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FIRA MODERNISTA DE TERRASSA

02 Avr FIRA MODERNISTA DE TERRASSA

Voilà presque huit siècles que Terrassa fête l’arrivée du printemps par une grande foire ! Cette tradition, jalousement maintenue tous les deuxièmes week-ends de mai a été autorisée et initiée par le grand Jaume Ier  lui-même en 1228. Elle revêt aujourd’hui une toute autre forme, moderniste, bien sûr comme la ville qui l’accueille !

Au fil des siècles, l’histoire a semé dans la ville des cailloux de Petit Poucet qui sont de véritables diamants comme l’incroyable ensemble paléochrétien de la Seu d’Egara, la Chartreuse de Vallparadís où le château médiéval. Pourtant c’est à la fin du XIXe siècle que Terrassa a vraiment rendez-vous avec son destin. Toute proche de Barcelone, elle devient très vite une pionnière de la Révolution Industrielle en marche, notamment grâce à l’industrie de la laine. Le nombre d’usines est tel, alors, qu’on l’appelle la ville aux cheminées ! Et le textile si présent que le terme de « Vapor » (appellation qui provient de l’utilisation de la machine à vapeur en tant que force motrice) devient générique pour désigner les fabriques ! Cette efflorescence économique trépidante donne naissance à une bourgeoisie locale prospère et rapidement enrichie. Soucieuse de montrer sa réussite et son opulence, elle va faire appel à des architectes créatifs, perçus comme d’avant-garde, capables de dessiner des pièces vraiment uniques et de les enchâsser dans des jardins merveilleux en s’entourant d’artisans d’art et de paysagistes de très haut niveau. Usines et demeures praticiennes deviennent le banc d’essai d’audaces esthétiques remarquables. Le modernisme, avec son ornementation somptueuse et ses innovations structurelles, sera l’expression privilégiée de ce début de siècle, une expression urbaine, exubérante et surtout, intrinsèquement catalane. Grâce à un architecte local particulièrement prolixe, Lluís Muncunill, et à quelques-uns de ses confrères, la ville se dote rapidement de très nombreux bâtiments qui subliment son héritage industriel en mettant sur le même plan des matériaux nobles comme le marbre ou le bois et des matériaux industriels comme le béton, le ciment ou le verre. « On ne peut pas comprendre le Terrassa d’aujourd’hui sans le modernisme. Il a tellement marqué l’histoire de la ville, qu’il est devenu, dans notre imaginaire, un âge d’or. La Foire moderniste traduit très bien cette nostalgie, même si ce temps idéalisé au point de devenir l’identité de la ville n’était pas simple, marqué par les luttes sociales et le labeur » explique Lluís, un érudit local. Rien d’étonnant donc, à ce que la fête de printemps initiale soit devenue la Foire du Modernisme, instaurée dans les années 2000, et rapidement reconnue par la Generalitat de Catalogne comme un événement d’intérêt national. Il s’agit d’un véritable flashback quasiment cinématographique, porté par la population, les associations locales, des artistes invités, et suivi par des milliers de visiteurs. La Foire Moderniste propulse pendant deux jours la ville en pleine ère industrielle et prospère, à la charnière des XIXe et XXe siècles. Cette année, cette commémoration géante a lieu du 7 au 9 mai. Bien sûr, le costume est de rigueur, et les rues du centre-ville se couvrent littéralement d’élégantes corsetées et chapeautées, souvent munies d’ombrelles, aux bras de Messieurs portant complet veston et canotier, le pommeau de leur canne bien en main. Ce beau monde bourgeois déambule entre les stands du marché organisés autour de la fabrique Aymerich, Amat i Jover, siège du Musée National de la Science et de la Technique de Catalogne, un vrai joyau architectural. Les étals se divisent en deux grandes sections. Le marché d’artisanat accueille, entre stands d’époque et ateliers participatifs particulièrement appréciés des plus jeunes, des forgerons, des céramistes, des créateurs de vitraux, des maréchaux-ferrants, des tonneliers, des dinandiers, des tanneurs, des tailleurs de pierre, des orfèvres ou des tisserands qui présentent des objets anciens et des techniques d’autrefois. « Je viens tous les ans, parce que c’est ici que je comprends le mieux comment le modernisme a fédéré tous les savoir-faire du pays pour créer un nouveau langage » affirme Justina, étudiante en histoire de l’art. Un peu plus loin, place aux produits de bouche, tous du terroir, tous artisanaux, et tous délicieux. Bien sûr, les marchands sont vêtus comme leurs ancêtres, et la profusion de ces costumes faits sur mesure, non seulement pour la personne mais aussi pour désigner sa classe sociale ou même sa corporation rajoute à l’authenticité de cette manifestation hors normes.

