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Fêter la récolte du riz dans le Delta de l’Ebre

29 Juil Fêter la récolte du riz dans le Delta de l’Ebre

Pendant des décennies, les Terres de l’Ebre ont vécu au rythme des récoltes de riz ; une mémoire célébrée tout au long de septembre par cinq villages du Delta.

Les Terres de l’Ebre sont aux premières loges d’une étreinte immémoriale et douce, qui mêle en longues franges de bleus et d’ocres les eaux bienfaisantes du fleuve, chargées de limon et de sédiments, et la Méditerranée, matée, adoucie par cet afflux d’ailleurs. Un contexte idéal pour la plus aquatique des céréales, le riz. Dès la plus haute antiquité, les Grecs ont compris tout l’intérêt d’une telle situation géographique qui leur garantissait des pêches abondantes et des ports naturels.

Deux parcs naturels

Sur ces rivages doux, aux plages innombrables, Arabes et Templiers ont laissé leur marque militaire sous forme de tours et de châteaux, car l’Ebre défend l’entrée sud de la Catalogne et a toujours été un enjeu stratégique. Il y a 80 ans, à peine, la terrible bataille de l’Ebre scellait ici le destin de la république espagnole.Les paysages des Terres de l’Ebre sont si beaux que deux parcs naturels se les partagent. Côté terre, là où brusquement s’élèvent des montagnes escarpées, comme plissées par une immense main, s’étend le Massif des Ports. Au ras des flots, les rizières dessinent le paysage d’horizons infinis à peine frangés de vert, nimbés d’ocres et de bleus, déroulant leur bayadère de terre et de mer. Les canaux découpent le miroir des eaux et créent un vitrail improbable, un cloisonné mouvant qui prend des airs flamands.

Réserve de la biosphère

Çà et là, s’élèvent des petites maisons chaulées, presque des cabanes, qui rappellent qu’il s’agit d’abord d’une terre de pêcheurs-paysans. Au-dessus, le ciel est mouvant, traversé de longs nuages en marche forcée sous le vent, peuplé d’oiseaux en quadrille qui règnent en maîtres sur les zones lagunaires dont ils ont fait leur royaume. Le Delta de l’Ebre, première zone humide d’Europe, ont le label « Réserve de la Biosphère ». On devine sous les eaux une vie secrète et mouvementée de poissons et de crustacés. Dans ce qui pourrait être une rencontre singulière entre Camargue et Pays-Bas, la terre ferme est assez rare, et tient davantage des chemins de halage à parcourir à pied, en vélo ou à cheval que des routes. Cinq localités se mirent pourtant dans les eaux des canaux et du fleuve, gardiennes de la mémoire encore vive des paysans d’ici, nés les pieds dans l’eau. Tous les ans, l’Aldea, Sant Jaume d’Enveja, L’Ampolla, Deltebre et Amposta rendent hommage à leurs grands-parents en célébrant le produit roi du Delta : le riz. Un produit noble indissociable de la cuisine catalane. Il suffit de prendre une carte de restaurant, au-dessous des entrées, trône le titre « Arrós », une rubrique tout entière pour les plats à base de riz : arrosejats, riz à l’encre, riz de pagès au lapin et au poulet, ou encore riz valencien, galvaudé sous le nom de paella.

Plat familial traditionnel

Une véritable institution, et un plat vraiment rural, une vitrine des produits de la mer, de la basse-cour et du potager. Il y a à peine cinquante ans, le riz était dans toute la Catalogne un plat du dimanche, confectionné avec beaucoup de soin par les mères de famille. Une sublimation de la cuisine paysanne ordinaire par quelques petites perles blanches promptes à absorber tous les fumets pour les restituer au centuple. Un plat de riches né de la pauvreté et ouvert à toutes les variations qui a atteint grâce à sa variante valencienne, une célébrité planétaire ! Ici, sur les rives de l’Ebre, le riz a permis à des dizaines de familles de survivre. Encore aujourd’hui, le Delta de l’Ebre reste le plus gros producteur de l’état espagnol et l’un des plus importants d’Europe. Bien sûr, la production s’est mécanisée, et a relégué au rayon des souvenirs familiaux les gestes ancestraux et le rythme particulier de la plantation et des récoltes. Aussi, les villages des Terres de l’Ebre ont-ils décidé de perpétuer cette mémoire, pour que personne n’oublie comment planter et récolter, pour saluer le travail des anciens et pour promouvoir le riz ebrenc.

