VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 129 EST EN KIOSQUE

Delta de l’Ebre, l’étrange presqu’’île …

01 Juin Delta de l’Ebre, l’étrange presqu’’île …

Située à l’extrême sud de la Catalogne, la plaine du Delta de l’Ebre voue un culte à l’horizontalité. Dunes, lagunes et rizières se partagent ce singulier paysage aux airs de mirage. Baigné d’eau, le Delta s’affiche comme le miroir d’une âme « ebrenca » d’une époustouflante authenticité.

Tout plaquer pour le Delta. C’est possible et Nathalie l’a fait ! Après plus de trente années passées en Suisse, la jolie brune polyglotte s’est réfugiée dans son paradis natal. Au cœur du Delta, là où les rizières zigzaguent avec l’horizon. Depuis mars 2012, c’est elle qui accueille le visiteur à la Fondation « MonNatura Delta de l’Ebre ». Un centre d’interprétation unique, implanté aux abords de l’étang de la Tancada, sur l’interminable route qui mène à Poble Nou del Delta. Autrement dit, un centre planté au milieu de nulle part. Un bout du monde enchanté. Et c’est bien ce que Nathalie aime dans son Delta de cœur. Ce côté terre-mer, cet entre-deux à nul autre pareil. « Quand on est né ici, je pense qu’on reste marqué à vie… Le Delta, c’est viscéral. Aller travailler le matin, traverser le parc naturel, être entouré de milliers de flamants roses et être bluffé par l’effet miroir de l’eau qui inonde les rizières, c’est simplement magique ! »

ebre3La tentation de l’insularité

Nathalie ne tarit pas d’éloges à l’égard de « son » si singulier Delta. Car oui, il y a bien quelque chose ici. A commencer par la géographie et ce petit paradoxe qui veut que le voyage dans le Delta commence en réalité par la fin ! La fin d’un fleuve : l’Ebre. Et, c’est comme si avant de se jeter dans la Méditerranée, ce fleuve s’était offert une large plaine, en forme d’oiseau aux ailes déployées. Né des alluvions de l’Ebre, le Delta s’avance comme la pointe d’une flèche.

Décor désertique et surréaliste

Longtemps marécage insalubre, le Delta est devenu l’un des greniers de toute l’Espagne, grâce à un système méticuleux de canaux d’irrigation et d’évacuation, favorisant entre autres la culture du riz. Dans ce si singulier Delta, il y a quelque chose de surréaliste. Un paysage sans fin de dunes dorées, deux péninsules piquées de deux phares de magazine, et ce puzzle-miroir formé par les rizières inondées. Canaux et rigoles jouent à pique-riz. Un décor de cinéma qui n’a d’ailleurs pas échappé au réalisateur du film Sahara avec Pénélope Cruz. C’est très précisément cette atmosphère de jamais vu qui séduit ici, cette sensation du règne de l’horizontalité. Le Delta ne dépasse en effet pas les quatre mètres de haut. Pas de politique de la brique ici, à l’instar d’autres parties du littoral catalan. Zone protégée. Par les règles du Parc Naturel certes, mais avant tout par l’état d’esprit de résistance des Ebrencs. Des hommes et des femmes aux corps robustes, façonnés à la dure par le travail des champs. Un peuple de « bout du monde » qui ne s’en laisse pas conter. Il y a dans leur façon d’être et de vivre comme un art de l’insularité. On vit entre enfants du Delta, conscient du patrimoine naturel exceptionnel et du potentiel de cette plaine à la rare biodiversité.

ebre2Rizières à perte de vue

C’est la petite ville de Deltebre qui fait office d’épicentre à proprement parler. Une cité divisée en deux lieux-dits. Autour d’un cœur de ville coquet, des rizières à perte de vue. Il faut arriver de nuit pour observer l’incessant ballet des phares de tracteurs dans les sillons des rizières. Ces mêmes machines qui, au petit matin, rituellement suivies d’oiseaux à longues pattes, soulèvent des nuages de terre visibles à des kilomètres à la ronde. Aujourd’hui, 50 000 personnes habitent le territoire du Delta, concentrées essentiellement dans les villes qui le bordent, comme Sant Carles de la Ràpita et l’Alcanar au sud, l’Ametlla et l’Ampolla au nord et Amposta dans les terres. Avec ses 15 000 habitants, Sant Carles de la Ràpita fait un peu office de vigie de la baie des Alfacs. Charles III le fondateur avait, en 1780, prévu de transformer ce village de pêcheurs en plus grand port naturel de la Méditerranée. De ce projet, il reste quelques traces dont le belvédère la Guardiola et la Torreta, l’ancienne tour de guet. Probablement le plus bel endroit pour jouir du panorama sur le Delta de l’Ebre avec ses lagunes et ses paysages de salines. Par temps clair, on voit même jusqu’au château de Peniscola et jusqu’au cap de Salou.

