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Festa del Renaixement : quand Tortosa renaît !

02 Juin Festa del Renaixement : quand Tortosa renaît !

Dès l’arrivée sur le fleuve, les pavoisements apparaissent, toute une série d’oriflammes qui frangent le ciel, enflamment le château et ourlent les quais. Un brouhaha, mélange de foule en liesse et de musiques du monde, enveloppe l’espace et guide les visiteurs vers les rues étroites du centre-ville.

Tortosa toute entière se replonge dans un passé glorieux, quand la ville était le point de passage obligé entre la mer et Saragosse, la capitale d’un immense évêché et d’une vaste seigneurie et même le lieu de naissance de princes et de papes ! à équidistance entre Barcelone, Saragosse et Valence, n’a t-elle pas été, pendant quelques décennies, le centre de gravité de la couronne d’Aragon et le point de départ des toutes dernières tendances artistiques et littéraires ? Pendant quatre jours de liesse, des milliers de visiteurs venus de toute la Catalogne et de toute l’Espagne vont contribuer à réinventer la gloire de Tortosa : « Terra d’aigua, terra d’un riu, visca la vigueria de Tortosa ! » (Terre d’eau, terre d’un fleuve, vive le comté de Tortosa). à côté de la cathédrale dénuée de clochers dont l’énorme silhouette semble avoir été décapitée, tout près de l’ancien abattoir moderniste aux ornements d’azulejos qui accueille le musée historique de la ville, les maîtres rôtisseurs ont installé leurs tavernes aux enseignes de bois et leurs broches gigantesques. L’heure est à la gastronomie du bas Moyen-âge. Dans les rues, juste derrière, les stands se touchent et proposent toutes sortes de produits liés à la jeune Renaissance : vêtements, foulards, bijoux, armes, pâtisseries « les llepollies de la festa » (gourmandises de la fête) côtoient des campements orientaux aux objets ornementaux en métal repoussé et ouvragé, des tavernes chamarrées et des musiciens. « J’adore ces odeurs de musc et de viande grillée, je suis certaine que c’était comme ça ! » exulte Sherrill, une touriste anglaise. Tout commence par l’appel du conseil au son des gralles. Attention, munissez-vous bien du programme ! L’intérêt c’est de ne rien perdre des beautés patrimoniales de Tortosa (un conseil, levez-les yeux, le patrimoine moderniste est absolument magnifique) tout en assistant à tous les événements, dont beaucoup, heureusement, se répètent en des lieux différents. Des « palli » appelés « abanderats », virtuoses du lancer de drapeau, s’affrontent sur les placettes et les carrefours s’affrontent sur les placettes et les carrefours dans des chorégraphies d’étendards extraordinaires, dignes des « contrade » de Sienne tandis que les jotglars, ces troubadours jongleurs, de l’Ebre font résonner leurs gralles. Dans le ciel, les drapeaux s’entremêlent, s’enlacent, s’embrassent avant de retomber au millimètre près dans les mains du chevalier vêtu de ses couleurs. C’est un spectacle particulièrement prisé qui met en haleine les spectateurs et génère leurs applaudissements.

Défilés et processions

Sur ces terres longtemps disputées entre Maures et Chrétiens, les « cavallets », les centaures traditionnels en carton-pâte, croisent leurs écus pour exprimer toute la pluralité culturelle de cette ville multiple, dont les élites juives faisaient jeu égal avec les familles catholiques. Les processions nombreuses, mêlent nobles, artisans, joueurs de tambour, sonneurs de sacqueboutes et autres trompettes. Là aussi, c’est tout un chatoiement de couleurs et une vraie recherche dans la création de costumes et d’accessoires. Pour le coup, baissez les yeux sur les chaussures, des copies de souliers d’époque souvent incroyables ! Les confréries de Tortosa peuvent être de plusieurs sortes : paroissiales (elles regroupent alors les gens d’une même paroisse), religieuses (ceux d’une même confrérie), ou professionnelles (guildes). En fait ces processions donnent à voir toute la société de la Tortosa de l’époque. Les procureurs de la ville prêtent solennellement serment avant que ne soit prononcé le grand sermon d’ouverture. Vers les « trastos » ces pans de remparts encore debout, les fauconniers sont à l’œuvre. L’occasion de découvrir et d’approcher de nombreux rapaces et de renouer avec l’un des sports aristocratiques les plus courus du Moyen-âge et de la Renaissance.