La fête du fauchage

Pour tout savoir, et pour participer, vous avez donc 5 possibilités, égrenées tout au long du mois de septembre : le 10 à Sant Jaume d’Enveja, le 17 à l’Ampolla et Deltebre, le 24 à l’Aldéa et le 1er octobre à Amposta. Au programme, la constitution de gerbes de riz après le fauchage, leur mise en place pour le séchage, le battage, l’égrenage, jusqu’à la mise en sac. Certains auront peut-être déjà participé, en juin, au cérémonial du plantage, lui aussi dignement commémoré. Depuis 2011, les localités du Delta de l’Ebre proposent un véritable festival destiné à immortaliser les activités liées au cycle de la culture du riz, certes, mais aussi les traditions festives qui s’y attachent.

Savoir-faire ancestral

Devant le public agglutiné en bord de rizière, juste au ras de l’eau, les jeunes en habit de paysans, pantalons retroussés sur les chevilles, grandes chemises de toile sur le dos et souvent coiffés d’un mouchoir noué aux quatre coins en guise de chapeau, sont au travail. Pour accompagner cette séance didactique, les festivités se succèdent, avec de la musique traditionnelle des fêtes de l’Ebre où l’on sent Valence pousser sa corne et orientaliser les mélodies. Point de sardanes sur ces terres du sud, mais bien la jota venue de l’Aragon tout proche, enlevée et brillante, rythmée par les castagnettes et la virevolte des jupes hautes. Point de cobla non plus, mais une rondalla, anciennement un ensemble de mandolines, aujourd’hui souvent de guitares relevées d’accordéon ou de batterie.

Une gastronomie

complète

On chante la jota dans ce catalan coloré, un rien traînant, dont les voyelles ouvertes prennent des accents presque italiens : un catalan occidental qui ressemble beaucoup à son voisin du sud, le valencien. La chorégraphie, aérienne, est souvent impressionnante. Le genre est si populaire que vous allez assister à un concours de jota improvisée, le chanteur ou la chanteuse inventant le texte sous vos yeux, suivi par les danseurs et l’orchestre ! On n’est plus dans le folklore mais au cœur d’une culture millénaire. Regarder faucher, battre et égrener le riz, c’est bien, mais le déguster c’est mieux. Rassurez-vous, tout est prévu pour que la matinée se termine par un « déjeuner populaire » autour de la star locale, dignement entourée de poissons et de crustacés du delta.

Des marchés artisanaux

Préparez-vous à vous régaler, d’autant que le banquet se clôt par quelques « dolços » locaux, notamment les pastissets de cabells d’àngel, une pâte à l’huile d’olive et à l’anisette, fourrée de confiture de pastèques, un régal ! Les démonstrations de battue et de séchage du riz s’accompagnent de petits marchés artisanaux qui rappellent les savoir-faire d’antan comme la vannerie et la poterie et proposent des riz de toutes tailles et couleurs, de l’huile d’olive, des pâtisseries, des huîtres du delta (un délice, charnu, iodé, très peu salé), des moules énormes, idéales à farcir, bref tout ce que cette terre généreuse sait donner. à Deltebre, un souper populaire vous attend en fin de journée. Selon les villages, les célébrations se font en plein cœur des rizières, comme sur le Xoperal dels Carros de l’Aldea, la Casa de Fusta d’Amposta, la Finca de Bombita de Deltebre ou les champs de Sant Jaume d’Enveja, mais à l’Ampolla, ce sont les quais du port de pêche, aménagés, qui deviennent une gigantesque zone de séchage des précieuses gerbes. C’est d’ici que le riz partait pour être vendu dans toute la Catalogne, puis dans toute l’Espagne…

Des plages de bout du monde

Si vous ratez les cinq banquets populaires, la séance de rattrapage est prévue par la Campagne Gastronomique du Riz, qui regroupe une bonne partie des restaurants des villages participants, pendant les mois de septembre et d’octobre. Un joli prétexte pour visiter les Terres de l’Ebre : la tour fortifiée de l’Aldea, la Finca de Bombita de Deltebre, la charmante baie en forme d’amphore de l’Ampolla avec sa « Llacuna de l’Olla » (lagune de la marmite), Lo Xalet de Sant Jaume d’Enveja, la Casa de Fusta et la lagune de l’Encanyissada à Amposta, vous attendent. Tout ce joli monde est à parcourir sur des chemins qui se perdent dans les nuances de bleu et qui mènent invariablement à des plages douces, sableuses, alluviales et secrètes. Pas de foules bruyantes, mais des rendez-vous privilégiés avec la nature, un tutoiement tranquille avec l’horizon et les oiseaux. Des dizaines de possibilités d’excursion sur terre et sur mer, avec partout, ce sentiment étrange d’être en partance. Pour passer des sons solaires, échevelés de la fête, à la paix des immensités couchées à fleur de fleuve et de mer, pour retrouver la sagesse des paysans soumis au rythme des crues et des saisons, sentir, ici, les pieds dans l’eau, tout le prix de la terre, rien de mieux qu’un week-end consacré à la fête de la récolte du riz, la Festa de la Sega. Vous allez adorer !

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