Atmosphère de bout du monde

A Sant Carles, les touristes viennent pour goûter aux spécialités de « llagostins » et aux fruits de mer réputés. Plus au sud, la ville de l’Alcanar brille d’un charme bigarré de côte et d’arrière-pays. Lové entre la frange littorale et la serra de Montsià, l’Alcanar est surplombé par le site ibère de la Moleta del Remei, particulièrement apprécié des amateurs d’archéologie. Si l’activité agricole est encore bien présente à l’Alcanar, à travers la culture d’oranges et de clémentines, le tourisme a largement pris le relais. Campings et hôtels ont en effet investi la cité, laissant toutefois au lieu-dit Les Cases d’Alcanar son âme authentique de port de pêche. Passer par les Cases de l’Alcanar sans goûter aux crevettes locales relèverait d’une impardonnable faute de goût ! Si le cœur du Delta a réussi à garder sa « virginité » et n’a pas cédé aux sirènes du tourisme de masse, les principales villes côtières ont quant à elles ouvert la porte aux résidences secondaires et aux hôtels… Sans toutefois tomber dans l’excès démesuré. Ainsi, l’Ampolla, située aux portes du Delta a-t-elle parfaitement maîtrisé ses constructions et son développement touristique. Longtemps jumelée avec la commune de El Perello qui, avouons-le, joue la carte du bobo-chic avec ses belles demeures planquées derrière de hauts murets de pierre et ses hôtels design, l’Ampolla navigue désormais seule avec vue imprenable sur la baie et le phare de la Pointe du Fangar.

Un tourisme résolument vert 

A flanc de falaise, l’Ampolla dévoile criques et plagettes le long d’un chemin de ronde qui mène à la pointe du Cap Roig. Rouge comme la couleur de cette roche qui étreint de multiples petits « xiringuitos » où il fait bon prendre un verre les pieds dans l’eau. Au-delà des plats de riz et autres fruits de mer proposés dans les restaurants qui bordent le port, une petite curiosité gastronomique mérite le détour : le « taliat », une sorte de pain plat de forme ovale, vendu uniquement le matin. Toujours sur la côte, l’Ametlla de Mar coiffe l’Ampolla en son nord. Malgré un charmant port de pêche, d’adorables criques et un esprit pêcheur bien vivant, notamment dans les assiettes, l’Ametlla de Mar s’éloigne déjà de l’état d’esprit du Delta. Moins sauvage, moins nature, on parle là d’une véritable station balnéaire. Avec ses hôtels et ses résidences de vacances avec piscine. Une bonne option pour les familles qui souhaitent coupler les séjours nature dans le Delta et l’ambiance touristique en une seule journée.

 

De toutes ces cités deltaïques aux charmes différents, il en est une qui forcément ne laissera personne indifférent. Il s’agit d’un village-mirage alangui au milieu des rizières. Il faut y regarder à deux fois pour capter la réalité du lieu… Poble Nou del Delta, est en effet un petit village créé de toutes pièces, en 1957, afin d’attirer les paysans pour développer l’agriculture sur ces terres désertiques. Poble Nou del Delta, 12 km à l’est de Sant Carles de la Rapita, administrativement rattaché à l’Amposta. Comme une hallucination au milieu de cette terre-mer, où les lagunes prolongent les rizières. Ce n’est que depuis 2003 que l’on parle de Poble Nou. A sa création par l’institut national de colonisation, le village s’appelait en effet Villafranco en l’honneur de Franco… Aujourd’hui, les paysans basculent vers le tourisme rural et Poble Nou se transforme allègrement. Au pied du clocher chaulé, aux allures de minaret, un enchevêtrement de ruelles qui parfois se perdent en de surprenantes placettes où coulent quelques fontaines insoupçonnées. Pas de vieilles pierres mais de coquettes maisonnettes immaculées qui se distinguent par leurs patios intérieurs. Des espaces intimes superbement fleuris que les habitants ouvrent de plus en plus aux visiteurs. Avec ses 160 âmes, Poble Nou s’est en effet inventé un tourisme vert à dimension humaine. Des « cases de colonies » pour les groupes et sept « cases rurals » hébergées dans ces maisonnettes. Deux hôtels seulement dont un trois étoiles « écolabellisé » ouvert en 2007 : l’Algaldir. Un établissement moderne de 11 chambres qui s’intègre parfaitement dans l’architecture singulière de ce village-mirage. Poble Nou est situé à 3 km de la Casa de Fusta, la maison verte emblématique du Delta construite dans les années 20. Elle abrite un centre d’interprétation du Parc Naturel et un musée ornithologique. Il suffit d’enfourcher un des vélos de location proposés à Poble Nou pour rejoindre les plages sans fin de la Barre del Trabucador situées à 4 km. Poble Nou plaît, c’est une évidence. Vu de la lagune de l’Encanyissada, le village surgit de nulle part et c’est cet effet surprise qui fait le charme de Poble Nou. Récent certes, mais riche d’une âme nouvelle.

La sensation de voler et de flotter à la fois

Dans les sept restaurants que compte le village, des patios encore et toujours où crépitent des arrossades et fideuas cuites au feu de bois. Plats typiques, concoctés à l’ancienne, accueil chaleureux. Poble Nou se démarque et marque assurément les esprits. Symbolique. Poble Nou concentre à sa façon ce sentiment surréaliste qui saisit le visiteur du Delta. Ou l’art de se sentir seul au milieu de nulle part. D’être en osmose avec la nature environnante, de flotter et de voler à la fois. Et puis, pousser la porte d’un gîte, entrer dans un patio et rencontrer un habitant du Delta. Qui, comme pour mimer la géographie du delta, ouvre ses bras… vous inonde de riz et de rires. Heureux de vivre dans ce plat pays à l’indiscutable relief d’âme !

1Commentaire
  • Joux Dit Alison
    Posted at 09:53h, 05 avril Répondre

    super

Poster un commentaire