépasse en valeur les draps, la marchandise catalane par excellence, comme en attestent les registres du « Dret d’eixides de la Generalitat » (droits de sortie du territoire). Une fois en Egypte où en Syrie, deux centres de transformation éminents, le corail n’a pas fini son périple car l’Asie en est extrêmement friande. Outre sa puissance ornementale, il sert à la fabrication de collyres, de poudre dentifrice et est considéré comme souverain contre les hémorragies et le blocage des voies urinaires.

La fin de l’âge d’or

En fait, le corail suit exactement le chemin inverse des précieuses épices ! Ce commerce est d’abord troublé par le raid de Tamerlan sur la Syrie. L’empereur, jaloux du savoir-faire des orfèvres de Damas, décide de les déporter à Samarcande. Cet événement, allié aux innombrables attaques de pirates, génère d’énormes pertes. Les marchands catalans commencent à répartir les cargaisons sur plusieurs navires, ce qui revient évidemment plus cher, et sont contraints d’abandonner Damas pour se concentrer sur l’île de Rhodes. S’il se poursuit bon an, mal an jusque dans les années 1930, le commerce du corail entame à partir du XVIe siècle un lent déclin, et va peu à peu s’apparenter davantage, pour la Catalogne, à une activité commerciale secondaire, puis, à une pêche artisanale d’appoint concentrée sur des ports bien spécifiques comme Cadaquès ou Begur. L’histoire de l’or rouge s’est pourtant poursuivie jusqu’en 2017, qui voit sa pêche interdite au nord et au sud. Un espoir vite perdu de voir protéger les précieuses branches, car contre toute attente, l’état espagnol vient de passer outre la décision du parlement catalan en autorisant la pêche du précieux or rouge sur la Costa Brava. à moins que Bruxelles n’en décide autrement, bien sûr.

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