Le sport, un nouveau luxe

On reconnait à son allure le groom de l’hôtel, le cuisinier, le mitron, l’épicière ou le boucher. « Notre ambition, c’est de réussir à reconstituer l’espace de deux jours la société et l’ambiance de l’époque, chaque détail compte pour que l’illusion soit parfaite. Je sais que je suis l’héritière des cousettes et des tailleurs de l’époque, le prêt à porter n’existait pas, et pourtant les tenues étaient très codifiées ! » souligne Montserrat, qui vit encore de ses travaux de couture et de retouches. Justement cette année, le sportswear chic sera de rigueur, stylé et graphique. En 2021, le thème choisi par les organisateurs, ce sont les sports modernes, le vélo, qui compte quelques avatars comme le monocycle ou le vélocipède, le tennis, dont élégants et élégantes raffolent, la gymnastique, la natation, la boxe française, tous marqués par une mixité nouvelle et des costumes qui libèrent le corps sans encore le révéler. Un excellent prétexte à des spectacles de rue hauts en couleur, à des matches, à des concerts, à des expositions d’affiches et d’objets et bien sûr à une déambulation ludique dans la ville, à la découverte d’un patrimoine unique. « Les gens viennent parce qu’ils sont au spectacle, et ça leur donne l’occasion de voir le patrimoine autrement, comme s’il était encore habité par les gens qui l’ont créé » explique Jordi, responsable d’une petite troupe de théâtre. Et ça marche ! Un petit train moderniste haut en couleur, permet une déambulation ludique dans la ville. Le public se bouscule ainsi à la Masia Freixa pour admirer ses coupoles immaculées décorée de fresques de mosaïque, une sorte d’ovni orientaliste. Il y a foule aussi à la maison Alegre de Sagrera en forme de U, avec sa galerie vitrée de toute beauté, où à la maison Josep Maria Coll i Bacardi bâtie dans le cadre bucolique du parc de Vallparadis avec sa ravissante décoration de sgraffites et de tuiles vernissées. Construit sur une structure métallique le marché, avec son fronton, son plan en forme d’éventail et son immense verrière, est un des plus beaux de toute la région. étape obligée, le Parc de la désinfection, un bâtiment en arc de cercle initialement destiné à nettoyer la laine, puis les archives Tobella, avec leurs deux frontons et leurs fenêtres aux cadres arrondis très art-nouveau. Partout des guides costumés qui sont parfois des acteurs reconstituent en quelques saynètes et des récits passionnants et imagés la ville d’autrefois, industrieuse et bruissante. Invitez-vous à un mariage ou un enterrement d’époque théâtralisé, ou bien à une projection de lanterne magique et ses ombres chinoises, l’ancêtre du cinéma. Vos enfants et adolescents adoreront les jeux traditionnels en bois et vous pourrez chanter en chœur ou même danser au rythme des nombreux concerts de caramelles, tous sur le thème de la Belle époque bien sûr.

L’éclairage que donne la foire à la ville, avec sa foule contextualisée et le décor revisité de ses rues, lui donne une étrange modernité, un peu comme un film d’époque, saccadé et ralenti. Tant d’efforts de reconstitution font l’objet de plusieurs concours très courus : un concours de vitrines, un concours de stands, un concours de pavoisement des rues, un autre de mise en contexte historique des bars et des restaurants… évidemment, l’originalité et le réalisme sont les critères premiers et l’émulation est telle que le spectacle est total. Photographes et cinéastes amateurs sont de la fête et invités à concourir sur Instagram (il faut bien vivre avec son temps) pour immortaliser la fête sous tous ses aspects. Résumons-nous : bienvenue à Terrassa autour de 1910 avec ses commerces de détail, les stands colorés de ses marchés de rue, les démonstrations de savoir-faire de ses artisans, ses centaines de figurants costumés, ses voitures d’époque, ses sportifs en tous genres et surtout, son atmosphère particulière de ville confiante en l’avenir, ouverte aux idées nouvelles, frappée par la grâce de ce que l’on a appelé les temps modernes, et que la Catalogne a su si bien décliner en âge moderniste.

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