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Deltebre, d’Ebre et de mer

28 Juil Deltebre, d’Ebre et de mer

Au cœur du Delta de l’Ebre, là où les eaux douces et salées s’entrelacent et créent dans le fleuve et la mer une rivière brune et bleue de courants mêlés, dans ce paysage décidément horizontal, se tapit, davantage qu’elle ne s’élève, la petite ville de Deltebre.

Deltebre est en réalité l’épicentre du delta, né de la fusion de deux villages antérieurs, Jesús i Maria et La Cava, qui, malgré l‘éloignement, étaient jadis rattachés à Tortosa avant d’être regroupés peu après la transition démographique, en 1977, et de devenir autonomes sous le nom de Deltebre. Ces deux villages avaient toutefois bénéficié d’une église et d’un cimetière ce qui prouve qu’ils présentaient une certaine importance pour l’évêché. La puissante capitale du territoire étendait alors son pouvoir sur l’ensemble des rives du fleuve nourricier, et profitait des ressources de ses hameaux, notamment le sel, le poisson, le pâturage, la réglisse, le blé puis le riz, à partir du début du XXe siècle. Deltebre a donc acquis une indépendance que sa situation isolée, au beau milieu du Parc Naturel du Delta de l’Ebre, justifie pleinement. Le site est aussi singulier que merveilleux. Il évoque, selon l’angle de vue et l’état du ciel, la Camargue ou la Baie de Somme. Bien qu’il ait bénéficié d’un petit train qui le reliait à Tortosa connu sous le nom de Carrilet de la Cava (aujourd’hui disparu), et bien sûr d’un réseau routier dense, il a fallu attendre 2010 pour qu’un pont le relie à sa voisine Sant Jaume d’Enveja, ce qui explique l’impression insulaire qui s’en dégage. Le pont s’appelle « le passador » en hommage sans doute aux passeurs d’autrefois. Quoiqu’il en soit, vous voilà au cœur d’une zone humide somptueuse que la main de l’homme a quadrillée de rizières longées de chemins étroits, bordées de petits cabanons chaulés, parfois illuminé d’amandiers perdus dans le vert et les reflets de l’eau. Un chef d’œuvre. Un pays plat, que le miroir des eaux étales décline à contre-ciel comme pour doubler son étrange beauté. Plus près de la mer, là où les hésitations du fleuve ont laissé des bras morts et creusé des canaux naturels, s’étendent des lagunes, des dunes douces ourlées d’herbes vivaces. Un monde d’îles perdues, d’eaux sur lesquelles la brise glisse et dessine des réseaux de rides, paradis de colonies d’oiseaux, des centaines de représentants du peuple du ciel, au premier rang desquels des flamants roses impassibles et des hérons pourprés, dressés, méditatifs.

Un paradis marin

Des miradors judicieusement placés accueillent de nombreux ornithologues ou photographes passionnés de birdwatching. Mais même à la hauteur de l’eau, il est doux de tutoyer l’horizon et de s’abandonner à cette terre douce qui aime tant se mêler à la mer et au fleuve. Plus loin encore, à l’est de l’est, là où le soleil nait chaque matin de la fraîcheur indistincte des vagues, de longues plages s’étendent, plissant des dunes douces qui rappellent les paysages du désert. Elles séparent la plage de la Marquesa de la Punta del Fangar et se prolongent jusqu’à Riumar, juste à l’embouchure du fleuve, situé sur une sorte de lido. Ce hameau inattendu est essentiellement composé de petites maisons de villégiatures. Toutes ses rues portent des noms d’oiseaux marins et il dispose de petits commerces et de restaurants. Vous pourrez marcher tranquillement vers le point extrême de la rencontre de l’Ebre et de la mer jusqu’au mirador Zigurat. Les plages alanguies sont particulièrement belles et sauvages. La Punta del Fangar, de l’autre côté, dessine une sorte de péninsule étroite qui semble se refermer sur la baie du même nom, composée de dunes mobiles et d’autres dunes fixées par la végétation, un véritable Eden pour les oiseaux marins migrateurs. Ici ont été tournées des scènes de désert, une illusion parfaite. Sa largeur maximale est de 3 km et sa longueur de 6 km, et elle est desservie par une piste terreuse. Seul bémol, pas question de fouler les zones de nidification entre le 1er avril et le 15 août, d’ailleurs le système dunaire lui-même est extrêmement fragile. Au milieu s’élève le phare du Fangar, fièrement planté face au large. Les autochtones lui ont trouvé un nom : la Faroleta. Au milieu du delta, face à Deltebre, s’étend l’île de la Buda, la plus grande de Catalogne. Dans les années 50, une quarantaine de familles y vivaient de la culture du riz et avaient même créé un véritable village doté d’une petite chapelle. Deux habitants sont encore recensés, mais aujourd’hui pour aborder, il faut une autorisation spéciale tant le milieu est fragile. En réalité elle est accessible au public une journée par an, le jour de la Saint Pierre, la fête des pêcheurs. Cette belle île et ses voisines, l’île de Sant Antoni et l’île de Gràcia, se sont formées au XVIIIe siècle mais la montée des eaux dans la baie menace à terme leur existence.

Un pays sauvage

Le phare qui défendait autrefois les rives se trouve désormais à 6 km en pleine mer ! Avec ces îles disparaîtront les dernières traces d’un mode de vie entre mer et ciel, entre fleuve et terre, un monde de rizières et de pêche artisanale tout autant qu’un lien intime avec la nature. Aujourd’hui encore, le riz local porte sa propre marque et il n’est pas rare de voir évoluer des chevaux sauvages, comme si un morceau de Camargue était venu ici jeter l’ancre. Naviguer tout autour est un pur moment de bonheur autant qu’un privilège. Ne vous privez pas de monter à bord du sympathique bateau qui vous y emmène, le guide est extraordinaire et multiplie les anecdotes. Les grandes lagunes intérieures de ce morceau de delta portent un joli nom local « calaixos » ce qui signifie aussi « tiroirs ». Elles ont été laissées par le déplacement de l’embouchure du fleuve. Les principales sont le Canal Vell, ancien bras de l’Ebre, et le Garxal. Partout, des oiseaux, des prairies de salicorne, des roseaux et des joncs, des touffes de bourrache. Les alentours de Deltebre sont parcourus de multiples sentiers balisés propices à la balade à pied, d’un mirador à l’autre, d’une lagune à l’autre, d’un émerveillement à l’autre, ou bien à vélo, le long des chemins qui bordent le fleuve et du Camí Natural qui remonte vers Tortosa. Promeneurs, amateurs des plaisirs de la plage et passionnés d’ornithologie ne sont pas les seuls amoureux du delta : il faut y rajouter les pêcheurs de castagnoles, de daurades ou de soles qui trouvent ici le plus grand terrain de jeu de Catalogne. Deltebre, fidèle à son nom, distille tous les sortilèges du fleuve et de la mer et ouvre autour de lui, une étoile scintillante de chemins de sable et d’eau qui invite au voyage.

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