Le bal des nobles

Un peu plus loin, une place en amphithéâtre semble s’adosser aux remparts que domine, tout là-haut, le château ou plutôt la casbah transformée en hôtel de luxe. C’est ici qu’ont lieu les nombreuses pièces de théâtre et saynètes qui émaillent ces jours de réjouissance. Elles sont soigneusement choisies pour être intelligibles et gestuelles et regroupent d’excellentes compagnies venues de tout le sud de l’Europe. Attention, veillez à vous installer bien avant le début annoncé car il y a foule ! Un énorme bruit s’élève à grand renfort d’escopettes et de pas scandés : ce sont les terribles terços du Vicomte de Castellbó, l’infanterie surentraînée de la couronne. Un étrange personnage circule, l’air grave, en habits plutôt orientaux. C’est le Mostassaf, la personne chargée des poids et des mesures, du contrôle des aliments, une sorte de juge de paix, à l’époque détenteur d’un réel pouvoir sur les citoyens. Le spectacle peut commencer. Sur les terrasses improvisées des tavernes se pressent les visiteurs : le vin capiteux de ces terres du sud coule à flots, et la bière artisanale n’est pas en reste ! Tous les petits restaurants du centre-ville jouent le jeu et affichent un menu spécial qui tient toutes ses promesses. Il ne tient qu’à vous, chaque soir, de danser et ripailler jusqu’au bout de la nuit ! Toutes ces scènes se répètent, en des lieux différents et permettent de découvrir la ville au gré des animations. Les vitrines des boutiques sont richement décorées car elles font l’objet d’un concours très disputé : costumes, accessoires, tableaux… Le samedi soir, à 19 heures, se déroule l’événement le plus important des fêtes. Cerise sur le gâteau, il a lieu dans le bijou patrimonial par excellence de la ville, les Collèges Royaux, magnifique ensemble renaissant construit pour éduquer dans la foi catholique les enfants morisques fils de musulmans convertis. Autour du patio pavé s’ouvre au premier étage une galerie gracieuse à colonnettes. Juste devant, le large parvis offre un espace de choix à la danse. C’est ici que les familles nobles vont recevoir leurs étendards avant de donner un grand bal. Les costumes, magnifiques, font appel aux matières les plus nobles connues au XVe siècle : moires, brocards, dentelles de Bruges, blonde des Flandres… Les couples s’assoient dans le patio. Ici pas de comtes ou de marquis mais des gens anoblis par leur fonction. Une à une, les familles sont solennellement appelées et se voient remettre leurs couleurs, assorties aux costumes.

Fleuve magique

Puis commence le bal, solennel, qui alterne courantes, gigues, sarabandes et allemandes. Les couples nobles se croisent et se saluent sous les vivats de la foule. Partout dans la ville, les rues accueillent une attraction, qu’il s’agisse de musiciens, de cavallets, de gegants, d’un des innombrables défilés ou des porteurs d’étendards. Le fleuve reflète les rouges puissants des feux. La magie est à l’œuvre. Ne l’oubliez pas en juillet il fait chaud, et même, sur ces terres du sud, très chaud. Mais Tortosa n’est pas née près du fleuve pour rien. Sur l’embarcadère vous attend le joli bateau d’Adelino, El Sirgador, 50 m de long quand même. Son nom rend hommage à ces hommes qui remontaient les bateaux à contre-courant à la seule force de leurs bras. La remontée de l’Ebre offre un incroyable panoramique sur la ville, sa cathédrale tronquée pour ne pas masquer la vue aux défenseurs du château, son magnifique évêché et son marché moderniste. Elle permet aussi de découvrir des îles et une nature sauvage vraiment étonnante à quelques centaines de mètres à peine de la frénésie de la fête. Dans l’autre sens, il suffirait de s’abandonner au courant pour gagner Amposta… Adelino n’a pas son pareil pour donner vie au fleuve et raconter sa grande histoire, avant que des barrages ne viennent stopper son élan millénaire. Il est temps encore, de vous offrir la visite de la cathédrale et de son musée épiscopal, magnifique, celle du musée d’histoire de la ville, passionnante, et sans doute de monter jusqu’au château, histoire de prendre un verre devant un panorama à couper le souffle. Gageons qu’à ce stade, Tortosa aura distillé tous ses sortilèges et durablement peuplé le coffre dans lequel vous conservez vos plus beaux souvenirs.

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